Espace de libertés – Mars 2018

Dossier

De l’école au boulot, de la commune aux autres hémicycles de pouvoirs, être une fille et puis une femme signifie de passer au second rang ou d’être rangée dans des catégories prédéfinies. Et pas forcément choisies! Des constats soulignés par un récent rapport (1) qui évalue la « loi genre » (2). Avec en filigrane, cette question: comment sortir de ces paradigmes inéquitables?


Ces dernières années, le cadre juridique de la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe s’est trouvé largement renforcé par un nouvel arsenal juridique. Si la loi joue un indéniable rôle pédagogique, les stéréotypes de genre, le sexisme et les violences sexo-spécifiques restent trop fréquents en Belgique (3). Certaines zones grises demeurent, notamment en matière d’enseignement. UNIA (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances) vient de publier son baromètre de la diversité-enseignement (4), une vaste étude qui met en évidence des processus structurels induisant des inégalités entre les élèves. La thématique du genre y est reprise parmi d’autres. S’agissant des choix d’orientation des filles et des garçons, les données existantes montrent des écarts au niveau de l’enseignement technique qualifiant. En 2013-2014, un élève sur trois s’orientait par exemple vers le secteur du «service aux personnes», dont plus de 70% de filles. Dans le secteur de l’habillement, 91% des élèves étaient également de sexe féminin, alors que le secteur «industrie» et le secteur «construction» étaient fréquentés à plus de 95% par des garçons.

Une logique persistante

Aux 2e et 3e degrés, l’on constate encore que les filles sont minoritaires dans les options les plus valorisées dans la hiérarchie scolaire, comme les sciences et les maths fortes (5). «Les acteurs institutionnels de l’école ont un “discours de neutralité et de progressisme” en termes de différences entre les sexes. Mais leurs attentes, leurs attitudes différenciées, participent au maintien et au renforcement des rôles et des identités stéréotypées des enfants. Ils accorderaient plus de place et de temps de parole aux garçons qu’aux filles et auraient davantage confiance dans les capacités et les talents des premiers. Par ailleurs, les contenus des matières enseignées, ainsi que l’occupation de l’espace de la cour de récréation sont largement “androcentrés”, sans que cela soit problématisé par les acteurs institutionnels de l’école», épingle le rapport. D’où cette question sous-jacente: pourquoi les établissements scolaires ne mettent-ils pas en place des activités qui permettraient de lutter contre ces stéréotypes dans le cadre de l’ÉVRAS?

Guère surprenant, lorsque les jeunes grandissent, le choix des études supérieures n’échappe pas non plus au biais du genre. Un sondage révèle que près d’un jeune sur cinq (6) n’a pas pu suivre les études souhaitées, dont 12% de filles qui ont été dissuadées de suivre certaines options ou cours en raison de leur sexe; le même pourcentage d’entre elles ayant été poussé vers des filières dites «de filles». Et cette enquête ne laisse voir que la partie émergée de l’iceberg! Car à côté des comportements intentionnels, soulignés par ces résultats, la pression sociale et familiale, au même titre que les stéréotypes, s’exercent de manière indirecte, façonnant les choix, tant des filles que des garçons.

À travail égal, salaire égal?

Une fois sur le marché de l’emploi, la discrimination ne s’arrête pas, bien au contraire. Rémunérer de manière égale une femme et un homme exerçant le même emploi et ayant les mêmes caractéristiques pour ce travail constitue une obligation légale (7). Pourtant, là encore, la pratique s’écarte de la législation. Le dernier rapport sur le sujet (8) fait état d’un écart salarial sur base annuelle de 21%, tandis qu’il est de 8% par heure de travail. Un résultat qui place toutefois la Belgique très en dessous de la moyenne européenne qui est de 16%.

Comment contrer ces discriminations? L’IEFH émet une série de recommandations pour accroître la participation des femmes au travail et réduire le travail à temps partiel non choisi, telles qu’élargir les compétences de l’inspection sociale en matière de discrimination au sein des entreprises, favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, améliorer la représentation des femmes dans les organes de prise de décision au sein des entreprises et combattre les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge, etc.  La tâche reste énorme!

