Espace de libertés | Avril 2019 (n° 478)

Le développement, ça dure énormément


Dossier

Les Objectifs de développement durable 2030 ont du souci à se faire. Pour avancer, l’amélioration des différentes collaborations est indispensable.


La pauvreté et la faim éradiquées, une bonne santé et du bien-être, une éducation de qualité… sont quelques-uns des dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) qu’ont définis les États membres des Nations unies dans le cadre de l’Agenda 2030. Afin de donner suite aux Objectifs du millénaire pour le développement arrivés à expiration à la fin de l’année 2015, l’ONU a travaillé avec les gouvernements, la société civile et différents partenaires pour élaborer un nouveau programme : « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 ».

Trois ans plus tard, où en est-on ? La question ne trouve pas de réponse satisfaisante, tant le chemin à parcourir semble interminable. En juillet prochain, une nouvelle session du Forum politique de haut niveau se tiendra à New York afin de poser un bilan annuel sur les ODD. En septembre, deux jours supplémentaires seront en outre réservés aux discussions des chefs d’État et de gouvernement, sous les auspices de l’Assemblée générale des Nations unies. On y identifiera notamment les obstacles à surmonter en vue de la réalisation des objectifs fixés à l’horizon 2030. Le Forum doit aboutir à « orchestrer » la mise en œuvre des ODD, du mondial au local en passant par le régional.

Inutile de rappeler que l’urgence est à tous les niveaux, même si l’objectif 13 des ODD s’impose dans toutes les têtes occidentales. Il suffit de regarder la jeunesse descendre dans les rues chaque jeudi pour comprendre à quel point « les mesures relatives à la lutte contre le changement climatique » sont attendues.

Autocongratulation

En juillet 2018, le Forum s’était logiquement appliqué à évaluer les efforts fournis par les uns et les autres. Résultat : le fossé entre les intentions et les actes était sans surprise apparu énorme. Ce rendez-vous international n’est pas qu’une grand-messe. Il joue un rôle central dans le processus de suivi et d’examen au niveau mondial. Il veille aussi à mettre en place des examens nationaux volontaires dirigés par les États (Voluntary National Review ou VNR), afin de fournir une plate-forme pour les échanges et partenariats.

En 2017, la Belgique avait ainsi présenté son rapport national volontaire. Elle avait pris vingt-deux engagements pour la protection des mers et des océans (ODD14 : vie aquatique), avait fait valoir son rôle important en tant que fournisseur de vaccins (ODD3 :  bonne santé et bien-être), avait mis en avant diverses initiatives Smart City en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles comme autant de preuves de son engagement pour des villes et communautés durables (ODD11).

« La Belgique est, de plus, la championne européenne du recyclage de matériel d’emballage et contribue ainsi à une consommation et production responsables (ODD12) », rappelle encore le site de la diplomatie belge. Et de poursuivre : « La Belgique accorde beaucoup d’importance à l’exécution de l’Agenda 2030. Pathways to Sustainable Development est le résultat d’un processus intensif et inclusif entre le gouvernement fédéral et les entités fédérées, dans lequel une grande partie des organisations de la société civile et des gouvernements locaux ont été impliqués. »

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On ne nous en voudra pas de pointer la part appréciable de wishful thinking que contient cette affirmation. Depuis la désunion constatée entre les entités fédérées belges lors de l’accord de Paris, jusqu’aux divisions des partis sur l’opportunité de donner au pays une loi Climat, en passant par la polémique à répétition sur l’abandon du nucléaire, les exemples sont nombreux et démontrent à quel point il est difficile de prendre en compte les objectifs de développement durable au simple niveau national.

Mais revenons au Forum politique de haut niveau. Quarante-six pays ont présenté leur rapport national volontaire en juillet 2018. Ils étaient quarante-quatre en 2017, soit une légère progression qu’il faut malgré tout prendre comme un encouragement, s’agissant de l’implication des États. L’engagement, il faut le préciser, est tout à fait volontaire.

De nombreuses critiques ont toutefois été émises pour dénoncer le peu de place laissé à la société civile dans ce travail d’évaluation. En réaction, un mouvement parallèle est en train de se mettre en place, notamment au Canada, en Grande-Bretagne ou au Pakistan, donnant à l’homme de la rue l’opportunité de rédiger ses propres rapports (« Voluntary Peoples Reviews »).

Le champ couvert par les ODD est vaste. L’examen des progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 l’est tout autant. Il aborde ainsi les progrès de la science, la technologie et l’innovation, il s’inquiète des intérêts de groupes particuliers comme les petits États insulaires en développement, les pays les moins avancés ou à revenu intermédiaire, et il s’attache à des objectifs précis comme l’assainissement de l’eau, la construction de villes durables ou la protection des écosystèmes terrestres.

Money, money

Mais on y revient toujours : la mise en œuvre et la réalisation des ODD passent par d’énormes investissements financiers. « Cependant », notait le Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11) dans un compte-rendu du Forum, « les capacités et ressources financières restent un problème récurrent, notamment dans un certain nombre de pays en développement. » La question financière est bien sûr centrale, par exemple en matière de transition énergétique, l’une des principales solutions au réchauffement climatique.

En 2015, lors de la conférence préparatoire de Lima sur les enjeux financiers de l’accord de Paris, le ministre français des Finances de l’époque, Michel Sapin, avait lancé : « J’ai coutume de dire que la question du climat est un enjeu trop important pour que les ministres des Finances en restent à l’écart. La question des financements est au cœur de la lutte contre le changement climatique, car ce sont eux qui vont permettre de soutenir dans le temps l’ambition de réduction des gaz à effet de serre ainsi que les actions d’adaptation dans tous les pays. »

Depuis, les pays historiquement responsables du réchauffement se sont engagés à fournir, à partir de 2020, 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros) par an aux pays en voie de développement pour qu’ils procèdent aux changements nécessaires. En 2025, cet engagement devrait être revu à la hausse une première fois. Ensuite, ce sera théoriquement tous les cinq ans. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudra en moyenne 3 500 milliards de dollars d’investissement uniquement dans le secteur énergétique chaque année pendant trente ans, pour contenir l’augmentation des températures à un minimum de 2 °C.

Le prochain Forum devra également s’interroger sur la capacité de ses membres à collaborer davantage, quand ils collaborent… Le principe selon lequel il importe de « ne laisser personne de côté » (tout le monde doit pouvoir bénéficier des efforts de développement) est loin d’aller de soi. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pointe à ce propos la « fragmentation mondiale ». L’expression diplomatique vaut pour beaucoup de monde, à commencer par les États-Unis de Donald Trump qui ont tourné prestement le dos à l’accord de Paris. Elle ne concerne bien sûr pas que le climat : partout, les inégalités progressent, le nombre de personnes souffrant de la faim augmente et l’aide publique au développement stagne. « Le patrimoine du 1 % le plus riche de la planète dépasse le patrimoine de l’ensemble du reste du monde », rappelle le CNCD-11.11.11, la coupole des ONG et associations belges francophones et germanophones engagées dans la solidarité internationale.

Du boulot, il en reste énormément pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici 2030. L’urgence est partout. À l’échelle européenne comme à l’échelle mondiale. Mais aussi dans la pratique journalière de chacun.

Un mot-clé : l’éducation. L’ODD4 prétend à une « éducation de qualité ». Ces quelques mots constituent en réalité un énorme défi. Ils impliquent la mise en œuvre de politiques et de moyens qui conditionnent la prise de conscience de tous. Un objectif fondamental pour révolutionner le rapport de l’homme à la planète et à lui-même.