Communiqués de presse

La concrétisation de l’interculturalité dans un Etat impartial. La position du Centre d’Action Laïque

La concrétisation de l’interculturalité dans un Etat impartial. La position du Centre d’Action Laïque

Avant propos

Fin 2009, le CAL prenait une position publique que d’aucuns qualifient de « forte » concernant l’indispensable impartialité de la fonction publique et de l’école. Une position prise dans un contexte politique et judiciaire de gestion « au coup par coup » du port de signes convictionnels par les fonctionnaires, les enseignants et les élèves (1).

Cette position, prise rapidement, est le résultat d’un long processus. Des années d’échanges sur le projet de société porté par les laïques de ce pays ont conduit à un choix faisant davantage la part belle à l’égalité et à l’impartialité (pour certains, à la neutralité), plutôt qu’à la liberté individuelle quand elle « empiète » sur la gestion de la vie en communauté.

L’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes ne peut en effet, sous aucun prétexte, connaître, à nos yeux, de dérogations.

Rappelons aussi que l’impartialité de l’État implique un détachement volontaire à l’égard de toutes les religions et convictions notamment par la suppression de symboles convictionnels dans les bâtiments publics, de fêtes commémoratives comme le Te Deum. Seule le respect constant de cette exigence peut garantir l’exercice des libertés individuelles par chacun-ne.

De grandes balises étaient affirmées de longue date, sur le choix clair d’une société interculturelle dépassant le constat du multiculturalisme comme réalité sociologique, sur le refus du communautarisme comme projet et repli identitaire, sur le respect actif des convictions de chaque citoyen-ne…

D’autres données ont cadré la réflexion: la lutte contre toute forme de discrimination, le refus de quelconques amalgames entre cultes et cultures, la séparation des Eglises et de l’Etat, un pluralisme de convictions toujours plus accentué mais aussi la sécularisation progressive de nos sociétés. Autre vecteur central, nos référents communs : émancipation, justice sociale, égalité, liberté, éthique et reconnaissance des contextes de vie spécifiques des citoyen-nes de ce pays.
En toile de fond : le respect par tous et toutes des principes fondateurs de la Déclaration universelle des Droits de l’homme.

Force est de constater que ces valeurs de base, si elles sont le plus souvent mises à l’avant -plan par tous les partis démocratiques, les partenaires sociaux, le monde associatif, les Eglises, etc, ne semblent plus d’actualité lorsqu’il s’agit de débattre dans les enceintes parlementaires d’une proposition plus précise qui tracerait des frontières entre l’espace public (la rue, le resto, le cinéma, les lieux de culte), la sphère publique (le CPAS, le ministère, la poste, l’école ou l’hôpital) et la sphère privée (la maison, les associations, les clubs et autres lieux privés).

Le Centre d’Action Laïque a donc décidé, lors de l’assemblée générale de mars 2009, de mettre sur pied, dès janvier 2010, un groupe de travail restreint, composé d’acteurs de terrain comme d’experts, militants du mouvement ou non.

Leur mission: proposer une réflexion fouillée sur les pratiques à caractère religieux dans l’organisation scolaire, la vie politique, la tenue d’élections, l’hôpital, le CPAS, la police, etc. Aborder donc les délicates questions de la « quotidienneté » de chacun-e, dans la façon de se nourrir, la célébration de fêtes spécifiques, la gestion de la santé, bref dans tous ces us et coutumes qui déterminent une façon de « vivre ensemble », un modus vivendi commun.

Près d’un an de travail, de nombreuses notes, des échanges d’informations multiples ont conduit au dépôt sur la table du Conseil d’Administration d’une note volumineuse. Au CAL, comme dans la plupart des associations laïques, on ne peut se satisfaire d’une unanimité simpliste sur la voie à suivre.

Un débat passionné, des réponses nuancées, parfois même des positions différenciées, à l’image de la complexité des réalités sociétales. Le refus du dogmatisme se devait d’être vécu ici aussi tant il est vrai que si l’objectif ultime – l’autonomie de l’individu dans une collectivité de valeurs partagées – est identique, les chemins qui y mènent ne sont pas les autoroutes de l’uniformisation et de la normalisation.

Telle est la condition d’une affirmation qui se veut ouverte à la contradiction libre exaministe.

