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Et si la mort était belle ?

Et si la mort était belle ?

C’est sans grande joie que nous retrouvons dans La Libre (mercredi 29 mai) la rhétorique habituelle de l’archevêque Léonard dans sa croisade contre les libertés individuelles. L’amalgame, la désinformation, le raccourci facile, le mensonge par omission, le supposé présenté pour vrai, l’argument bâti sur un faux socle: ces techniques sont éculées et archiconnues de tout qui se pique un peu de sémantique. Comme disait Nietzsche: « Quand on a la foi, on peut se passer de la vérité. »

André-Joseph Léonard recourt sans retenue à ces techniques de mystification: attaque contre les corps constitués, apologie des interdictions, choix de la « vie » envers et contre tout (qu’importe sous quelle forme et dans quel état), déni du droit et de la liberté de conscience des êtres humains.

L’Eglise, par la voix de son chef en Belgique, tente une fois encore d’imposer sa vision à tous les citoyens, qu’ils soient ou non adeptes de la foi catholique

Dans sa sortie contre la loi dépénalisant l’euthanasie, le prélat dit ainsi tout le mal qu’il pense de ceux qui choisissent de mourir dans la dignité pour ne pas vivre dans l’indignité: « leur appel de détresse ne doit pas nécessairement être interprété comme une volonté de mourir à proprement parler ».

C’est bien connu, tous les mourants qui veulent abréger leurs souffrances et le demandent clairement sont des débiles à moitié inconscients dont il est urgent de faire le bonheur malgré eux, grâce aux sacro-saints « soins palliatifs ». De la morphine jusqu’à extinction des feux, c’est évidemment nettement plus « digne », il suffit d’aller voir à quoi ça ressemble pour s’en persuader. Un mot sur le fait que « mettre fin délibérément à la vie » équivaut à « transgresser l’interdit (nous y voilà), essentiel à toute société, de faire mourir intentionnellement une personne innocente ».

Avis à tous les demandeurs d’euthanasie: vous êtes des innocents qu’on veut assassiner. Qui et pourquoi? Demandez à l’archevêque. En réalité, tout ceci explique exactement le contraire de ce qu’autorise la loi: le droit de ne pas se soumettre à la compassion et à la dépendance, le droit de choisir le seuil au-delà duquel on estime que le beau de la vie s’efface au profit du laid de la mort.

Et si la mort était belle? Léonard ne nous laisse pas cette chance: forcément, tout le monde est « bouleversé par la perspective de sa mort prochaine ». Ceux qui craignent de rater le train du paradis pour finir dans le feu et la Géhenne, peut-être. Mais beaucoup de citoyens n’ont pas ce « désarroi » contre lequel Mgr Léonard veut les protéger malgré eux.

Plus grave est l’attaque portée contre la Commission de contrôle, qui serait « quasiment obligée de fermer les yeux sur des pratiques non conformes à la loi »; André-Joseph Léonard ne pratique-t-il pas un dangereux amalgame? Veut-il affirmer que la Commission couvre des actes criminels comme d’autres associations privées l’ont fait pendant de longues années?

Ce piteux contre-feu ne tient pas la route deux secondes: à l’appui de ses dires, Léonard cite un dossier de l’Institut européen de bioéthique, faux institut de recherche et vrai lobby ultra-catholique actif auprès des instances européennes.

Enfin, si le diable est dans les détails, le venin est dans la queue (in cauda venenum, comme on dit à Rome): « Je salue le courage des soignants qui, malgré d’éventuelles pressions, exercent leur droit à l’objection de conscience et refusent de pratiquer l’euthanasie ou d’y participer. »

En félicitant ainsi ceux qui abusent d’un droit pour refuser leur droit à d’autres, Mgr Léonard flirte dangereusement avec la malhonnêteté intellectuelle la plus trouble; l’objection de conscience est certes un droit prévu par la loi, mais qui s’accompagne d’un devoir que l’archevêque « oublie » de signaler: celui d’avertir le plus tôt possible son patient de son refus de pratiquer l’euthanasie de manière à ce que le patient puisse se diriger, tant qu’il a en a encore la force, vers un médecin enclin à exécuter sa demande.

Le médecin a pour devoir d’entendre la demande du patient. L’objection de conscience ne saurait constituer un abus de droit, or c’est bien de cela qu’il est de plus en plus question. Car avec de tels encouragements de la part d’une autorité morale reconnue, la clause de conscience, qui ne peut être qu’individuelle, tend à s’institutionnaliser, à être revendiquée par des services ou hôpitaux (parfois publics et donc financés par l’Etat) dans leur globalité, ce qui est à la fois illégal et immoral.

Décidément insatiable, André-Joseph nous livre cette ultime saillie dans son billet d’opinion: « Renoncer à l’euthanasie est une contribution majeure au bien commun de tous. » Passons sur le pléonasme qui n’est pas une maladie, pour constater que l’Eglise, par la voix de son chef en Belgique, tente une fois encore d’imposer sa vision à tous les citoyens, qu’ils soient ou non adeptes de la foi catholique. Nous sommes très nombreux à avoir une vision très différente et moins inquisitrice du « bien commun ».

 

Pierre Galand, président du Centre d’action laïque

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