C’est à l’Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola, à Bruxelles, qu’officie le Dr Christine Fonteyne. Cette pédiatre chevronnée y dirige aujourd’hui la Clinique ressource douleur et les équipes de liaison et mobile soins palliatifs. Elle est donc concernée directement par les questions qui ont provoqué tant de remous en 2014, lors de l’extension de la loi aux mineurs d’âge. Alors, sur le terrain très concret d’un service comme le sien, comment la réalité est-elle vécue? C’est le sujet de cette rencontre à haute valeur humaine ajoutée…
Espace de libertés: La loi sur l’euthanasie a été étendue aux mineurs en 2014 et ce n’est que deux ans plus tard qu’un premier cas a été soumis à la commission d’évaluation. Qu’est-ce que ça signifie?
Christine Fonteyne: Je pense qu’il y a peu de cas concernés par cette loi. Elle est plus restrictive que pour les adultes puisque son champ d’application concerne des patients qui, même s’il n’y a pas de limite d’âge, doivent avoir une certaine capacité de discernement et qui sont dans une souffrance physique qui entraînera leur décès à brève échéance. Parmi les enfants qui sont atteints de maladies limitant leur espérance de vie, beaucoup de patients très jeunes n’atteindront jamais l’adolescence: syndromes polymalformatifs, maladies génétiques, maladies métaboliques… De plus, un certain nombre d’entre eux ont des atteintes cognitives lourdes et, de ce fait, n’auront jamais cette capacité de discernement suffisante. Donc quels enfants sont concernés par cette loi? Des adolescents atteints de cancers, de maladies neuromusculaires ou encore de pathologies telle que la mucoviscidose.
Que fait-on quand on est devant les cas qui n’entrent pas dans le cadre de la loi?
Nous sommes dans une dimension pour laquelle il n’y a pas de socle juridique en Belgique. Lors du vote de la loi d’extension aux mineurs, il y a eu énormément de débats dans le public et chez les professionnels. La confusion induite étant que beaucoup ne comprenaient pas que, finalement, ce cadre légal serait restreint et ne permettrait pas de traiter toutes les questions de fin de vie. La grande crainte d’une dérive n’était pas justifiée puisque le cadre était extrêmement strict. Certains se sont même demandé si, en fin de compte, cette loi n’était pas inutile. J’ai été alors invitée à l’Académie royale belge de médecine comme médecin de terrain afin de réfléchir avec d’autres collègues. Notre avis a été assez nuancé parce que nous nous sommes rendu compte que la loi n’allait probablement pas répondre à beaucoup de situations de fin de vie pédiatrique mais qu’elle avait le mérite de donner une place à l’enfant atteint d’une maladie grave limitant la vie. Et de ne pas nier que cet enfant-là pouvait aussi être dans des situations de souffrances importantes et pouvait avoir le droit de s’exprimer là-dessus. Quand on examine les lois des droits des patients, celles sur les expérimentations humaines ou encore les conventions des droits de l’enfant, on voit que les enfants acquièrent progressivement plus de droits. C’est en tout cas clair depuis 2002.
Pensez-vous qu’il faudrait que le cadre légal évolue encore pour rencontrer les cas qui ne sont pas couverts actuellement? Est-ce que vous en avez besoin sur le terrain?
Personnellement, dans ma pratique, je n’en ai pas besoin. Depuis quelques années, les choses changent. Toutefois, l’application et le respect des « bonnes pratiques » n’est pas encore généralisé; concrètement, il s’agit de réfléchir de façon multidisciplinaire dans un partenariat avec l’enfant et la famille, d’être dans une éthique de la communication. On n’y est pas encore tout à fait. Alors, doit-on légiférer ou pas? Je ne sais pas. Est-ce que ça changera les pratiques? Est-ce que ça évitera ce qui se fait dans l’ombre? Sincèrement, je ne sais pas.
Vous avez parlé de « partenariat » avec l’enfant. Comment, quand, dans quelles conditions peut-on vraiment avoir un tel partenariat?