Quelques repères encore

Concernant le port de signes convictionnels dans la fonction publique, rappelons que la position du CAL se refuse à faire une différence entre les fonctions dites d’autorité et d’autres, considérant qu’il s’agit bien de marquer l’impartialité de l’ensemble de l’institution publique.

De la même façon, nous n’estimons pas opportun de différencier les fonctions de première ligne de celles dites de back-office. Comment, en effet, garantir une progression professionnelle dans de telles conditions? Comment ne pas pratiquer une forme de ségrégation et de différenciation entre des tâches qui mettent les agents en contact avec le public et celles qui laissent « dans l’ombre »?

Dans le champ scolaire, outre les enseignants, les élèves sont également concerné-es par l’intention d’impartialité déjà énoncée par le CAL, alors qu’on pourrait les considérer comme « usagers » du service. C’est ici une intention claire d’un environnement éducatif ouvert à la différence mais ne la mettant pas en exergue, qui a déterminé le choix. Rappelons aussi que tous les réseaux sont visés par ces projets et ce d’autant plus que le CAL entend œuvrer, sereinement mais clairement, à l’instauration d’un réseau commun (2).

Au travers des situations, très variées, traitées ci-dessous – et à l’évidence toutes ne sont pas évoquées – des lignes de force doivent être rappelées:

  • Il s’agit, dans tous les cas, de différencier les travailleurs des institutions citées, des usagers, toujours libres de manifester leurs convictions.
  • Par usagers, entendons tous ceux qui se rendent dans un service public, la patientèle, les justiciables, les électeurs, etc.
  • Ces convictions ne peuvent contrevenir en aucune façon aux textes fondateurs des droits humains et aux lois spécifiques de ce pays.
  • Chacun-e doit toujours pouvoir être « identifié », reconnu, en face à face comme sur les papiers d’identité. Le CAL se prononce, à cet égard, en défaveur du port de vêtements qui dissimulent le visage que cela soit dans l’espace public ou dans tout lieu accessible au public. Il estime qu’il est nécessaire, pour des raisons de communication, de socialisation et de respect de l’ordre public, de pouvoir identifier toute personne.
  • À cet égard, nous plaidons pour que des règles communes de « bon sens » soient aussi d’application comme par exemple les règles de sécurité.

Il sera à nouveau question de l’école, par exemple dans les activités « hors les murs », dans les programmes scolaires également, dans l’organisation des repas chauds.

Pour l’hôpital, lieu de vie, parfois de fin de vie, de soins, d’intimité, il est tout aussi indispensable de garantir une égalité de traitement, un respect de la personne mais aussi des règles qui permettent aux équipes soignantes d’œuvrer dans la plus grande clarté possible, et aux patients d’être en confiance et sérénité. Nous n’aborderons ici que la question des hôpitaux publics. A l’évidence, les services publics dits fonctionnels tels les hôpitaux privés devraient connaître des modes de fonctionnements identiques. Une réflexion doit aussi être engagée à propos des associations et services privés qui se voient confier des missions de service public.

Dans le champ scolaire, le CAL plaide pour:

Un apprentissage fondé sur la raison

Nous réaffirmons avec force l’importance de l’apprentissage rationnel, sans tabous ni censures, des matières scientifiques, littéraires, historiques ou encore géographiques. Il n’est pas acceptable que des élèves et encore moins des enseignants (3) refusent d’apprendre ou d’enseigner certaines matières.

Lorsque l’école est confrontée à de tels refus, l’inspection de la Communauté française est invitée à jouer pleinement son rôle à l’égard des enseignants voire, le cas échéant, à sanctionner ces derniers. D’autre part, l’obtention par l’élève d’un diplôme doit nécessairement être conditionnée au respect de l’obligation de suivre la totalité du cursus scolaire. Pour accompagner le respect de ces principes, il est essentiel d’en expliquer le fondement tant aux élèves qu’aux parents en veillant à leur compréhension du cadre et des règles.

De la même façon, tous les cours d’éducation physique, de natation sont bien au rang des cours obligatoires. Il n’est pas plus admissible, dès lors, que des certificats médicaux d’incapacité allant jusqu’à couvrir l’élève, pour toute une année scolaire, soient délivrés par des médecins pour des raisons convictionnelles.

