Espace de libertés – Mars 2018

Désapprendre à ne pas se battre


Des idées et des mots

Dans son essai, Se défendre. Une philosophie de la violence, Elsa Dorlin monte sur le ring pour s’attaquer à main nue à un sujet qui résonne particulièrement dans l’actualité : la violence des plus faibles. Du virulent débat autour du hashtag #balancetonporc en passant par le sort réservé aux migrants sur nos aires d’autoroute, cet essai brillant et volontariste fait entrer une bonne dose d’oxygène dans un contexte suffocant. Des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes du début du siècle, de l’insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer, Elsa Dorlin retrace une généalogie de l’autodéfense politique. La violence à laquelle elle s’intéresse est donc celle des «  subalternes  », de celles et ceux qui n’ont pas de «  corps propre  », comme disait Locke : exclus du droit de résistance inscrit dans le contrat social, ce sont des «  corps indignes d’être défendus  », pour lesquels la violence physique est surtout une nécessité vitale. Il s’agit, par le corps, par la voix et par les armes, s’il le faut, de préserver sa vie et de retrouver sa puissance d’agir. La philosophe, qui a beaucoup travaillé sur l’articulation entre sexisme et racisme, prend le sujet à bras le corps aussi en tant que femme qui sait d’expérience que la question de l’autodéfense oblige à penser ce qui se joue « dans l’intimité d’une chambre à coucher, au détour d’une bouche de métro, derrière la tranquillité apparente d’une réunion de famille ». Aux côtés de Hobbes et Locke, Elsa Dorlin convoque Frantz Fanon, Michel Foucault, Malcolm X, June Jordan et Judith Butler pour soutenir son propos sans nier les ambiguïtés de ces « éthiques martiales de soi » où les victimes d’un jour peuvent parfois devenir les bourreaux de demain.