Espace de libertés | Décembre 2020 (n° 494)

Derrière le vernis du Vlaams Belang


Dossier

Le VB est explicitement candidat à une participation au gouvernement en 2024. Mais si son discours a changé, qu’en est-il de son ADN ? Quelles sont ses véritables intentions ? Le parti a-t-il une chance de gouverner après l’actuelle législature ? Et s’il entre au gouvernement, quelles en seront les conséquences pour notre société ?


En 2004, lorsque le Vlaams Blok a été condamné pour racisme, Filip Dewinter, son leader à l’époque, s’était exprimé en ces termes sur la fondation du Vlaams Belang, né des cendres de la formation dissoute : « Il ne s’agit pas d’une opération cosmétique, mais bien d’une manucure : nous aiguisons nos griffes et nos dents pour nous jeter dans la mêlée en nous améliorant et en gagnant en puissance et en efficacité. » Seize ans plus tard, il semble que le VB ait poursuivi cette manucure, principalement en changeant de discours. Finis les gants de boxe sur les affiches et les slogans agressifs comme « Eigen volk eerst » : place à des alternatives subtiles (« Eerst onze mensen ») même si de récentes déclarations ont comme un air de déjà-entendu. Un discours « lissé » donc, mais aussi le déploiement de nouveaux instruments : Tom Van Grieken a lancé une offensive de charme sur les réseaux sociaux, usant abondamment du micro-targeting. Car cette technique qui consiste à séduire les électeurs potentiels de manière ciblée, en surfant sur leurs préférences personnelles, commence également à s’imposer en Belgique. Aucun autre parti n’investit autant dans ce type de campagne1. Et cela porte ses fruits, car avec un demi-million de likes sur Facebook, Van Grieken laisse ses concurrents bien loin derrière lui.

Simple opération cosmétique ou manucure ?

Cependant, à y regarder de plus près, l’ADN du VB a à peine changé. Un coup d’œil sur les thèmes de prédilection du parti – la lutte contre l’immigration, l’ordre et la loi, l’autonomie de la Flandre – met en avant une réelle continuité avec le passé2. Comme l’avance le politologue néerlandais Cas Mudde, le VB de Van Grieken n’a pas renoncé aux trois valeurs qui lui tiennent à cœur : le nativisme, l’autoritarisme et le populisme. La récente « gauchisation » de son programme sur le plan socio-économique (par exemple, le soutien à la pension minimale) s’inscrit dans une tendance internationale plus générale, mais ne signe pas une rupture fondamentale avec le passé. Les messages de base restent en grande partie les mêmes, ce qui a changé, c’est le discours. En témoignent la cure de rajeunissement du parti et sa campagne sur les réseaux sociaux. Le VB tente simplement de faire son entrée dans le camp de l’alt-right, qui a le vent en poupe en Europe de l’Ouest, s’inspirant ici de l’exemple de Thierry Baudet du Forum pour la démocratie de nos voisins du Nord.

La balle dans le camp du VB

Pourtant, le parti d’extrême droite répète plus haut et plus fort que jamais, par la voix de Van Grieken – notamment dans son livre En nu is het aan ons – que c’en est fini de rester en coulisses. Le VB entend désormais gouverner : « Nous tirons un trait sur notre éternelle image de parti d’opposition. » Cette ambition peut expliquer le nouveau discours du parti : si le VB veut réellement entrer dans un gouvernement, il doit se façonner un visage de respectabilité et devenir plus acceptable. Un exercice d’équilibre des plus délicats puisqu’il doit à la fois rester suffisamment agressif pour conserver son électorat, mais en même temps suffisamment acceptable pour convaincre d’éventuels partenaires de ses (bonnes) intentions.

Ambitions gouvernementales réelles ou fake news ?

On peut quand même se demander si ses ambitions ne s’inscriraient pas plutôt dans sa stratégie classique visant à saper le soutien au « cordon sanitaire ». Sans doute parce que sa rupture l’arrangerait finalement bien sans qu’il n’ose le dire explicitement ? Dans le passé aussi, le VB a déjà abondamment critiqué ledit cordon, le qualifiant d’« instrument antidémocratique destiné à le museler et à réduire son électorat au silence », même s’il trouvait en effet confortable son rôle de parti d’opposition.

Pour le VB, pas besoin d’entrer dans un gouvernement pour exercer une influence : en tant que zweeppartij (parti aiguillon), il peut peser sur la politique, influencer l’agenda et voter (ou non) des lois. Mais rentrer au gouvernement lui offrirait une réelle garantie de renforcer au maximum son pouvoir et de mener des réformes politiques de grande envergure. La crainte du VB de décevoir une nouvelle fois ses électeurs et de les pousser dans les bras d’autres partis (définitivement ou non, comme ce fut le cas avec la N-VA3) pourrait également l’inciter à faire son entrée dans un gouvernement.

