Espace de libertés | Septembre 2020 (n° 491)

Apprendre dehors : une pratique peu courante sous nos latitudes. Pourtant, ailleurs dans le monde, dispenser des cours dans la nature est habituel. Outre les bienfaits constatés sur le bien-être physique et psychologique des élèves, les enfants qui apprennent à l’extérieur obtiendraient même de meilleures notes. Le bénéfice se mesure à tous les niveaux.


La pandémie de coronavirus a perturbé l’éducation d’au moins 1,5 milliard d’élèves. Cela représente plus de 90 % des enfants dans le monde. Bien que de nombreuses écoles occidentales ainsi que des écoles privées des pays en voie de développement aient poursuivi certaines activités scolaires en ligne, plus de 50 % des apprenants dans le monde n’ont pas d’ordinateur à leur disposition. L’absence d’apprentissage en face à face et d’occasions de jouer avec des amis aura un impact énorme sur la santé mentale des enfants.

De par le monde, les pays adoptent des approches différentes quant au moment et à la façon de rouvrir les écoles. Et, en certains lieux, l’accent est mis sur les avantages de l’apprentissage en plein air. Plusieurs études ont démontré qu’un environnement extérieur est en mesure d’améliorer la motivation et le bien-être des enfants tout en contribuant à augmenter leur activité physique et à améliorer leurs résultats d’apprentissage. Par ailleurs, suivre des cours dans la nature réduirait le stress et favoriserait le bien-être psychologique.

Cette méthode d’enseignement était traditionnellement de mise dans les pays africains et asiatiques, mais elle y est de moins en moins valorisée. Dans de nombreux cas, elle n’est envisagée que dans l’éventualité d’un manque de salles de classe. Néanmoins, plus que jamais, les avantages d’une telle pratique doivent être capitalisés partout dans le monde.

Un exemple au Bangladesh

Il y a plus de dix ans que mes recherches se portent sur les environnements d’apprentissage en plein air. Alors que la plupart des études dans ce domaine concernent des pays occidentaux, celle que j’ai menée s’est concentrée sur le Bangladesh.

Dans ce pays d’Asie du Sud, le taux net de scolarisation dans les écoles primaires est proche de 100 %, mais seulement 32 % des enfants atteignent le niveau secondaire supérieur – généralement achevé entre 16 et 18 ans. Il y a plusieurs raisons à ce taux d’abandon élevé, notamment la pauvreté et la tradition du mariage des enfants. Toutefois, la qualité de l’environnement d’apprentissage est plus rarement prise en compte. Il s’avère en effet que de nombreux élèves abandonnent parce qu’ils ne se sentent pas attirés par l’école et n’adhèrent pas aux méthodes d’enseignement et d’apprentissage traditionnelles.

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L’enseignement en plein air a été au cœur du système éducatif du sous-continent indien et était largement pratiqué avant la formalisation du système éducatif. Il perdure à Shantiniketan, en Inde, dans une école établie par le poète et philanthrope Rabindranath Tagore, qui reçut le prix Nobel de littérature en 1913. Elle demeure cependant un cas unique et il n’y a pas d’infrastructure politique, physique et sociale en mesure de soutenir sa diffusion.

Dans le cadre de mon doctorat, j’ai cherché à savoir si l’apprentissage dans un environnement extérieur peut améliorer les résultats scolaires, la motivation et le jeu des enfants suivant l’enseignement primaire. Au Bangladesh, les établissements scolaires sont pour la plupart construits sur des champs devenus stériles et, de toute évidence, si l’apprentissage en plein air devait être encouragé, cet état de fait serait à modifier. L’école primaire avec laquelle je travaillais se situe à 80 kilomètres de Dhaka, la capitale. Comme je souhaitais que les enfants participent au projet, j’ai demandé à ceux de quatrième année – dont la tranche d’âge se situe entre 8 et 12 ans – ce qu’ils aimeraient avoir dans leur aire de jeux pour apprendre et s’amuser. Les enfants ont réalisé des dessins et partagé leurs réflexions. J’ai réfléchi séparément avec les enseignants et leur ai demandé ce dont ils auraient besoin dans un environnement d’apprentissage en plein air.

Ensuite, nous avons tous participé à un atelier de modélisme, animé par les enfants. J’ai fourni du matériel basé sur leurs dessins et les suggestions des professeurs. Nous avons présenté la maquette à la communauté locale qui s’est proposée de nous aider avec toutes les ressources qu’elle pouvait offrir.

Une nouvelle salle de classe

Les élèves souhaitaient un lieu d’activités physiques et intellectuelles à même de leur permettre d’explorer et d’expérimenter, de jouer et d’apprendre ensemble, mais aussi propice à la création et au retrait, à la connexion avec la nature. Des études réalisées auprès d’enfants de diverses parties du monde ont donné des résultats similaires, démontrant que ces préférences sont universelles.

Les enseignants se sont quant à eux intéressés aux perspectives de mise en pratique scientifique offertes par la nature. Leur demande s’est portée sur un jardin dans la cour de l’école comportant plusieurs types d’essences végétales. Cet espace comporterait différents matériaux en vrac tels que des brindilles, des branches, des graines et des boîtes à œufs pour les aider à démontrer les théories des nombres et d’autres problèmes mathématiques. Ils ont également souhaité établir des protocoles d’apprentissage pour les activités de groupe et la mise en place d’une salle de classe en plein air.

Toutes ces préférences ont ensuite été prises en compte lorsque l’architecte bangladais Fuad Abdul Quaium et moi-même avons conçu le terrain de l’école. Nous avons embauché des maçons locaux et utilisé des matériaux et des technologies à faible coût. Les enfants ont peint une fresque. Le terrain de l’école était prêt à l’emploi en janvier 2015. Les enseignants emmenaient régulièrement les élèves à l’extérieur pour leurs cours de mathématiques et de sciences.

Il a été observé que les résultats des enfants en mathématiques et en sciences se sont améliorés après avoir commencé les cours en extérieur. En outre, les performances scolaires des élèves de quatrième année dans ces matières étaient bien meilleures que celles obtenues dans une école comparable qui n’avait subi aucun changement environnemental. Si l’enseignement pratiqué en plein air a rendu l’apprentissage amusant et attrayant pour tout le monde, il a particulièrement profité aux élèves en difficulté. Nous avons constaté que les enfants qui n’interagissaient pas beaucoup en classe étaient plus proactifs et participaient davantage lors de leurs séances en extérieur.

Un avenir en plein air

Les salles de classe en plein air peuvent également fournir l’espace nécessaire pour maintenir la distanciation sociale tout en apprenant. Mais le terrain de l’école doit être conçu de manière à soutenir l’enseignement et l’apprentissage, tout comme les instituteurs ont besoin d’une formation à l’utilisation de cet espace.

Cette étude renforce les démonstrations existantes des avantages de l’apprentissage en plein air, illustrant de surcroît sa pratique dans les pays non occidentaux, suggérant ainsi qu’une telle forme d’enseignement a le potentiel d’améliorer la qualité de l’éducation dans le monde entier.


Article (à l’exception du titre et du chapô) initialement publié en anglais sur wwww.theconversation.com et reproduit avec l’autorisation de The Conversation France.