Espace de libertés | Mai 2018

Illégalité de l’IVG: l’Irlande va-t-elle bouger?


International

C’est une première en Irlande: un référendum est organisé en ce mois de mai pour sonder la population sur le droit à l’IVG. L’île celtique possède l’une des constitutions les plus restrictives sur le sujet en Europe.


Début mars, la tempête Emma paralyse l’Irlande: les aéroports sont fermés, les vols bloqués, les ferries annulés. L’ensemble des transports publics est à l’arrêt. Plus personne n’entre ni ne sort du pays. Le pain est devenu la denrée la plus recherchée et les Irlandais sont calfeutrés à la maison pendant ces quelques jours de neige. Un épisode drôle, une sortie du quotidien et juste quelques désagréments pour la plupart… sauf pour les 50 femmes qui prévoyaient justement de se rendre cette semaine au Royaume-Uni en vue d’y pratiquer une IVG. Des femmes qui vont devoir reprendre rendez-vous, de nouveaux jours de congé, racheter des billets, à nouveau réserver l’hôtel, repayer le baby-sitter et faire tout cela dans le plus grand secret et à grand coût, financier et émotionnel. Et quid de toutes ces autres Irlandaises qui, par manque de moyen, ne peuvent même pas se permettre un tel déplacement? La Poste est à l’arrêt également. D’autres femmes impatientes attendant de voir arriver leur colis, ce colis de médicaments qu’elles prennent à la maison, seules, sans suivi médical, tout en en sachant que si elles consultaient un généraliste ou une clinique gynécologique, elles risqueraient d’être dénoncées ou de mettre en danger la carrière des professionnels vers lesquels elles se tourneraient. C’est horrible, rien que d’y penser. Mais comment l’Irlande en est-elle arrivée là?

Un droit à la vie, sans discussion

Adopté en 1983, le 8e amendement à la Constitution irlandaise proclame que « l’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant non né et, tout en respectant le droit égal de la mère à la vie, garantit par ses lois à respecter, et dans la mesure du possible, à défendre et à protéger ce droit ». Dans les faits, le 8e amendement criminalise l’avortement en Irlande. Pour avoir accès à une IVG légale, la femme doit se déplacer à l’étranger. Et ceci est vrai dans tous les cas, y compris lors d’un viol, d’inceste, si la vie de la mère est en danger ou si le fœtus présente une malformation qui rendrait la vie extra-utérine impossible. Dans le cas où il y a risque de suicide, exception est faite, mais cela n’arrive pas dans la pratique parce que, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a dit, la femme en Irlande n’a pas de moyen de prouver en temps et en heure le risque de suicide dû à « l’absence de réglementation ou législation rendant une procédure accessible et effective possible ».

Aujourd’hui une femme qui avorte (y compris par voie médicamenteuse), ainsi que quiconque – personnel médical ou non – lui fournit de l’aide risque jusqu’à 14 ans de prison. De 1983, année d’adoption de l’amendement, à 2015, on estime à plus de 160.000 le nombre de femmes vivant en Irlande qui se sont rendues en Angleterre ou au Pays de Galles pour y subir une IVG. Aussi choquants que ces chiffres paraissent, nous savons qu’ils ne reflètent qu’une partie de la réalité puisqu’il n’existe pas de statistiques officielles et parce que nous ne savons pas combien donnent de fausses adresses et de faux noms.

En plus de priver les femmes du droit à l’avortement, le 8e amendement établit aussi une primauté de la grossesse sur l’accès de la mère enceinte à des soins de santé. D’après l’Association pour l’amélioration de la grossesse en Irlande, « le 8e amendement est souvent utilisé afin de refuser à la femme son droit à l’autonomie en matière de prise de décision, et ce, durant la grossesse, l’accouchement et même ensuite. Certaines femmes ont signalé avoir été forcées d’accepter une césarienne ou autres procédure invasives pendant l’accouchement et avoir été menacées d’êtres référées aux services sociaux, psychiatriques ou même de police lorsqu’elles essayaient d’affirmer leur droit à disposer de leur corps ». Il s’agit d’une violation claire du droit à la vie privée et à la santé ainsi qu’aux obligations de lutte contre la torture et autres traitements cruels tels que définis par le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Il arrive même que des femmes se voient privées de leur droit de mourir dans la dignité comme ce fut le cas en 2014 lorsqu’une femme enceinte cliniquement décédée avait été maintenue en vie artificiellement contre la volonté de la famille. Le cas ne fut résolu qu’après que le père de la femme ait obtenu gain de cause devant la Cour suprême, qui a ordonné l’arrêt des soins palliatifs.

Réformer la Constitution: un « oui » massif?

La situation irlandaise a déjà été plusieurs fois condamnée par des instances internationales telles que le Comité des droits de l’homme, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Comité contre la torture et le comité des droits économiques, sociaux et culturels. En outre, des jugements condamnant l’Irlande ont été prononcés par la Cour européenne des droits de l’homme. La directrice de l’Hôpital national irlandais pour la maternité ainsi que son prédécesseur ont tous deux publiquement levé leur voix contre le 8e amendement.

En 2017, cédant à la pression de groupes de militants, le gouvernement a formé une assemblée citoyenne pour l’examiner et 99 citoyens tirés au sort se sont réunis durant cinq week-ends afin d’entendre les contributions de divers groupes et experts sociaux, religieux, médicaux et légaux. À la fin du processus, la recommandation était claire: 87% de ces citoyens ont indiqué que le 8e amendement ne pouvait être maintenu dans sa forme actuelle. Avec une telle majorité, le besoin de réforme ne pouvait plus être ignoré.

Suite au rapport de l’Assemblée citoyenne porté devant une commission multipartite du Parlement, la recommandation fut faite d’organiser un référendum sur la question et d’envisager une nouvelle législation permettant l’accès à l’IVG si l’amendement était aboli par le référendum. Ce sera la première fois en Irlande que les femmes étant en âge de procréer auront l’opportunité de voter sur ce sujet. Malheureusement, ce référendum ne viendra pas assez tôt pour les femmes bloquées par la tempête Emma. Mais espérons qu’il permettra qu’aucune femme n’ait plus besoin de se rendre à l’étranger pour des soins auxquels elle devrait avoir accès dans l’hôpital ou le centre de soin de santé le plus proche de son lieu de vie.