Espace de libertés – Novembre 2016

La gratuité de l’école: une revendication laïque


Dossier
Parce que l’école contribue à former les citoyens de demain que nous voulons libres et autonomes, acteurs d’une société plus solidaire et plus égalitaire, l’école a toujours été pour le mouvement laïque une priorité et un enjeu privilégié. De l’utopie à la réalité: quelles mesures pour réduire les coûts?

Depuis toujours, notre objectif est de défendre une école de tous, pour tous, publique et gratuite, réduisant autant que possible les inégalités de départ. Tous les enfants, quel que soit le milieu dont ils sont issus, doivent pouvoir bénéficier des mêmes chances et des mêmes opportunités pour se construire un avenir. Tout enfant a le droit de choisir ce qu’il fera de sa vie en fonction de ses propres capacités et de ses propres souhaits… et non selon le niveau de revenu de ses parents.

Aujourd’hui, le constat est pourtant amer. Malgré les réformes successives, notre système d’enseignement persiste à reproduire les inégalités sociales. Pire, il les renforce. Ce constat est régulièrement fait par de multiples acteurs de la société. Ainsi, lors de son congrès en 2014, le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège réaffirmait son projet d’école: une école de l’égalité et de la mixité. Il y défendait quatre propositions (1) parmi lesquelles la création d’un réseau d’enseignement unique, public et gratuit. La question de la gratuité est à cet égard essentielle car à travers celle-ci, c’est bien le principe d’égalité d’accès à l’enseignement qui est en cause.

Une gratuité toute relative

Officiellement, l’école est obligatoire et gratuite. La réalité est tout autre.

De nombreux textes nationaux et internationaux reconnaissent la gratuité de l’enseignement obligatoire comme un droit fondamental. Officiellement donc, l’école est obligatoire et gratuite. La réalité est tout autre dans la mesure où les frais de déplacement, de matériel scolaire et d’activités extrascolaires incontournables sont à la charge des parents. S’y ajoute, par ailleurs, la pratique persistante de certains établissements réclamant des frais importants et outrepassant les règles en vigueur. Un modus operandi qui entretient la concurrence, exacerbe la sélection et fige l’homogénéité des publics scolaires.

Par ailleurs, beaucoup de frais présentés comme facultatifs sont ressentis comme obligatoires par les parents. La pression sociale, la volonté de ne pas exclure son enfant, l’autorité que représente l’école, ou encore la mauvaise communication, transforment ces propositions faites aux familles en obligations.

Un réel obstacle à l’émancipation

Les chiffres sont effarants: en Belgique, 420 000 enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Concrètement, cela représente un jeune sur cinq en Belgique, un sur quatre en Wallonie, quatre sur dix à Bruxelles. La crise qui s’éternise et les politiques d’austérité actuelles ne n’incitent guère à l’optimisme. Le coût de l’école est donc un réel problème et une source de tensions pour beaucoup de familles. Les problèmes d’argent, lorsqu’ils doivent être réglés, polluent la relation triangulaire école-élèves-parents. Trop souvent encore, des élèves sont privés de certaines activités (des parents préfèrent garder leurs enfants à la maison lorsqu’ils ne peuvent payer certaines factures, des enfants intègrent l’autocensure dans leur fonctionnement) ou utilisés comme messagers pour transmettre des mises en demeure. Cette situation leur impose non seulement une pression psychologique, mais a pour effet aussi de les stigmatiser et de les priver concrètement de certaines possibilités. Pour les parents s’y ajoutent la culpabilité et la tentation d’éviter les contacts avec l’école, les réunions, les convocations; cette situation les pousse à fuir, parfois en changeant leurs enfants d’école.

Quelles mesures… des mesurettes?

De nombreuses associations tirent la sonnette d’alarme depuis des années et réclament un enseignement qui soit vraiment gratuit pour tous. Des propositions et des pistes de travail ont été énoncées (abolir les frais facultatifs, renforcer les contrôles, plafonner certaines dépenses…), des manifestes rédigés, des règles édictées par nos responsables politiques (distinction entre frais autorisés, interdits, facultatifs, mise en place d’un paiement forfaitaire, de décomptes périodiques). De multiples initiatives sont également prises sur le terrain par des directions, des enseignants, des pouvoirs organisateurs, des associations de parents pour réduire au maximum les coûts à charge des familles: la mise en place de mécanismes de solidarité, l’organisation de bourses, des achats groupés pour les fournitures et les ressources pédagogiques, des facilités de paiement… Mais force est de constater que ces mesures ne suffisent pas à briser les barrières financières et symboliques qui empêchent chaque enfant de profiter pleinement de l’enseignement. La gratuité ne pourrait-elle donc pas s’étendre, comme cela se fait dans certains pays, aux fournitures scolaires, aux repas pris à la cantine, aux transports, aux sorties pédagogiques, sportives et culturelles… et, d’une manière générale, à toutes les prestations auxquelles chaque enfant doit de toute façon avoir accès, quelle que soit son origine sociale, durant la scolarité obligatoire (2)?Allons-nous encore longtemps accepter que certains enfants soient privés de certaines prestations parce que leurs parents n’en ont pas les moyens? Que ces mêmes enfants soient victimes de vexations inutiles, qu’ils soient parfois humiliés et stigmatisés?

La gratuité est un principe fondamental. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de mesurettes, certes bienveillantes, voire déculpabilisantes, mais qui sont loin d’être à la hauteur de l’enjeu auquel elles renvoient. L’école est importante parce qu’elle donne des perspectives aux enfants, disait Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (3); elle offre des opportunités d’émancipation à tous les enfants quel que soit leur milieu d’origine. Lever tout obstacle à la gratuité, c’est permettre à toutes les familles de vivre l’école comme le lieu du possible pour leurs enfants. C’est aussi, et surtout, ne pas laisser un enfant éteindre ses rêves. Tel est le prix que notre société se doit d’assumer, celui d’une société progressiste et humaniste.

 


(1) « École + Mixité = Égalité. Actes du Congrès du 10 mai 2014 », mis en ligne sur http://calliege.be, pp.33-35

(2) CEDEP, « Réflexion en vue d’un système éducatif plus performant pour tous les enfants », mis en ligne sur www.cedep.be, p. 9.

(3) À l’occasion de la table ronde « L’école gratuite: info ou intox? », organisée à la Cité Miroir à Liège le 23 novembre 2015.