Espace de libertés | Mai 2019 (n° 479)

Laïcité et liberté : un lien indéfectible


Dossier

Dans ce dossier et a fortiori dans ce magazine, c’est la question clé, aussi évidente que complexe : dans quelle mesure la laïcité permet-elle de défendre nos libertés fondamentales ?

Printemps 2016. Au terme d’une longue réflexion visant à faire toute la clarté sur le principe de laïcité qui l’anime, le Centre d’Action Laïque a modifié ses statuts qui définissent désormais la laïcité comme « le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse. Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen ». Les libertés sont donc au centre des préoccupations du mouvement laïque aux côtés des valeurs d’égalité et de solidarité, comme en témoigne aussi le mémorandum 2019 du Centre d’Action Laïque rédigé en vue des scrutins de mai prochain1.

Un principe fondateur et universel

En ce qu’elle garantit la liberté de croire ou de ne pas croire (donc d’être apostat), la liberté de conscience, la liberté de pensée, la liberté d’opinion et d’expression (donc de critiquer voire blasphémer), la liberté d’assumer ses choix de vie (donc de disposer de son corps), la laïcité se veut un principe à portée universelle dans l’espace et dans le temps. Principe universel ou à vocation universelle, la laïcité autorise, sans exclusion, toutes les libertés. Ni plus ni moins.

Mais quelles libertés et quelle effectivité de ces dernières l’État peut-il garantir aux citoyens et citoyennes lorsqu’ils et elles ne disposent pas des outils qui leur permettent d’assumer leurs choix ? Peut-on trouver une place pour ces libertés en l’absence d’émancipation ? La laïcité et les obligations corollaires qui s’imposent aux pouvoirs publics permettent à tout un chacun d’être tout à la fois bénéficiaire et acteur de ces libertés fondamentales, ne cantonnant pas ces dernières à un catalogue de bonnes intentions reprises dans des déclarations internationales.

Ainsi, afin de garantir l’exercice de ces libertés, l’État se doit donc d’assurer la pratique du libre examen en organisant un enseignement public, neutre, gratuit et obligatoire ainsi que des actions d’éducation permanente. Mais il doit aussi assurer l’impartialité des pouvoirs publics, l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les racismes et la xénophobie ou toute autre entrave aux libertés individuelles, car on assiste à une résurgence d’idéologies totalisantes qui se présentent comme « naturelles » et qui, sous ce masque, visent à l’hégémonie. De telles idéologies mettent à mal le respect des libertés, de l’égalité et de la solidarité, qu’il s’agisse de conceptions ultrareligieuses, populistes ou encore de formes débridées du capitalisme. Or, c’est bien de cela que la laïcité protège les citoyens et citoyennes en vue de leur garantir une société paisible, diversifiée et juste.

Le libre examen comme outil d’émancipation

Pour Lucia De Brouckère, laïcité et libre examen sont les deux faces d’une même pièce. En tant que méthode, le libre examen consiste à soumettre à l’épreuve de son propre entendement, de son propre raisonnement, à sa propre expérience, toute proposition qui nous est faite et de ne pas l’accepter parce qu’elle émanerait de quelque autorité que ce soit. Parce qu’à la différence de communautés ou sociétés identitaires au sein desquelles l’humain est déterminé de façon univoque par son appartenance à une tradition (nationale, religieuse, culturelle…), à une idéologie, par des racines qui conditionnent sa place et son destin, la laïcité propose de lui garantir le droit à la singularité, à l’émancipation, l’accès au savoir, patrimoine commun de l’humanité, de manière universelle.

Le libre examen permet donc à chacun de s’autodéterminer et de penser sa morale. Mais s’il en autorise une infinité, il ne les permet pas toutes. C’est pourquoi l’État doit permettre à chacun de revendiquer sa liberté d’examen, c’est-à-dire son droit de remettre en question, d’assurer le choc des idées, de critiquer le « sacré » d’autrui dans le respect de sa personne et de sa liberté d’opinion. Finalement, le libre examen forme avec la liberté d’expression l’antidote aux radicalisations.