Une cohérence globale à l’égard de toutes les activités scolaires

Lorsque l’école prévoit des activités qui se déroulent à l’extérieur de l’école (classes vertes, classes de dépaysement, voyage scolaire, piscine, une visite au musée, au théâtre ou encore au planning familial, etc.), ces activités font, conformément au décret-missions de la Communauté française, pleinement partie de la formation scolaire obligatoire. Le CAL estime que, par souci de cohérence et de continuité, il est essentiel de placer ces activités extérieures (quel qu’en soit le lieu) sur pied d’égalité avec celles qui se déroulent au sein de l’école. Par conséquent, la neutralité doit aussi s’imposer.

Pour accéder aux lieux extérieurs, il arrive que les élèves prennent le métro, le bus et se retrouvent ainsi dans l’espace public. Dans ce cas, si l’élève devait rencontrer des difficultés personnelles voire des pressions familiales, il conviendrait, le cas échéant, de tempérer l’exigence de neutralité en arguant de l’exercice des libertés individuelles qui prévalent dans l’espace public, l’essentiel restant que l’élève participe à l’activité scolaire.

Une alimentation scolaire qui répond aux exigences de santé publique

Pour motifs religieux ou culturels, des élèves ou parents demandent à l’école de prévoir des repas chauds qui répondent à certains prescrits (halal, casher, etc.). Nous pensons que l’option de laisser le choix, à chaque parent ou élève, quant au mode d’alimentation et cela sans aucune restriction, n’est pas réaliste tant sur le plan organisationnel et/ou financier pour les pouvoirs publics. Le CAL estime qu’à ce titre, elle doit être rejetée.
Toutefois, l’école doit pouvoir garantir aux élèves une alimentation qui réponde aux exigences minimales de santé. Il est important que chaque élève puisse prendre un repas chaud par jour. Compte tenu de cet impératif de santé publique, le CAL préconise de prévoir un menu alternatif (végétarien) lorsque des produits proscrits pour motifs religieux se trouvent au menu scolaire.

Un traitement égalitaire des élèves quant aux absences pour motifs religieux ou culturel

Aujourd’hui, ce n’est un mystère pour personne, certaines classes surtout bruxelloises sont quasi vides lors de la célébration de fêtes religieuses musulmanes. A Anvers, certains élèves de religion israélite bénéficient de jours de congés supplémentaires. C’est un fait que la prise en considération de cette réalité par les pouvoirs publics est inégalitaire en Belgique.

Pour pallier cette situation, nous pensons qu’une reforme globale du régime des jours fériés, des congés scolaires et autres est indispensable afin de les déconfessionnaliser au maximum. Dans l’attente d’une telle réforme, il serait préférable qu’avec un mot d’excuse des parents, le chef d’établissement scolaire accepte de donner un jour de congé pour motif religieux ou culturel plutôt qu’un jour de maladie avec certificat médical de complaisance ou encore une absence non justifiée.

Une prise en compte de la spécificité du professeur de religion

Il est dans la nature même de l’enseignement délivré dans le cadre d’un cours de religion d’exprimer, sans dénigrement des autres et sans prosélytisme, des convictions spécifiques. Nous rappelons, à cet égard, que les professeurs de religion ne peuvent en aucun cas se voir attribuer d’autres fonctions que celles de professeur de religion. Pour cette raison, d’aucuns estiment que tant les enseignants que les élèves sont autorisés à extérioriser leur appartenance au sein de la classe de religion.

Cette spécificité n’induit toutefois pas qu’un professeur de religion puisse extérioriser automatiquement son appartenance en dehors de sa classe. Les élèves à qui l’interdiction d’extériorisation s’applique pourraient en effet ne pas comprendre cette autorisation et la percevoir comme contradictoire.

Il est cependant essentiel de mesurer les effets d’une telle interdiction d’extériorisation en dehors de la classe et d’apprécier ainsi son caractère indispensable et proportionné.

En tout état de cause, la norme adoptée devrait être identique pour les hommes et pour les femmes.

Une cohérence à l’égard de tout personnel

Nous estimons que chaque membre du personnel (enseignant, personnel d’entretien, concierge, etc.) a un rôle d’égale importance à jouer au sein de l’école. Il n’existe pas de métier « moins noble » que d’autres.

