Espace de libertés – Octobre 2016

Un « Refuge » pour les jeunes homos en rupture


Dossier
Que faire quand on a 18 ans et que son entourage rejette son homosexualité ou sa transsexualité? En France, le Refuge propose d’héberger ces jeunes et les aide à renouer le dialogue ou à s’autonomiser. En Belgique, des initiatives existent mais il n’y a rien de comparable à l’accompagnement global proposé par l’association française. Un manque criant pour ces jeunes qui se retrouvent de facto dans les structures classiques.

La plupart du temps, la rupture est provisoire. Mais parfois elle s’avère définitive. Pour un jeune, annoncer son homosexualité à son entourage reste un moment critique. « Ma mère avait découvert mon homosexualité en me faisant suivre. Quand elle l’a dit à mon beau-père, il est entré dans une rage folle. Il a pris mon GSM, mes clés de voiture et a arraché les câbles internet », se souvient Anthony de cet été passé quasi enfermé dans sa chambre. C’était il y a dix ans, il en avait vingt à l’époque. « Il m’a dit que si un homme venait me chercher, il foncerait dans sa voiture ». Une violence verbale qui, à certains moments, est devenue physique. « Quand j’ai senti que ma mère ne prenait même plus ma défense, j’ai préféré m’effacer. Je ne voyais pas d’issue. J’ai même pensé au suicide. J’ai pris un sac et je suis parti. »

Appels à l’aide

Anthony trouve finalement refuge chez sa grand-mère d’où il renouera progressivement le dialogue. Mais pour d’autres jeunes en revanche, ces moments de crises sont l’amorce d’une rupture définitive qui passe par la case « rue ». En 16 ans, Fabien Gilliard du Service social de l’association Tels Quels à Bruxelles a vu passer des appels de détresse. « Des témoignages de ce type étaient très courants à mes débuts. Aujourd’hui, il y en a moins. Sans doute parce que le regard que la société porte sur les homosexuels a évolué. » Malgré le chemin parcouru quand la rupture avec l’entourage se produit, elle est souvent radicale. « Il s’agit souvent d’histoires familiales très lourdes avec de la violence orale et parfois physique », explique Arnaud Arseni, chargé de projet à Arc-en-Ciel Wallonie. Les associations de terrain improvisent dans l’urgence. « On essaye d’y faire face comme on peut mais c’est toujours du cas par cas. »

En France, Le Refuge a été créé pour répondre à ces situations de détresse. L’association vient en aide aux jeunes homosexuels ou transgenres âgés entre 18 et 25 ans en rupture avec leur entourage. Cette structure unique propose un hébergement temporaire d’un mois renouvelable dans des appartements ainsi qu’un accompagnement social, médical, psychologique et juridique du jeune.

© Suzy CohenUn refuge pour (se) reconstruire

Deux options s’offrent à ces jeunes. Soit ils souhaitent retourner dans leur famille et s’engagent alors un travail de médiation familiale encadré par l’association. Soit ils font le choix d’une rupture totale. Les jeunes sont alors entourés par une équipe de professionnels et de bénévoles qui vont les aider à se reconstruire et à trouver une voie professionnelle.

Financé à 70 % par des dons privés, des particuliers et des entreprises, Le Refuge dispose d’une septantaine de places d’hébergement en appartement à Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Montpellier. L’association met également à disposition des chambres d’hôtel à Lille, Strasbourg, Renne, Avignon… En 2014, 237 jeunes ont été accueillis dans tout l’hexagone. Depuis peu, des antennes ont été ouvertes en Suisse (Genève) et en Italie (Rome).

De l’avis de tous les acteurs de terrains, une structure [comme le Refuge] aurait tout son sens en Belgique francophone.

Et en Belgique? Frédéric Gal, directeur général du Refuge, était à Namur au mois d’avril 2016. « Deux ateliers ont été organisés avec Arc-en-Ciel Wallonie sur la question du travail social et les victimes d’homophobie, explique-t-il. L’idée d’un Refuge belge a été évoquée. » De l’avis de tous les acteurs de terrains, une structure semblable aurait tout son sens en Belgique francophone. L’idée fait son chemin mais bute contre une série d’obstacles. « On y réfléchit dans l’associatif, explique Fabian Gillard. Mais ça pose des questions, notamment par rapport à l’encadrement nécessaire. Il faut des psychologues, des assistants sociaux, des éducateurs presque 24h/24h ».

La Belgique à la traîne

Arnaud Arseni pointe une autre difficulté: « L’association fonctionne principalement sur base de dons privés, encouragés grâce aux parrainages de personnalités, aux campagnes et au soutien d’entreprises ». Un modèle essentiel à sa survie mais qui est difficilement transposable en Belgique francophone. Alors, en attendant, quand elles sont confrontées à des situations d’urgence, les associations renvoient les jeunes vers les centres d’hébergement classiques comme les AMO (aide aux jeunes en milieu ouvert) pour les plus jeunes ou le SAMU social. Avec des solutions d’hébergement souvent très provisoires. « Pour les cas d’urgence, on est en mesure de proposer un hébergement à court terme. Une nuit renouvelable une voire deux fois quand vraiment il n’y pas moyen de faire autrement », insiste Stéphane Catarossi, coordinateur pédagogique de l’AMO Le point jaune à Charleroi.

Du côté du SAMU social, on voit passer des jeunes qui présentent ce profil. Des services sociaux qui ne sont pas nécessairement les mieux outillés pour faire face à ces situations. La dimension « identité sexuelle » ne fait a priori pas du tout partie de l’accompagnement proposé. « Ces jeunes parlent généralement peu de leur homosexualité ou ont appris à la cacher pour éviter des problèmes en rue », explique Vincent Monteca, coordinateur du SAMU social. « Sauf s’il n’y a pas de problématiques de santé, de santé mentale ou de prostitution qui font qu’on aborde spécifiquement la question, on passe totalement à côté de la question de l’identité sexuelle. »

Structures inadaptées et dangereuses

D’autant qu’en mettant ces jeunes dans ces structures classiques, on les expose à des risques d’agression, de viol, voire de prostitution. « On tente de les protéger en les mettant dans des plus petites structures d’hébergement de manière à les tenir à l’œil. On fait aussi très attention à les mettre dans des chambres avec des personnes capables de supporter ce type de cohabitation », poursuit-Vincent Monteca en expliquant les difficultés et la nécessité de faire cohabiter tous les publics accueillis par le SAMU social. « Nous ne sommes pas en mesure d’offrir un accompagnement spécifique pour ces jeunes. Tout au plus, ce sont des aménagements pratico-pratiques de manière à ce que ça se passe le mieux possible », regrette-t-il.

Pour lui, « la rue » est le dernier endroit où ces jeunes fragiles, isolés et dans le besoin devraient se retrouver. Il insiste: « L’homophobie n’y est pas nécessairement plus présente là qu’ailleurs. Mais dans la rue, il n’y pas de cadre. La violence s’exprime plus facilement. On comptabilise plus de cas de harcèlement et de passages à l’acte. »