En 2017, le Centre d’Action Laïque lançait une campagne intitulée Pas de murs à nos frontières. Il s’agissait d’attirer l’attention sur le fait que toutes les politiques de migration et d’asile qui prétendent maîtriser la mobilité des humains sont vouées à l’échec. En effet:
- elles nient la dignité des êtres humains qui cherchent à fuir des situations insupportables;
- elles creusent des fossés entre pays d’émigration et pays d’immigration;
- elles attisent les tensions et alimentent la méfiance et l’hostilité réciproques entre les peuples et les individus;
- elles font le jeu des mafias qui s’enrichissent sans vergogne dans le trafic des êtres humains et le travail au noir;
- elles sont hypocrites car elles se limitent souvent à de la rhétorique, des effets d’annonces, et quelques mesures spectaculaires mais limitées;
- dans la pratique, elles en arrivent à tolérer la présence d’une majorité de clandestins tout en les rejetant dans les discours, à les précariser sans leur accorder de droits; à les insécuriser inutilement sans leur donner une chance de trouver leur place;
- elles sont contreproductives pour les finances publiques;
- enfin, elles sont tout simplement déshonorantes pour tous.
De façon répétée, la Belgique est condamnée par les juridictions nationales et internationales pour ses carences en matière de politique d’accueil.
Aujourd’hui, dans un prononcé cinglant, c’est à nouveau la Cour européenne des droits de l’Homme qui somme la Belgique de fournir à près de 150 personnes un hébergement et une assistance matérielle pour faire face à leurs besoins élémentaires, comme le prévoit la loi (1). Cette décision intervient après plusieurs ordonnances du tribunal du travail de Bruxelles, qui avaient imposé à Fedasil de fournir aux demandeurs un hébergement, quel qu’il soit. Selon la Secrétaire d’État Nicole de Moor, si ces ordonnances n’ont pas été exécutées par Fedasil, c’est en raison d’un manque de place et non d’une volonté politique.
Une crise structurelle
Pourtant, le constat n’est plus à faire: la crise de l’accueil en Belgique est structurelle. La saturation du réseau constatée aujourd’hui n’est qu’une énième manifestation du manque de solutions durables en faveur des personnes en demande de protection internationale. La gestion au coup par coup, d’urgence en urgence, crée un effet de yo-yo: lors d’un afflux de réfugiés dit exceptionnel, on ouvre des places d’accueil refermées dès que le flux semble se tarir. C’est cette décision politique d’ouverture-fermeture, appliquée depuis des années, qui a produit les crises successives; la responsabilité des manquements dénoncés est donc bien politique.
Si la Belgique a été largement en mesure d’offrir aux réfugiés ukrainiens la protection temporaire décidée par l’Union européenne – ce dont le Centre d’Action Laïque se réjouit –, comment ne pas s’étonner des disparités profondes avec le traitement réservé en matière de conditions d’accueil aux étrangers provenant d’autres pays?
Penser la migration comme une anomalie ou un problème à résoudre empêche de se préparer aux transformations profondes que notre monde connaîtra ces prochaines décennies.
Penser la migration comme une anomalie ou un problème à résoudre empêche également de se préparer aux transformations profondes que notre monde connaîtra ces prochaines décennies. D’ici 2050, l’ONU annonce 250 millions de réfugiés climatiques. Actuellement, 85% des événements environnementaux extrêmes qui poussent les populations à l’exil sont déjà liés au réchauffement de la planète. Ainsi, il est temps d’envisager la protection internationale non seulement en vertu de la justice sociale, mais également sous le prisme de la question environnementale.
Des solutions ambitieuses et à long terme
Les crises migratoires successives qui ont traversé le pays ces dernières années ne peuvent se penser indépendamment les unes des autres. Si la Belgique veut se montrer à la hauteur de l’éthique démocratique, et accessoirement rencontrer ses obligations internationales, le logiciel de sa politique d’accueil doit faire l’objet d’une sérieuse mise à jour qui intègre aux décisions les valeurs d’ouverture et d’humanisme, afin de renforcer la solidarité et construire le monde de demain.
C’est pourquoi, le Centre d’Action Laïque appelle à nouveau le gouvernement à respecter ses obligations nationales et internationales en matière d’accueil, dans des conditions conformes à la dignité humaine et dans le respect des droits fondamentaux. Il demande aussi aux responsables politiques présents et à venir de proposer des solutions structurelles, ambitieuses et à long terme pour que cette crise soit la dernière et que notre politique d’accueil puisse enfin être qualifiée d’humaine.
Véronique De Keyser
Présidente du Centre d’Actio Laïque
Envie d’aller plus loin?
- Campagne Pas de murs à nos frontières, dont les cartes blanches:
- Qui frappe ainsi? (23.01.2018)
- Des couloirs humanitaires qui posent question (28.11.2017)
- Cet été, irez-vous vous baigner dans un cimetière? (30.06.2016)
- Mare Nostrum ou Oceano Nox ? (07.05.2015)
- En télé et en radio:
- Accueil des réfugiés en Europe : double registre (TV – 20.03.2022)
- Asile et migrations: une année particulièrement sombre (radio – 18.12.2021)
- Du côté de nos éditions:
- Au-delà des frontières, François Gemenne et Pierre Verbeeren (2018)
- Dossier Circulez, y a tout à voir!, Espace de libertés n° 464 (décembre 2017)
(1) Crise de l’accueil: la CEDH tacle la Belgique et Fedasil, leur ordonnant d’héberger 148 demandeurs d’asile, 16.11.2022, rtbf.be