Espace de libertés | Novembre 2019 (n° 483)

Libres ensemble

Depuis 1989, l’enfant dispose formellement de droits fondamentaux grâce à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies, qui est d’application partout à travers le monde… hormis aux États-Unis, qui ne l’ont pas ratifiée. Les avancées sont notables, mais différents problèmes subsistent, en Belgique également.


Il aura fallu des siècles et les écrits du pédiatre Janusz Korczak et de la psychanalyste Françoise Dolto pour reconnaître que l’enfant est une personne qui, à l’instar de l’adulte, a des besoins et des compétences. Qu’il doit être respecté et entendu, mais également protégé et aidé de manière spécifique. La prise en compte de son intérêt dans toutes les décisions qui le concernent doit primer. C’est ce que l’on appelle l’intérêt supérieur de l’enfant.

Si la Convention, célébrée le 20 novembre au cours d’une Journée internationale des droits de l’enfant, n’a pas pris une ride et a, comme espéré, été à l’origine d’avancées considérables, le sort de nombreux enfants reste malgré tout précaire, ici et ailleurs. Certains sont si peu pris en considération qu’ils en deviennent invisibles, avec l’effet boule de neige que l’on peut imaginer : besoins non reconnus, absence de prise en compte dans les statistiques, législations inadaptées, risque accru d’accompagnement inadéquat, droits bafoués, augmentation de la vulnérabilité, développement entravé…

Le sort de nombreux enfants reste malgré tout précaire, ici et ailleurs. Certains sont si peu pris en considération qu’ils en deviennent invisibles.

Dans le monde

En matière de malnutrition et d’éducation, des progrès notables ont été enregistrés en trente ans. Ce processus, lent mais positif dans la longueur, est freiné par des événements climatiques extrêmes. Des millions d’enfants sont exposés à des situations précaires et dangereuses mettant gravement en péril leur bien-être, leur santé, leur vie et leur développement. La mise en place d’actions concrètes est urgente à différents niveaux : concernant l’accès à l’éducation, l’égalité de genre, la violence armée qui prive (stratégiquement) des enfants d’aliments et d’eau potable, l’exploitation commerciale, sexuelle ainsi que dans les conflits armés, etc. Les violences extrêmes subies par les enfants migrants (dans le pays d’origine et pendant le trajet migratoire) ne peuvent, elles aussi, qu’interpeller.

De fausses représentations

En Belgique, en trois décennies, d’importants changements dans la perception de l’enfant, de ses besoins et des moyens d’y répondre se sont opérés à différents niveaux… jusqu’à entraîner quelques fausses représentations concernant les droits de l’enfant (qui, non, ne façonnent pas des enfants rois !).

Sur le terrain, les inégalités entre catégories d’enfants plus ou moins bien loties sont criantes. Elles sont pourtant structurelles et donc modifiables. D’ailleurs, d’autres pays font parfois mieux avec moins de moyens. Les dénis de droits les plus fréquents touchent les enfants vivant en situation de pauvreté (17,4 % des moins de 15 ans sont concernés, soit un des taux de pauvreté infantile les plus élevés d’Europe ; or, la pauvreté a un impact sur tous les droits de l’enfant), les enfants migrants accompagnés ou non de leurs parents (en Belgique, leur vulnérabilité est accentuée par des pratiques contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant : test osseux, enfermement…), les enfants porteurs d’un handicap et/ou malades (le manque d’inclusion à l’école et dans les loisirs est flagrant en Fédération Wallonie-Bruxelles), les enfants aidants proches (ils sont nombreux, 14 %, mais particulièrement invisibles), les enfants confrontés à la justice (même s’il y a des avancées, comme le Tribunal de la famille et de la jeunesse, les enfants ne sont pas suffisamment protégés ; des pratiques sont contraires à leurs droits : dessaisissement, sanctions administratives communales, enfermement qui n’est pas une option de dernier recours).

Certes, chaque situation est à envisager au cas par cas, et se garder de tout déterminisme est essentiel. Il n’empêche : les enfants de ces catégories dites vulnérables connaissent en moyenne plus la séparation d’avec leurs parents, une moins bonne santé générale, un moindre accès au droit à l’éducation (difficultés d’accrochage scolaire parfois dès la maternelle, échecs, redoublements, orientations parfois abusives vers des types d’enseignement peu valorisés) et aux loisirs. Ils sont par ailleurs plus susceptibles d’être victimes de violence et, d’une manière générale, disposent moins que les autres d’un réel droit à la participation.

L’éducation aux droits de l’enfant est un levier important pour la démocratie. Toutefois, un grand nombre d’entre eux méconnaissent leurs droits.

Dans les familles

L’évolution des modèles familiaux a eu un impact positif sur différents droits de l’enfant parmi lesquels le droit à avoir des relations personnelles avec ses deux parents (notons que les relations à la mère et au père sont désormais sur pied d’égalité du fait de la loi sur l’autorité parentale conjointe – qui ne date que de 1995 – et de celle invitant à privilégier l’hébergement égalitaire lorsque c’est dans l’intérêt de l’enfant) ainsi que le droit à la participation (la façon de communiquer en famille a elle aussi changé). Le droit à un niveau de vie suffisant est aussi concerné par les évolutions sociétales, mais pas dans le sens espéré : la plupart des familles monoparentales sont en situation de précarité.

Rappelons aussi que le taux de maltraitance intrafamiliale est important en Belgique (cinq à six cas par jour en Fédération Wallonie-Bruxelles). Les châtiments corporels ne sont toujours pas formellement interdits. Pourtant, constats de terrain et travaux en neuro­sciences montrent qu’en matière d’éducation, la bientraitance est la voie royale, contrairement à la violence éducative qui porte atteinte à la santé mentale et physique jusqu’à l’âge adulte. Les formations, concertations et campagnes doivent être renforcées.

De la pratique à l’hémicycle

Dans les années précédant l’avènement de la Convention, les droits de l’enfant nourrissaient déjà les pratiques de certains intervenants travaillant avec des enfants. Cette attention a été croissante (mais reste parfois très théorique). Des instances veillant au respect des droits de l’enfant ont été créées à différents niveaux de pouvoir, de manière complémentaire, pour accompagner et sensibiliser les enfants, les familles, les professionnels et/ou les responsables politiques.

La protection des droits de l’enfant doit constituer une mission transversale dans tous les domaines. Pourtant, on constate que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas réellement au centre de l’élaboration des politiques en Belgique : le manque de coordination en la matière est notable, et notamment marqué par l’absence d’un ministre coordinateur au niveau fédéral. Les plans d’action ne font pas l’objet d’une mise en œuvre structurelle, ne sont pas intégrés de manière contraignante et sont bien souvent éloignés de la réalité des enfants les plus vulnérables. Enfin, le soutien des pouvoirs publics a eu tendance à être rogné ces dernières années (alors même que les besoins des enfants et des familles vont grandissant).

L’éducation aux droits de l’enfant est un levier important pour la démocratie. Toutefois, un grand nombre d’entre eux méconnaissent leurs droits. Et quand ils les connaissent, ils ne parviennent pas à les activer ou à les revendiquer. Certains qui se sentent fautifs (de manière justifiée ou non) estiment qu’ils n’ont plus de droits. Plus que jamais, il importe donc que l’éducation aux droits de l’enfant soit transversale, pluridisciplinaire, et « vivante » c’est-à-dire intégrée à la vie quotidienne, de l’école à la famille en passant par les loisirs et l’espace public.