Espace de libertés | Janvier 2020 (n° 485)

GPA : le ventre de la discorde


Libres ensemble

La gestation pour autrui n’est autorisée que dans quelques pays à travers le monde. Parmi eux, la Belgique où elle est tolérée, faute d’être légiférée. Un vide juridique – et une certaine réticence à le combler – qui pousse certains couples homosexuels à se rendre à l’étranger. Sujet éthiquement complexe, il ne fait pas consensus.


Maxime et Jean (1) vivent ensemble depuis huit ans. Dans quelques mois, le couple accueillera un petit garçon. Avoir des enfants est un projet qu’ils portent depuis longtemps. « Cela a pris pas mal de temps avant qu’on se lance dans sa concrétisation », raconte Maxime. Ils ont étudié toutes les pistes, y compris celle de famille d’accueil. « Mais nous avions la volonté de nous investir dans une relation avec un enfant, en étant parents à part entière, sans courir le risque qu’il puisse s’en aller un jour », poursuit-il. En fin de compte, la GPA s’est imposée à eux. D’abord en Belgique (où la gestation pour autrui ne bénéficie pas d’une législation spécifique : recourir à une mère porteuse y est toléré depuis une vingtaine d’années, NDLR) : « Pendant une année, on a exploré ce qui était possible ici. » Une amie du couple souhaitait les aider en portant leur futur enfant. « Mais elle a finalement changé d’avis. En effet, sa famille n’était pas à l’aise avec cette démarche. On a dû laisser tomber alors que les procédures étaient bien avancées. Ce fut une déception, mais nous comprenions la raison de ce refus. » Durant ses recherches, le couple a rencontré de nombreuses femmes qui étaient tentées et motivées par l’expérience, « mais nous avons dû constater, elles comme nous, que l’entourage était réticent à la GPA ».

Après des mois et un projet toujours au point mort, le couple a décidé de se tourner vers les États-Unis où, contrairement à la Belgique, il est possible de rémunérer la mère porteuse. « La rémunération n’est pas une fin en soi, mais elle implique un accompagnement et un encadrement très important avec toute une série d’intermédiaires médicaux, sociaux ou psychologiques. Tout est quadrillé, avec des garde-fous aussi stricts qu’en Belgique », explique Maxime. « Nous avions besoin d’un cadre où tout était clair, et nous l’avons trouvé aux États-Unis. Le rôle des intermédiaires est fondamental pour accompagner la démarche le plus sereinement possible. Il y a effectivement de nombreuses questions qui se posent, très délicates, puisqu’elles touchent à la santé, à l’intime, à la sexualité. Se retrouver devant des professionnels qui peuvent déjouer tous les pièges liés à la GPA permet d’éviter des risques inutiles pour tout le monde. »

Le coût du rêve américain

Ce processus coûte 160.000 euros. La mère porteuse en percevrait 30.000. « Elle est directrice des ressources humaines. Évoquer le seul critère de l’argent n’a pas de sens dans ce cas-ci. Elle rit des débats qui ont lieu en Europe. Je ne suis pas certain que sans cette compensation financière, elle se lancerait dans cette aventure, mais je suis convaincu que cette somme lui permet de réaliser des projets personnels. Il n’y a pas de cynisme là-dedans, et étant donné la bonne relation que nous avons pu tisser avec elle, je n’en vois pas et n’en ressens pas non plus. »

Les États-Unis constituent d’ailleurs une destination privilégiée des couples, homosexuels notamment, qui recourent à la GPA. Didier Disenhaus a deux enfants nés outre-Atlantique. Un choix évident pour l’administrateur de l’ASBL Homoparentalités qui milite pour l’accès des couples LGBTQI+ à la parentalité. « Mon mari est américain et j’ai vécu aux États-Unis la moitié de ma vie. On y a de la famille. Le choix de ce pays s’imposait à notre couple, vu l’encadrement qui y est proposé depuis des années. En Belgique, la pratique se fait dans quelques centres de reproduction, mais de façon extrêmement prudente et marginale. »

Une procédure très stricte

Pour chaque demande, un comité d’éthique doit en effet avoir donné son accord, et les couples, comme la mère porteuse – qui doit être parente ou amie du couple demandeur –, passent par un filtre médical et psychologique de plusieurs mois. « La plus grande prudence est de mise tant pour raison de santé que pour motif éthique, afin d’éviter des imbroglios juridiques qui mettraient les différents protagonistes en difficulté », rappelle Didier Disenhaus. Entre cinq et dix enfants naissent chaque année à Gand dans ce contexte. Depuis 2011, l’hôpital flamand accepte les couples homosexuels masculins, à charge pour eux de trouver des ovocytes. À l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, en quinze ans de pratique, une vingtaine de bébés sont nés par GPA. Mais vu les critères sévères et la longueur des procédures, 40 % des couples abandonnent, tandis que seule la moitié des autres est acceptée. La pratique est loin d’être massive, tant pour les hétérosexuels que pour les homosexuels.