L’Institut a également mis au point un outil permettant de calculer l’écart salarial au sein d’une entreprise. Gageons qu’une fois le calcul réalisé, des mesures correctrices seraient plus que nécessaires… Faut-il aller jusqu’à recourir à des sanctions en cas de non-respect de la loi, comme l’Islande vient de le décider? Aussi progressiste et répressive soit-elle, une législation ne suffit pas. Il faut s’assurer avant tout d’un changement des mentalités, et d’une volonté politique qui s’accorde sur ce chemin vers l’égalité.

Sous-représentation des femmes en politique

Mais là encore, la représentativité des femmes pose question. Il y a presque 25 ans était votée la «loi Smet-Tobback», premier dispositif destiné à renforcer la participation des femmes à la prise de décision politique. Celle-ci interdit aux partis politiques de présenter des listes électorales sur lesquelles figurent plus de deux tiers de membres du même sexe. La Constitution a ensuite été modifiée en 2002 afin d’y introduire le principe du droit fondamental à l’égalité des hommes et des femmes. Sur cette base, trois textes de loi ont été adoptés afin d’assurer la présence égale des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections législatives, européennes et régionales. Ils visent à interdire que l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe puisse être supérieur à un: les deux premiers candidats de chacune des listes devant être de sexe différent. Pourtant, en dépit de ces textes, les femmes constituent un groupe social sous-représenté à tous les niveaux du processus décisionnel politique belge.

Lors des dernières élections communales bruxelloises de 2012, la proportion de femmes élues dans les conseils communaux bruxellois était par exemple de 41,5%, ce qui constitue un taux important par rapport aux résultats de toutes les régions confondues (35,9%) (9). En 2012 en Région bruxelloise, 8 femmes étaient élues présidentes de CPAS sur 19 et seules 2 femmes comme bourgmestres.

Tirette sous la houlette

L’étude de l’IEFH conclut que la seule manière de garantir une représentation paritaire des hommes et des femmes dans le processus décisionnel consiste à encourager la participation fondamentale des femmes dans les associations locales, les sections de partis, les conseils consultatifs et la vie associative en général. Les pistes d’actions proposées visent notamment à modifier l’organisation pratique de la vie politique, à exclure le sexisme des assemblées, à entamer une réflexion sur la féminisation de l’image de la politique et des fonctions publiques.

Les régions sont par exemple en train de faire un pas supplémentaire vers une meilleure représentation des femmes dans les collèges de bourgmestres et échevins, en adoptant des législations qui visent à ce que ces organes soient composés d’un seuil minimal d’élues. Quant aux élections communales et provinciales de 2018, elles constitueront la première mise en œuvre du principe de la «tirette complète», à savoir que tout candidat devra être de sexe différent par rapport au candidat qu’il suit dans l’ordre de la liste. Plusieurs pas en avant au niveau formel. Mais à concrétiser dans la vraie vie!


(1) « États des lieux sur l’application et l’effectivité de la loi Genre. Analyse et recommandations », IEFH, janvier 2018.
(2) Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.
(3) «Loi Genre: un instrument indispensable et des améliorations possibles», communiqué de presse de l’IEFH, 31 janvier 2018.
(4) Disponible sur www.unia.be.
(5) Unia, «Baromètre de la diversité. Enseignement», 5 février 2018, p. 84.
(6) Sondage réalisé pour Plan International par Dedicated auprès de 486 jeunes âgés de 15 à 24 ans, «Des “choix” d’études parfois guidés par le genre», dans Le Soir, 18 octobre 2017.
(7) La loi du 22 avril 2012 relative à l’égalité salariale (modification de la loi le 12 juillet 2013).
(8) Institut pour l’égalité des femmes et des hommes «L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique. Rapport 2017», mis en ligne sur http://igvm-iefh.belgium.be.
(9) http://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/politique/chiffres