On y a beaucoup réfléchi. L’âge de l’enfant intervient dans sa compréhension des concepts liés à la sévérité de la maladie et à la mort. L’enfant passe par plusieurs phases de développement psychomoteur, et on sait que la conscience du caractère irréversible de la mort n’est pas présente quand il est très jeune. Un enfant en âge de début d’école primaire, s’il perd un proche ou son animal favori, va demander quand cet être va revenir. Il n’a pas encore conscience de ce qui est définitif ou irréversible. Cependant, les études sur le développement psychomoteur de l’enfant ont été faites sur des sujets sains et qui n’ont pas de maladie chronique et évolutive. Par conséquent, il est difficile de transposer les résultats sur des enfants malades, qui font l’expérience de la maladie, de la souffrance – et quand je parle de souffrance, ce n’est pas que de la souffrance physique – et de la mort. Ils peuvent avoir côtoyé des enfants dans le même service qui, ensuite, sont décédés. Ils ont donc d’autres expériences et il est possible que le développement psychomoteur de ces enfants-là ne se fasse pas de la même manière que chez les autres. C’est donc compliqué de mettre un couperet de la limite d’âge à 12 ans ou 14 ans. Bien sûr, je ne parle pas ici des très jeunes enfants. Là, on est dans autre chose.
Les parents sont évidemment des partenaires essentiels…
Il y a les recommandations théoriques et la réalité de terrain. Les recommandations nous disent que les parents et l’enfant ont le droit à l’information. Celle-ci est clairement énoncée et répétée afin de donner aux parents l’occasion de faire des choix éclairés. Mais il y a plusieurs catégories de parents. Il y a ceux qui veulent être les maîtres du choix. D’autres préfèrent partager la décision avec le médecin. Et enfin, pour certains parents, il est trop compliqué de se prononcer. Ils reposent alors leur confiance et leur choix–et la responsabilité du choix– sur les épaules de l’équipe médicale. Il faut le savoir, parce qu’il peut être très violent d’exiger de certains parents qu’ils fassent des choix pour leur enfant. Certains ne sont pas dans la capacité de le faire ou ne le veulent pas parce que c’est insupportable de devoir faire un tel choix pour son enfant. Mais les choses ne sont pas figées: il y a des parents qui ont besoin d’avoir un peu de temps pour pouvoir cheminer, réfléchir et s’accorder dans le couple.
Dans les débats publics qui ont eu lieu au moment de l’adoption de la loi de 2002, on a pu voir une sorte d’opposition entre la sédation palliative et l’euthanasie, comme s’il s’agissait de deux choses idéologiquement opposées. Sur le terrain, c’est un débat qui a un intérêt ou pas?
Non. Pour moi, l’euthanasie fait partie des pratiques de fin de vie. La sédation palliative, les décisions de non-escalade ou de désescalade font également partie des pratiques de fin de vie. Je sais bien que ce n’est pas le point de vue de tous mes collègues.
Toutes ces questions sont impactées par les progrès scientifiques. En 15 ans, il s’est passé pas mal de choses, notamment quant à la problématique de la maîtrise de la douleur…?
Il y a eu probablement plus d’évolution en médecine adulte qu’en médecine pédiatrique parce que la recherche en soins palliatifs est éthiquement compliquée, particulièrement chez l’enfant. En fin de vie, on ne va pas se lancer dans des études en double aveugle alors qu’on est dans une période où l’on recherche un confort maximal pour le patient. Il est cependant évident qu’on peut beaucoup mieux soulager les symptômes physiques et notamment la douleur qu’il y a 10 ans. On a fait aussi d’énormes progrès dans les soins palliatifs pédiatriques à domicile. Il existe actuellement en Belgique des structures qui proposent de l’accompagnement dans de bonnes conditions à la maison, fin de vie incluse, pour des patients pédiatriques. Tout n’est pas gagné. Il y a encore beaucoup de choses à améliorer dans l’accompagnement de l’enfant et de sa famille confrontée à la maladie sévère et à la fin de vie.