Comment les relations Églises/État ont-elles évolué tout au long de l’histoire du Congo ? Et dans quelle mesure cette évolution peut-elle éclairer le contexte théologico-politique tendu à la veille des élections en RDC ? Mise en perspective historique de cette fusion/confusion entre le religieux et le politique pour mieux poser la question des conditions de sortie de ce régime.
En janvier 2017, nous avons mené à Kinshasa une enquête dans le cadre d’une recherche intitulée « Dire Dieu dans les églises de réveil : entre filiations, continuités et rupture avec la réforme ». Cette enquête montre clairement que, dans la perception de beaucoup de Congolais, le religieux a plus d’impact que la laïcité. À la question : « Comment faire société quand la pluralité et la diversité s’imposent ? », 66,5 % des 425 personnes interrogées ont répondu miser sur le pilier religieux (24,4 % sur le pilier patriotique, 3,6 % sur le pilier ethnique) et seulement 1,9 % sur le pilier laïque !
Cette enquête de terrain vient confirmer notre analyse historique du fait théologico-politique au Congo. Elle apporte aussi des éléments permettant de rendre visibles les raisons pour lesquelles, aujourd’hui encore, le Congo se structure prioritairement à partir du socle religieux.
L’ancien modèle africain du roi divin a favorisé la christianisation. © Eduardo Soteras/AFP
Ainsi, même si la Constitution congolaise semble se baser sur le principe de laïcité, dans les faits (dans les représentations des personnes interrogées), la laïcité est totalement minoritaire. On peut s’interroger sur les causes de ce constat. Mais une chose est sûre, dans de nombreux pays, le religieux et le politique se croisent et la plupart du temps s’enchevêtrent au point de devenir indéfectiblement partie prenante d’une même dynamique. Le théologico-politique est, en ce sens, un complexe de relations qui nouent indifféremment le spirituel et le temporel. Un bref retour vers le passé et l’évolution de la place de la spiritualité dans cet État africain est riche d’enseignements.
Un royaume « établi par Dieu »
Bien avant l’entrée en jeu de l’Europe exploratrice, évangélisatrice et colonisatrice, parmi les grandes entités sociopolitiques organisées ayant marqué l’histoire de l’Afrique, on peut citer le royaume Kongo qui couvrait un vaste territoire allant de l’Angola au Gabon, en passant par le Congo-Brazzaville et le Congo-Kinshasa. Dans ce royaume, du Ve au XVe siècle, le fonctionnement théologico-politique était déjà à l’œuvre. Bien que l’accession à la fonction royale se faisait de manière élective, le roi était doté de pouvoirs surnaturels et divinatoires. Il était l’intermédiaire entre le monde invisible des ancêtres/esprits et le monde visible des sujets du royaume. Ce modèle africain du roi divin facilitera la christianisation du royaume et un fonctionnement théologico-politique du pouvoir.
Évangélisation et réglementation coloniale
Le religieux va aussi être un élément important de la conférence de Berlin qui a préparé la Constitution de l’État indépendant du Congo (EIC) en 1885. Tel que précisé dans l’article IV, « les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, seront […] l’objet d’une protection spéciale. La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux étrangers. Le libre et public exercice de tous les cultes, le droit d’ériger des édifices religieux et d’organiser des missions appartenant à tous les cultes, ne seront soumis à aucune restriction ni entrave ».
De plus, le 26 mai 1906, un concordat signé entre le Vatican et l’EIC contractualise l’évangélisation du pays grâce à un accord de coopération entre l’Église et l’État. Le politique pourra, dès lors, subsidier le culte catholique en lui octroyant des concessions et en prenant en charge les frais liés aux écoles et aux hôpitaux gérés par l’Église. L’éducation une fois aux mains des missions catholiques, toute mobilité sociale passe par un système d’éducation qui valorise la conversion. Ce concordat est toujours en vigueur malgré le recul du culte catholique face à l’augmentation exponentielle des églises de réveil sur le territoire.
Aujourd’hui, le culte catholique recule face à l’explosion des églises de réveil. © John Wessels/AFP
Le fonctionnement théologico-politique y était également très important. Le cas de Simon Kimbangu, fondateur d’un mouvement qui instrumentalise la religion au service d’un discours de contestation du pouvoir colonial, exemplifie la face répressive de la réglementation coloniale du religieux. Il sera condamné à la prison à perpétuité. Son mouvement politico-religieux a servi et sert encore d’alibi à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l’indépendance.
RDC et laïcité aujourd’hui
L’article 1er de la Constitution affirme la laïcité de l’État, à savoir que « La République démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un État de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc »1. Avant tout, il est à noter que l’utilisation du terme « laïc » entretient la confusion pernicieuse entre « laïc » (distinction religieuse qui l’oppose au clerc) et « laïque » (la doctrine philosophico-politique non confessionnelle). Ensuite, la laïcité constitutionnelle est loin d’être effective. Le Congo présente, en effet, toutes les caractéristiques d’une entité théologico-politique confuse. Ainsi, sous l’égide de la conférence épiscopale de l’Église catholique, les acteurs politiques (majorité et opposition) se sont réunis pour signer les accords dits de la Saint-Sylvestre censés fixer les conditions d’une transition pacifique à l’issue du mandat présidentiel, qui aurait dû prendre fin depuis décembre 2016.
De même, face aux difficultés d’une opposition désorganisée, l’Église catholique s’est révélée être la seule organisation capable de mobiliser politiquement la population. Avec l’accord hiérarchique de l’église catholique du Congo, le Comité laïc de coordination (CLC) a réussi à organiser trois marches qui ont été violemment réprimées par le pouvoir (le 31/12/17, le 21/01/18 et le 25/02/18).
Et demain ?
Le religieux prend une importance telle en RDC que, le 8 août – date limite de dépôt de candidature –, quand le porte-parole du gouvernement a révélé le nom du candidat, il a aussi tenu à souligner son appartenance religieuse, à savoir catholique pratiquant. Cette précision constitue un rappel à l’ordre de la hiérarchie catholique qui a soutenu l’opposition. Il s’agit aussi de rappeler cette appartenance au bon souvenir des électeurs, dans un pays où la majorité de la population se déclare catholique.
Ces pratiques donnent l’image d’un État formé de communautés de croyants et non d’une communauté de citoyens. Le religieux est tellement mobilisateur que même le médecin Denis Mukwege, engagé dans la lutte contre les violences faites aux femmes et militant pour une transition neutre sans le président actuel, affirme se nourrir de sa foi religieuse dans sa pratique médicale et son combat politique2. Ainsi, suivant l’exemple de Martin Luther King, des acteurs optent pour un christianisme de l’engagement. Cette stratégie questionne la possibilité d’un État congolais qui soit laïque.
C’est pourquoi nous pensons que pour que la RDC puisse concrétiser sa Constitution laïque, un effort philosophico-politique d’émancipation sera nécessaire afin de permettre la mise en place d’un État moderne non confessionnel, qui garantirait une séparation des pouvoirs, pour contrebalancer les différents pouvoirs théologico-politiques.
Faut-il rappeler qu’une structuration démocratique de l’État, basée sur le principe de la laïcité, diminuerait la conflictualité, permettrait un vivre ensemble apaisé, empêcherait la fusion/confusion du temporel et du religieux et permettrait un régime de libertés dont, notamment, la liberté de croire ou de ne pas croire ?
1 Constitution du 18 février 2005, telle que modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles.
2 « Entretien avec le Dr Denis Mukwege », émission « Libres, ensemble » du 19 novembre 2017.