Au nom de cette égalité, mais aussi par souci de cohérence, il convient d’adopter les mêmes règles d’interdiction d’extériorisation pour l’ensemble du personnel travaillant au sein de l’école. Par analogie, lorsque des collaborateurs de structures externes interviennent dans le même cadre, il convient d’appliquer ces règles lorsqu’il s’agit d’activités à caractère récurrent.

On peut toutefois concevoir qu’un intervenant d’une structure externe ait clairement un statut de « visiteur » et qu’il ne doive donc pas se soumettre aux règles applicables à l’école. Prenons l’exemple d’une personne qui viendrait témoigner, dans le cadre du cours d’histoire, de violation des droits de l’homme en raison de son origine ethnique ou de sa religion.

Par ailleurs, s’il s’agit d’activités exceptionnelles organisées par des structures externes tant au sein de l’école qu’en dehors, il appartiendra à l’école de faire les choix qui s’inscrivent dans le projet éducatif et pédagogique de cette dernière.

À propos de l’ordre judiciaire, le CAL plaide pour:

Une exigence de neutralité uniquement à l’égard des intervenants professionnels

Le CAL estime que l’impartialité est une garantie essentielle pour rendre la justice. Il y a donc lieu d’exiger une neutralité totale pour tous les acteurs professionnels qui participent à la fonction de rendre la justice, principalement dans l’enceinte du palais de justice. Il s’agira notamment des avocats, magistrats, juges sociaux, juges consulaires, huissiers d’audience, experts judiciaires, traducteurs jurés ou encore des huissiers de justice.

Les parties (prévenus, victimes, témoins, défendeurs, demandeurs) doivent, quant à elles, être considérées comme des usagers du service public (4).

À propos du public qui assiste au procès, il est rappelé que l’article 759 du Code judiciaire porte sur la police de l’audience (celui qui assiste aux audiences se tient découvert dans le respect et le silence). Cette disposition doit être replacée dans son contexte historique et culturel (1876). Elle vise à assurer le respect de l’assistance envers le tribunal (ne pas manifester de signes d’approbation ou de désapprobation, ne pas interrompre le juge par exemple).

Cette disposition est sans rapport avec les signes religieux, la neutralité et la liberté religieuse. Dans ce contexte, le public doit être traité comme tout usager d’un service public (5).

À propos des services publics de sécurité (police, armée, pompiers, gardiens de la paix, protection civile), le CAL plaide pour:

Une tenue vestimentaire obligatoire unique pour chaque secteur

Le CAL considère qu’il n’y a pas lieu d’accorder des dérogations ou des aménagements à la tenue vestimentaire tel un uniforme lorsque son port est obligatoire.

Le respect absolu des exigences d’aptitudes physiques

Lorsque des fonctions requièrent, pour des raisons de sécurité publique, des aptitudes physiques importantes (personnel opérationnel, force physique, concentration aiguë par exemple), les rites et pratiques convictionnels ne peuvent faire obstacle au respect de ces exigences.

Dans ce contexte, le CAL recommande de mentionner explicitement ces exigences d’aptitudes physiques dans le règlement de travail par exemple le cas du jeûne prolongé. Il y a lieu d’inscrire les modalités de contrôle du respect de cette règle et de prévoir des mesures préventives d’accompagnement.

Pour les bureaux de vote et de dépouillement lors des élections

Le processus électoral renvoie incontestablement aux devoirs de tout citoyen dans le cadre de l’exercice de la démocratie représentative.

Sans équivoque possible, le CAL estime que le président de chaque bureau de vote ou de dépouillement exerce une mission de service public qui requiert toute la confiance des électeurs et est investi, à ce titre, de l’autorité publique impliquant la neutralité. D’autant que le président peut à tout moment, si nécessaire, requérir la force publique pour maintenir l’ordre au sein de son bureau.

Le statut de l’assesseur reste, quant à lui, plus controversé. En effet, exerce-t-il, comme le président, une mission de service public qu’il conviendrait d’expliciter par des mesures d’accompagnement et doit-il être soumis à la même règle de neutralité totale ? Ou, au contraire, remplit-il avant tout son devoir de citoyen dans le cadre du processus électoral qui ne justifierait dès lors pas d’imposer cette neutralité ? La question reste ouverte. Incontestablement, une intervention du législateur permettrait de lever cette ambiguïté.