En filigrane, on comprend pourquoi la laïcité ne se retrouve pas dans le terme « neutralité » que certains (à tort) lui préfèrent, prétextant que le terme de laïcité est devenu clivant dans nos sociétés occidentales, car certains n’ont eu de cesse d’abuser de ce terme, de le malmener, de le tordre, et même de le dévoyer. Marine Le Pen, pour ne citer qu’elle, n’a jamais hésité à arguer de la « laïcité » pour se porter en grande défenseuse de valeurs républicaines… hostiles à l’islam. Or, une simple neutralité de l’État impliquerait qu’il s’abstienne d’intervenir sur le terrain convictionnel, alors que la défense des libertés fondamentales nécessite une action volontariste d’un État de droit.

Une société plurielle…

Dans un autre registre, d’aucuns tentent de presser les pouvoirs publics à intervenir afin de « défen[dre] nos valeurs et nos traditions […] de garantir “nos références culturelles et traditionnelles. […] Saint-Nicolas doit conserver sa croix sur sa mitre, Père Noël ne doit pas devenir ‘un simple fournisseur de cadeaux de fin d’année’ et la Toussaint doit conserver son appellation attachée, liée et correspondant à cette semaine de congés scolaires à la fin du mois d’octobre et au début du mois de novembre. Les marchés de Noël et leur appellation ainsi que les sapins de Noël doivent continuer à être des symboles emblématiques de nos traditions de fin d’année”. Ceci, au nom ce fameux “vivre ensemble” »2. En dépit, donc, de l’impartialité proposée par la laïcité et aux antipodes de ce qu’elle propose : une société plurielle.

… dans un État laïque

À l’heure où les radicalismes invitent aux replis identitaires, il en est d’autres qui, ne voulant pas jeter le bébé avec l’eau du bain, considèrent que ces détournements sont autant de signes des dangers qui menacent la laïcité et qui pensent qu’il est dès lors impératif de reprendre le bâton de pèlerin pour activement la défendre et la promouvoir. Et si le terme de laïcité semblait avoir disparu du vocabulaire politique et des programmes des partis, on peut se réjouir de le voir progressivement y réapparaître. Du bon côté de la démocratie, cette fois. À ceux-là, il importe d’inscrire le principe de laïcité au rang des garanties accordées à tous, c’est-à-dire dans la Constitution.

Cette question de l’inscription du principe de laïcité dans la Constitution ou de son ajout dans un préambule au texte constitutionnel avait été abordée en début de législature, mais avait dû être mise en sourdine en raison des attentats de mars 2016. Les députés qui planchaient sur le sujet étant appelés sur d’autres fronts. Elle est revenue sur la table via les conclusions du Chantier des idées du PS qui se montrent favorables à l’introduction de la laïcité de l’État dans la Constitution. Position que Défi avait adoptée en décembre 2015 avec une proposition de loi qui évoquait déjà la primauté de la loi civile sur les religions. Le débat s’est embourbé dans des considérations linguistiques, tendant vers le plus petit commun dénominateur, en dépit des rappels que l’actualité politique et sociale nous adressait. Car ces derniers mois nous ont permis de constater que la laïcité est loin d’être « ringarde » et que les grands combats laïques (le droit à l’avortement, la contraception, la liberté d’expression, la solidarité) sont tout sauf acquis.


1 Mis en ligne sur memorandum 2019.laicite.be
2 Proposition de résolution du 30 mai 2018 visant à protéger les traditions qui sont le fondement de notre société en les intégrant au sein du patrimoine immatériel de l’UNESCO déposée par M. Jean-Luc Nix, Mmes Françoise Bertiaux, Marie-Françoise Nicaise et M. Fabian Culot.