Gouvernement Van Grieken I en 2024

Cette ambition gouvernementale est devenue tangible depuis que le roi Philippe a invité Van Grieken au palais. Et cette perspective s’est encore rapprochée durant l’été 2019, lorsque le président de la N-VA Bart De Wever a lancé des négociations en vue de la formation d’un gouvernement flamand avec le VB. Une tentative apparemment sérieuse. Le VB est cependant rentré bredouille, les autres partis flamands – l’Open VLD de Gwendolyn Rutten en tête – refusant catégoriquement toute coalition avec le VB.

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Depuis l’entrée en fonction du gouvernement Vivaldi (minoritaire en Flandre), Van Grieken ne laisse passer aucune occasion de prévenir que l’horizon du parti, c’est 2024, et que la perspective d’une future majorité N-VA et VB est réelle. Même s’il semble impossible que le VB siège au fédéral (on voit mal comment les partis francophones accepteraient de gouverner avec lui), une alliance flamande avec le VB n’est pas exclue, pour autant que le nombre de sièges remportés le lui permette.

Nul ne peut pour l’heure prédire si l’on en arrivera à cela. En interne, la N-VA est elle-même divisée : certains comme Theo Francken ne cachent pas leur enthousiasme à l’idée de former une coalition avec le VB, mais cette perspective a aussi de farouches opposants. Le VB lui-même n’a pas encore tranché : poursuivra-t-il cette ambition si l’occasion de siéger au gouvernement se présente ou se défilera-t-il au contraire in extremis ? Il ne faut en effet pas oublier que gouverner comporte des risques.

Perte d’authenticité

Pour commencer, beaucoup dépendra des résultats et des performances de ce gouvernement de coalition avec le VB. En outre, s’il arrive au pouvoir, le VB sera contraint de prendre ses responsabilités et de faire des compromis, ce qui ne serait pas sans conséquence lors des prochaines élections. Car cette « virginité » n’est-elle pas aujourd’hui l’atout numéro un du parti ? Elle lui permet en tout cas de critiquer en permanence les autres partis, sans se mettre lui-même en danger. En revanche, une participation du VB au gouvernement peut égratigner son image d’authenticité et lui faire courir le risque d’être lui aussi perçu comme faisant partie de cette élite que rejettent ses électeurs.

Et de fait, les partis de la droite radicale perdent généralement des électeurs après avoir participé à un gouvernement4. La participation gouvernementale du FPÖ autrichien en 2000 et en 2017 a aussi été lourdement sanctionnée, même si le manque d’expérience, l’incompétence et divers scandales ne sont pas étrangers à ses revers électoraux. Les partis traditionnels paient aussi souvent le fait d’avoir été au pouvoir. En outre, les partis de la droite radicale semblent se refaire plus vite une santé et retrouver plus rapidement leur crédibilité en tant que parti anti-establishment.

Une menace pour la démocratie ?

D’aucuns craignent qu’un gouvernement avec le VB ne remette en cause une série de libertés et de droits fondamentaux, entre autres ceux des minorités. C’est oublier que la Belgique est une démocratie libérale avec un solide système de checks and balances qu’un parti ne peut à lui seul contourner en un claquement de doigts : une révision de la Constitution exige une majorité des deux tiers à la Chambre et au Sénat. En Belgique, le pouvoir de l’État est par ailleurs réparti entre les niveaux fédéral, régional et local. Et le VB doit tenir compte de ses partenaires (de coalition) et des autres partis. Il n’empêche qu’une fois au gouvernement, le VB pourrait définir ses propres priorités et modifier petit à petit les politiques dans les domaines de l’égalité des droits, de l’intégration et du maintien de l’ordre.

L’on peut craindre que la participation du VB à une coalition n’entraîne surtout un nouveau durcissement du climat politique et une plus grande polarisation. Elle pourrait aussi lui donner davantage de légitimité et favoriser une normalisation de l’extrémisme. Ce processus est d’ailleurs déjà en cours. Alors qu’il était auparavant tabou d’admettre que vous votiez pour le VB, la manifestation au Heysel de septembre dernier montre que cette époque est révolue.

 


1 Gunther Vanden Eynde, Gert-Jan Put, Bart Maddens et Gertjan Muyters, « Hoeveel investeren partijen en kandidaten in online verkiezingscampagnes ? », Leuven, Vives, 2019.
2 Teun Pauwels, « Le Vlaams Belang », dans Pascal Delwit, Jean-Benoît Pilet et Émilie van Haute (eds.), dans Les Partis politiques en Belgique, Bruxelles, éditions de l’Université libre de Bruxelles, 2011, pp. 219-234.
3 Koen Abts, Emmanuel Dalle Mulle et Rudi Laermans, « Beyond Issue Diversification : N-VA and the Communitarisation of Political, Economic and Cultural Conflicts in Belgium », dans West European Politics, 42(4), 2019,. pp. 848-872.
4 Tjitske Akkerman, Sarah L. De Lange, « Radical Right Parties in Office : Incumbency Records and the Electoral Cost of Governing », dans Government and Opposition, 47(4), 2012, pp. 574-596.