Un vide juridique à combler ?

La gestion pour autrui est pourtant l’une des rares façons d’être parent pour les couples homosexuels, raison pour laquelle l’ASBL milite pour qu’ils bénéficient d’un cadre législatif qui balise les procédures. « Il faut s’assurer que la pratique respecte une éthique positive et que toutes les parties impliquées soient protégées. » Selon lui, l’absence de législation en la matière constitue un choix politique ouvrant la voie tant à une possible exploitation commerciale des plus faibles qu’à des aventures risquées, peu réfléchies ou mal préparées, qui causent parfois des dégâts humains considérables.

Confrontés à ce vide juridique, et à la difficulté d’avoir accès à la GPA en Belgique, les couples LGBTQI+ désireux d’être parents se tournent donc vers l’étranger, États-Unis et Canada en tête. Une pratique courante, mais pas sans peine, poursuit Didier Disenhaus. « Les couples qui profitent de la GPA à l’étranger sortent d’une législation connue. Le pays où le projet parental voit le jour n’est pas celui où l’enfant grandira. Par conséquent, cela implique de se renseigner sur la compatibilité des lois du pays hôte. Toutefois, sans constituer des exemples parfaits, là où elle est organisée de façon professionnelle comme aux États-Unis, et là où la motivation des mères porteuses n’est pas exclusivement financière, les procédures de GPA se déroulent le plus souvent dans des circonstances qui offrent beaucoup de garanties éthiques et juridiques à toutes les parties concernées. »

Si Didier Disenhaus constate que l’opinion publique est moins réticente sur le sujet qu’il y a dix ans, il n’y a en parallèle pas de volonté politique d’avancer. « Depuis 2014, et une étude du Sénat sur le sujet, le dossier stagne. » Selon lui, le législateur devra tôt ou tard trancher sur le sujet, raison pour laquelle il en appelle à une protection juridique forte mettant la loi du côté des femmes s’engageant dans cette démarche, tout en veillant à la protection des droits de l’enfant à naître. « L’ASBL souhaiterait que la procédure soit accessible à toute personne en situation d’infertilité médicale ou sociale. Ceci constituerait un signal fort de la société indiquant que, sans pour autant octroyer un droit à l’enfant, tous les moyens possibles sont mis à disposition de ceux désirant fonder une famille. » Il ajoute : « Chaque femme doit pouvoir disposer de son corps comme elle l’entend et avoir le choix de vivre ou non une grossesse selon ses propres termes et valeurs, sans se voir imposer une définition unique et limitative de celle-ci. »

Pas de ventre à louer !

Un message à l’endroit des associations féministes pour qui la GPA suscite de nombreuses inquiétudes. Dans leur Mémorandum 2019, les Femmes prévoyantes socialistes rappelaient, par exemple, leur lutte contre une appropriation du corps des femmes. « Et nous refusons de devoir ajouter à cette liste la gestation pour autrui. Nous plaidons pour l’adoption de dispositions en vue d’encadrer strictement la GPA en en limitant la pratique aux centres qui la pratiquent déjà. » Les FPS condamnent par ailleurs l’exploitation commerciale. « En effet, cette forme d’exploitation des femmes vient s’ajouter à la brutalité des rapports sociaux de classe : sauf dans quelques cas exceptionnels, purement altruistes, ce sont bien des femmes pauvres qui mettent à disposition leur corps à des couples, homos ou hétéros, plus aisés. »

Selon l’administrateur d’Homoparentalités, la pratique est beaucoup plus altruiste qu’on ne le pense généralement : « Il ressort à l’écoute d’un nombre croissant de témoignages ainsi qu’à la lecture d’études scientifiques sur le sujet qu’une procédure de GPA bien encadrée peut constituer une démarche épanouissante pour toutes les parties concernées. » Beaucoup de militant.e.s féministes, en revanche, remettent en cause cette vision altruiste de la GPA. C’est le cas de Valérie Lootvoet de l’Université des femmes (2) : « La GPA finit toujours par s’inscrire au cœur d’un marché, par exemple via un système de compensation sous forme de cadeaux. […] C’est impossible à réguler. Une loi ne pourra pas éviter ces dérives. Cela crée aussi un appel d’air vers les mères porteuses étrangères, les “locales” étant en nombre insuffisant pour répondre à la demande. D’où un risque de récupération par des filières de traite des êtres humains. […] Une loi d’encadrement de la GPA aurait pour principal effet de la légitimer, de favoriser la demande et donc de développer le marché auquel on prétend vouloir échapper. Dès lors, mieux vaut ne pas légiférer ou alors ne le faire que pour interdire. »

Ainsi, pour certain·e·s militant.e.s féministes, la GPA est tout sauf une piste d’émancipation pour les femmes. Cette méthode de procréation médicalement assistée renvoie à l’épineuse question du choix, tantôt libre et éclairé, tantôt soumis à des contraintes assimilées ou extérieures.

 


(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) « Non à la “maternité d’exploitation” », dans Ensemble, no 93, avril 2017.