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Cannabis: vers un changement de paradigme?

Cannabis: vers un changement de paradigme?

Le 6 décembre, à Charleroi, le Centre d’Action Laïque a proposé une journée de réflexion dans le cadre de sa campagne communautaire « Cannabis, réglementons!« .

Au cours de cette journée, tout d’abord, nous avons pu apprendre que cette envie de l’être humain, qui cherche à modifier son état de conscience, n’est pas nouvelle. Le site archéologique de Gobekli Tepe, par exemple, nous en montre déjà des traces qui remontent à plus de 10.000 ans. Historiquement, plutôt que la condamnation que nous connaissons aujourd’hui, c’est l’insouciance qui a majoritairement primé. Il y a toujours eu de la consommation de produits psychotropes, mais on s’en fichait éperdument.

Un 20e siècle moraliste

Avec le 20e siècle, nous sommes entrés dans un nouveau paradigme résolument moraliste. La consommation existe toujours, mais on voit apparaitre des lois qui l’interdisent. Or, tout le monde s’accorde sur l’échec de cette nouvelle approche. La prohibition est très coûteuse, la consommation ne diminue pas, l’absence de règlementation induit une menace pour la santé publique, les dealeurs s’enrichissent, la criminalité augmente…

Pour l’avenir, l’idée serait de se diriger vers un nouveau paradigme, centré sur la personne, pour nous distancer de cette approche moraliste inefficace, centrée sur la substance, qui ne prend pas en considération les besoins et envies de l’individu. Pour justifier cette dynamique, les arguments ne manquent pas.

Pour l’avenir, l’idée serait de se diriger vers un nouveau paradigme, centré sur la personne.

Focaliser notre attention sur le produit évite de perpétuer les classifications actuellement actives qui ont tendance à relativiser la problématique de la dépendance en fonction du produit auquel elle s’attache. Entre, le tabac et l’alcool considérés comme des substances « à moindre et risque », et toutes les autres drogues qui figurent dans la liste des « stupéfiants », il y a une sémantique qui joue un rôle important sur la manière dont nous les percevons.

Or, d’un point de vue psychanalytique, peuvent être considérés comme drogues l’ensemble des produits qui nous offrent une distraction, passagère, grâce à laquelle nous pouvons oublier notre condition humaine et l’inévitabilité de notre mort. Ce faisant, nous pourrions même identifier une sorte de nécessité anthropologique qui nous pousse, toutes et tous, à consommer des drogues. Dans ce cas, la consommation apparait comme étant indispensable afin de réduire l’influence de notre finitude sur nos expériences de vie quotidienne.

Ce qui fait que certains produits semblent plus acceptables que certains autres, c’est la tradition. Néanmoins, toutes les études et analyses prouvent, par exemple, que l’alcool crée beaucoup plus de problèmes dans la société que le cannabis. Pourtant, le premier reste légal alors que le second ne l’est toujours pas. En conséquence, les personnes qui rencontrent des problèmes avec l’alcool sont dirigées vers les services de santé, alors que les personnes qui rencontrent des problèmes avec n’importe quelle autre drogue sont dirigées vers la justice.

Se focaliser sur le produit permet le développement d’une approche plus efficace.

Cette réalité semble aberrante, mais elle est néanmoins effective. Se focaliser sur le produit permet le développement d’une approche plus efficace, plus cohérente et plus en phase avec les réalités contemporaines.

Si on se concentre sur le cas spécifique du cannabis, on observe que sa consommation peut avoir des effets bénéfiques sur chacun d’entre nous. Certes, cette substance peut également avoir des effets négatifs, mais pas davantage que ce que l’on observe des conséquences de la consommation d’autres produits qui sont en vente légale. Que ce soit via le THC (1) ou via le CBD (2), les tests qui ont été réalisés démontrent une efficacité indéniable pour le traitement de la douleur, des nausées, du stress et des problèmes d’appétit.