À propos des mandataires politiques

La problématique est encore plus complexe et le CAL appelle à l’ouverture d’un large débat public sur cette question, sans tabous ni contraintes. Ne touche-t-on pas là à la conception même de l’organisation et au fonctionnement d’un Etat démocratique? L’idéal de séparation entre les Eglises et l’Etat n’induit-il pas qu’il faille tendre vers toujours plus de mise à distance du religieux par rapport au politique? Est-il logique, voire souhaitable, de permettre, au sein de l’hémicycle parlementaire, l’expression sans limites des convictions religieuses? Une telle situation pourrait se produire si les partis politiques religieux devaient se multiplier. Ou comme c’est déjà le cas, lorsqu’un mandataire politique donne libre cours à l’expression totale de ses convictions religieuses ou philosophiques au sein d’un parti politique qui se déclare déconfessionnalisé.

L’extériorisation de l’appartenance convictionnelle par un mandataire politique soulève la question importante de la compatibilité de discours religieux monothéistes, prônant la pensée dogmatique, avec l’éthique de la discussion et de la contradiction, porteuse d’évolution voire d’émancipation, qui est l’essence même de la démocratie.

Le CAL recommande d’ouvrir le débat parlementaire sur cette question en prenant en considération les questions suivantes:

  • Faut-il considérer le Parlement comme le lieu de débat par excellence et, dans ce contexte, admettre que le mandataire politique puisse jouir d’une liberté d’expression absolue tant en ce qui concerne sa parole que son apparence?
  • Ou alors faut-il adopter des mesures visant d’une part à rappeler qu’au sein de l’hémicycle, dans les limites du respect des lois, aucune limitation de l’expression orale ne peut être admise?
  • D’autre part, faut-il interdire l’extériorisation de l’appartenance convictionnelle que ce soit dans l’hémicycle ou que le mandataire politique exerce une fonction de représentation ou non?

Dans les institutions publiques d’enfermement ou d’isolement (prisons, institutions publiques de protection de la jeunesse, centres fermés, institutions psychiatriques, etc.)

Comme pour tout le personnel de la fonction publique, la neutralité totale doit être exigée de la part du personnel.

Pour les personnes qui sont hébergées dans ces institutions, la liberté individuelle d’exercer son culte est un droit fondamental qui doit être garanti dans le respect des limites fixées par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ce qui est des pratiques alimentaires religieuses, le CAL préconise, comme pour l’école, de prévoir, lorsque les moyens financiers le permettent, un menu alternatif (végétarien) lorsque des produits proscrits pour motifs religieux se trouvent au menu.

Dans le service public hospitalier

Pour le personnel

Comme pour tout le personnel de la fonction publique, il convient d’affirmer l’obligation de neutralité totale de la part du personnel.

Si un membre du personnel demande à pratiquer son culte, le CAL estime qu’il n’y a pas lieu de prévoir un lieu spécifique ni de « squatter » un espace de travail ou autre mais le personnel doit pouvoir utiliser le lieu de recueillement de l’hôpital comme lieu interconvictionnel.

Pour ce qui est des pratiques alimentaires religieuses, le CAL préconise de prévoir, tant pour le personnel que pour les patients, un menu alternatif (végétarien) lorsque des produits proscrits pour motif religieux se trouvent au menu.

En cas de demande du personnel d’obtenir une dispense de prestations pour motifs religieux, le CAL estime qu’il convient avant tout de respecter le contrat de travail ou le statut applicable ainsi que le règlement de travail et d’appliquer de bonne foi les modalités d’exécution du travail (respect de l’horaire, du travail convenu, etc.).

Pour la patientèle

Il est rappelé que la loi du 22 août 2002 relative aux droits des patients précise que ces derniers ont droit, de la part du praticien professionnel (au sens large), à des prestations de qualité répondant à leurs besoins, dans le respect de leur dignité et de leur autonomie sans qu’aucune distinction d’aucune sorte ne soit faite. Cela implique qu’un patient ne peut être discriminé en vertu de ses convictions.

La loi confère aussi le droit de choisir son praticien professionnel. Un patient peut aussi refuser une intervention ou retirer son consentement. Des exceptions existent néanmoins: en cas d’urgence, d’état de nécessité ou si le refus d’intervention est de nature à causer un préjudice à la santé publique et/ou à la protection des droits d’autrui.