Ce qui bloque, ce qui fait que nous sommes toujours enfermés dans ce paradigme moraliste, c’est la résistance au changement. Il est plus simple de vivre avec ses habitudes, bonnes ou mauvaises, que de remettre en question ses certitudes. Nous nous enlisons alors dans une forme d’hypocrisie politique, car tout le monde sait que cette consommation existe, elle reste tolérée dans certains cas, mais le droit pénal continue de sanctionner les comportements consommateurs.

Pour une modification de la loi de 1921

C’est pour toutes ces raisons que le Centre d’Action Laïque a souhaité se mobiliser en faveur d’une modification de la loi de 1921. Non seulement, cet engagement est le résultat de toutes les analyses qui nous ont été présentées tout au long de la journée, mais surtout, c’est le résultat de la prise en considération des valeurs défendues par le mouvement.

Il est préférable de responsabiliser que de criminaliser, d’encourager l’autonomie que de s’enfermer dans l’assistanat, de respecter les libertés individuelles que de chercher à les restreindre.

La laïcité se refuse à définir, de manière paternaliste et arbitraire, ce qui est bon ou mauvais pour les gens. Il revient à chacun, faisant usage de sa liberté individuelle, de définir si, oui ou non, il désire consommer l’un ou l’autre produit psychotrope. Il est préférable de responsabiliser que de criminaliser, d’encourager l’autonomie que de s’enfermer dans l’assistanat, de respecter les libertés individuelles que de chercher à les restreindre.

On peut observer, objectivement, que les choses évoluent dans le sens de ces revendications. Les différents sondages réalisés par le CAL témoignent qu’une majorité de citoyens belges sont prêts à franchir le pas de la régularisation. Un grand nombre de partis politiques, nous en avons eu la confirmation pendant l’après-midi, semblent prêts à appuyer des propositions de lois progressistes qui défendraient une approche différente du paradigme moraliste contemporain.

Au regard de tout ce qui a été exprimé tout au long de la journée, au regard des valeurs humanistes de respect, d’émancipation et d’autonomie défendues par le mouvement laïque, au regard des réalités sociétales et en prenant en considération la nécessité de s’inscrire dans une dynamique progressiste, il apparait particulièrement important de poursuivre ce travail de revendication dans l’espoir qu’il finisse par aboutir.

Sauf à assumer que l’on s’installe dans une attitude rétrograde et moraliste, il est compliqué de s’opposer ouvertement à cette revendication libérale concernant la réglementation de la vente du cannabis. Cependant, il serait naïf de s’imaginer qu’une nouvelle loi pourra être votée sans que cela ne génère des oppositions fortes. Il est indéniable que la défense d’un dossier comme celui-ci demande du courage politique pour aboutir.

Cela étant, du côté de la laïcité, nous sommes habitués à défendre des idéaux qui ne font pas l’unanimité. Funérailles civiles, le droit de mourir dans la dignité, la sortie de l’IVG du Code pénal, le cours de philosophie et de citoyenneté, l’EVRAS… Nous avons appris, au fil du temps, à persévérer dans nos revendications en espérant que les mentalités évolueront vers toujours plus d’humanisme, plus de liberté, plus d’égalité et plus de solidarité.

En ce qui concerne le dossier des drogues, et plus spécifiquement la question de la réglementation de la vente du cannabis, nous ne pouvons que nous réjouir en constatant qu’un si grand nombre de personnes nous soutiennent et se disent prêtes à évoluer dans le sens de ce que nous réclamons. Tout laisse à penser que nous sommes en droit d’adopter une attitude optimiste et que l’évolution en cours finira par aboutir à l’instauration d’un paradigme pragmatique, plus réaliste que ce que nous connaissons actuellement.

Dans l’attente, nous continuerons d’agir, quotidiennement, dans l’espoir d’accélérer ce processus. Ce faisant, nous nourrissons l’espoir de voir de plus en plus de personnes nous rejoindre et porter cette revendication à nos côtés.

Il ne suffit pas de constater qu’une majorité de personnes défend une même idée, car il sera toujours nécessaire de se mobiliser pour faire évoluer la société.

 


Texte proposé par Philippe Luckx, directeur du CAL Charleroi, tiré de ses conclusions de la Journée de sensibilisation du 6 décembre 2018

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