Le CAL souligne que l’appartenance convictionnelle fait partie intégrante du profil d’une personne qui demande des soins. Il recommande donc de faire la démarche d’entendre la demande du patient si elle est raisonnable et, si nécessaire, de faire appel à un médiateur interculturel et/ou établir des liens avec les praticiens professionnels qui connaissent le patient.

Le CAL entend souligner que des problèmes pour la santé découlant du respect de certains prescrits religieux peuvent se poser de manière parfois plus aiguë encore, en dehors du cadre hospitalier, en raison de l’emprise de certains courants religieux intégristes. Cette situation mériterait une attention particulière des autorités publiques afin de sensibiliser et d’informer davantage le public sur les dangers de telles dérives.

Par ailleurs, il y a bien entendu lieu de respecter le choix philosophique du patient et d’autoriser l’extériorisation de signes convictionnels avec la seule limite qu’un patient doit toujours pouvoir être identifiable.

Comme pour les membres du personnel hospitalier, lorsqu’un patient demande à pratiquer son culte, le CAL estime qu’il convient de rencontrer la demande en prévoyant un lieu de recueillement interconvictionnel, tout en respectant les limitations prévues par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Lorsqu’un patient refuse de se faire soigner par un praticien professionnel ou encore refuse un traitement médical pour motif religieux

En cas d’urgence

Comme évoqué ci-dessus, lorsque des soins médicaux ou chirurgicaux doivent être donnés en urgence, le CAL considère que le refus formulé par le patient doit toujours être ignoré tant sur le plan des principes que sur le plan pratique, tout en expliquant au patient que sa demande perturberait la dispensation des soins pour lui-même et les autres patients.

Hors du cas d’urgence

Le CAL estime que, conformément à la loi sur les droits des patients, la liberté individuelle doit prévaloir.

Dans ce cas, le praticien professionnel doit prévenir le patient des conséquences de son refus et tout mettre en oeuvre pour le convaincre d’accepter les soins indispensables. Lorsque le patient remet une déclaration écrite par laquelle il signifie qu’il refuse d’être soigné par tel praticien ou qu’il refuse un traitement médical ou chirurgical, cette demande pourra être acceptée et le praticien se verra exonéré de toute responsabilité civile à l’égard du patient. Cependant, s’il s’avère que le refus comporte un danger pour la santé du patient, le praticien ne sera déchargé de sa responsabilité juridique et déontologique que dans l’hypothèse où il aura acquis la certitude que le patient a bien compris l’information sur les soins qu’il aurait dû recevoir et les conséquences occasionnées par son refus. Dans le cas contraire, l’article 422bis du Code pénal qui prévoit une sanction pénale en cas de non-assistance à personne en danger trouverait à s’appliquer.

Toutefois, le CAL estime que ces refus de se faire soigner par un praticien ou de suivre un traitement médical trouvent une limitation lorsque:

  • La qualité des soins peut être mise à mal pour des raisons de désorganisation du service hospitalier dans lequel des équipes interdisciplinaires interviennent.
  • Cela mobilise des moyens de manière disproportionnée.

Dans les CPAS

Une nouvelle fois, il convient d’affirmer l’obligation de neutralité totale pour tout le personnel des CPAS.

Il arrive qu’un fonctionnaire du CPAS, au nom de sa conscience, refuse de donner à un usager des adresses de planning familial, d’autres informations sensibles ou encore renvoie ce dernier vers d’autres fonctionnaires.

Le CAL rappelle que les lois relatives à l’interruption volontaire de grossesse et à l’euthanasie sont des lois d’ordre public suspensives en matière d’infraction pénale mais que ces lois n’obligent aucun citoyen à y recourir.

Par contre, il rappelle que la clause de conscience ne peut être invoquée que par un praticien professionnel au sens de la loi sur les droits des patients et non par une institution publique ou privée ou un de ses représentants. La clause de conscience ne vaut en effet qu’à l’égard de l’acte lui-même, d’IVG ou d’euthanasie. Une institution ou un fonctionnaire ne peut donc pas refuser de donner des informations permettant d’appliquer effectivement ces lois (adresses, coordonnées de médecins ou autres personnes et services, etc.).

Dans le secteur privé

Le CAL estime qu’il ne convient pas d’appliquer ipso facto les mêmes règles dans le secteur privé que celles préconisées dans le secteur public.

La liberté pour un travailleur de manifester ses convictions religieuses ou philosophiques, dans le respect du contrat de travail et du règlement de travail, doit subsister. Cette liberté de choix devra toutefois s’exercer dans le respect des relations contractuelles. L’employeur devra par ailleurs respecter les lois anti-discriminations en vigueur dans notre pays.

Le CAL rappelle que dans le travail en équipe d’une entreprise, ce qui est primordial, au-delà de la tolérance, c’est de reconnaître l’autre dans sa différence en tant qu’égal et de lui accorder sa confiance. On notera, par ailleurs, que l’extériorisation des signes d’appartenance peut constituer un frein à l’intégration dans une équipe.

Lorsqu’il s’agit d’une entreprise de tendance qui défend une éthique ou une idéologie particulière, une interdiction d’extériorisation d’appartenance convictionnelle est admissible. L’exigence de loyauté à l’égard de l’éthique de l’institution peut être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

L’importance de la concertation sociale

Le CAL invite les acteurs du secteur privé à ne pas rejeter d’emblée toute demande exprimée et de privilégier les solutions locales, pacifiques qui peuvent être trouvées dans le cadre de la concertation sociale.

En cas de refus de serrer la main d’un collègue

Le CAL estime qu’un tel comportement ne peut être admis pour des raisons d’élémentaire convivialité.

En cas de refus d’exécution d’un travail (réunions, tâches spécifiques, etc.) ou de demande d’adaptation d’horaire pour motif religieux

En tout état de cause, il est essentiel que le travailleur respecte son contrat de travail ainsi que le règlement de travail de son entreprise et qu’aucune exception ne puisse être admise en dehors du cadre contractuel et réglementaire.

Conclusion

Au-delà des propositions ou positions que nous venons d’évoquer ci-dessus, des questions traversent tous les secteurs, comme celle d’une éventuelle modification des jours de congés légaux. Soucieux de ne pas renforcer la présence et l’empreinte du religieux dans l’organisation sociétale, le CAL ne propose pas qu’un calendrier religieux se substitue à un autre! Il n’empêche que nous plaidons pour qu’une concertation ait lieu au plus haut niveau, avec tous les acteurs concernés, relative à l’école, l’emploi public comme privé, les lieux d’accueil et qu’une solution de bon sens émerge reconnaissant les réalités pragmatiques vécues dans tous ces lieux.

Certaines des propositions énoncées devraient, si elles étaient adoptées, faire l’objet de décrets ou de lois spécifiques. D’autres, d’un consensus social en évolution. Les dernières, d’échanges pour avancer vers l’élaboration d’un « espace » où chacune et chacun se sentent reconnus, respectés dans ses convictions sans qu’elles ne doivent, pour être perçues, être portées comme un étendard.

La présente prise de position du CAL s’inscrit dans un contexte particulier de crise en Belgique. Toutefois au-delà des réponses institutionnelles et socio-économiques légitimement attendues par les citoyens, le choix du modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre est tout aussi essentiel.

Pour sa part, le CAL opte résolument pour un modèle de société qui affirme d’une part, son attachement à la diversité, à l’interculturalité et au respect de l’autre et d’autre part, la volonté de partager un patrimoine commun de valeurs fondamentales et universelles.

Nous formons le souhait que le présent travail de réflexion puisse aider les autorités publiques concernées à relever le défi de la construction d’une société interculturelle respectueuse des valeurs qui fondent la démocratie.

Un vrai défi donc, de démocratie, de parole libre, de contradictions avec comme finalité partagée : le bien commun.

 


(1) Voyez à cet égard la brochure Des signes religieux? Et alors? ou la brochure Extériorisation des signes d’appartenance – La position du Centre d’Action Laïque

(2) Voyez la brochure du CEDEP Réflexions en vue d’un système éducatif plus performant pour tous les enfants, consultable sur le site internet du CEDEP: www.cedep.be

(3) Chaque terme utilisé dans le présent document qui désigne une fonction doit être entendu sans distinction de genre.

(4) Nous renvoyons le lecteur à l’introduction.

(5) Idem

Thématiques abordées: