Espace de libertés – Décembre 2016

IVG: le plan B de Jaroslaw Kaczynski


International
Le 3 octobre, 100.000 « femmes en grève » ont manifesté dans les villes de Pologne. Leurs protestations ont eu raison d’un texte de loi rétrograde. Mais les anti-avortement n’ont pas baissé la garde pour autant.

Le 6 octobre dernier, le parti conservateur au pouvoir en Pologne – le PIS, parti Droit et Justice – a refusé de suivre le projet déposé par l’association Stop Avortement qui avait pourtant réuni 500.000 signatures. La Diète a rejeté à une large majorité (352 députés contre, 58 pour et 18 abstentions) un texte de loi qui aurait puni de cinq ans de prison les femmes recourant à l’avortement.

Une joie de courte durée

Plusieurs grands journaux étrangers ont fait valoir que ce recul constituait une victoire pour les 100.000 « femmes en grève » qui avaient manifesté le 3 octobre dans plusieurs villes de Pologne. Leur détermination aurait réussi à faire plier le PIS. L’Église n’avait-elle pas elle-même jugé inopportun de punir les « avortées » de prison? Pourtant, bien avant le vote, le ministre de la Science et de l’Enseignement supérieur Jaroslaw Gowin avait laissé entendre que la manifestation avait « fait réfléchir » la majorité et lui avait donné « une leçon d’humilité ». Même le leader du PIS Jaroslaw Kaczynski avait conclu que le texte de Stop Avortement « conduirait à un processus dont l’effet serait contraire à ses objectifs ».

Mais le 24 octobre, entre 3.000 et 4.000 femmes ont à nouveau battu le pavé devant le Parlement, à Varsovie. Car, entre-temps, Jaroslaw Kaczynski a déclaré qu’il présenterait un nouveau projet de loi « pour la protection de la vie ». Ce texte stipulera que « toutes les grossesses doivent être menées à terme, même dans le cas où le foetus n’a aucune chance de survie ». À l’agence polonaise PAP, il a précisé: « Nous nous efforcerons de faire en sorte que même les cas de grossesse très difficiles, lorsque l’enfant est condamné à mort, avec de fortes malformations, s’achèvent par une naissance pour que cet enfant puisse être baptisé, inhumé et posséder un prénom. »

Un projet de loi encore plus pernicieux

L’objectif est évident: amener une telle grossesse à son terme et nommer l’enfant mort auront pour conséquence de lui conférer automatiquement une personnalité juridique. Il s’ensuivra un nouveau débat sur l’avortement qui tournera à l’avantage de ses adversaires, débat d’où sortira une législation contraignante. Sans parler du traumatisme qu’auront à subir les femmes obligées de porter un bébé condamné à mort. Leur corps ne leur appartiendra définitivement plus.

Ce champ-là semble infiniment plus vaste et plus pernicieux que le projet présenté le 23 septembre dernier par Stop Avortement. Pour rappel, celui-ci stipulait que toute femme qui avorterait ou toute personne qui pratiquerait un avortement (médecin, infirmier) serait passible d’une peine de cinq ans de prison. Dans ce texte, l’IVG restait autorisée uniquement en cas de menace pour la vie de la mère.

La proposition de Jaroslaw Kaczynski reviendrait à dire que non seulement l’avortement doit être banni, mais aussi que la femme n’a plus voix au chapitre.

Selon ses adversaires, la proposition de Jaroslaw Kaczynski reviendrait à dire que non seulement l’avortement doit être banni, mais aussi que la femme n’a plus voix au chapitre. Libération rapporte à ce propos l’analyse de Weronika Grzebalska, chercheuse à l’Académie polonaise des sciences. Pour elle, les politiciens d’extrême droite, les militants antichoix et certains internautes véhiculent un discours haineux contre les femmes, assimilant les prochoix à des « putes », des « égoïstes » et des « meurtrières ». Ce langage n’est pas que le fait de simples particuliers: le ministère des Affaires étrangères a qualifié la manifestation pro-avortement de « farce » alors que la télévision publique y voyait un rassemblement de « provocatrices ».

"Où vas-tu, Pologne?" Écriteau brandi par une jeune fille, lors de la manifestation des femmes contre le projet d’interdiction totale de l’avortement, lundi 3 octobre 2016, à Cracovie.À suivre les féministes polonaises, le gouvernement de Beata Szydlo pourrait profiter du répit actuel pour faire passer une nouvelle loi « peut-être moins absurde, mais tout aussi inacceptable ». Elles estiment qu’il ne faut pas baisser la garde devant le PIS, pas davantage qu’il ne faut la baisser devant la frange ultraconservatrice toujours puissante au sein de l’Église. S’ils se sont prononcés contre une sanction pénale infligée aux femmes ayant eu recours à l’avortement, les évêques appuient invariablement le principal général d’interdiction. L’Église pourrait donc se montrer plus commode avec les visées anti-IVG du PIS si la prison ne fait plus partie du nouveau texte de loi.

La mauvaise influence de Viktor Orbán

Dans sa volonté de mener une « contrerévolution culturelle » à la manière du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, Jaroslaw Kaczynski doit toutefois veiller à ne pas échauder outre mesure la Commission européenne. Les dossiers litigieux n’ont de cesse de se multiplier entre Bruxelles et Varsovie: matériel militaire, accueil des migrants, libertés… Fin juillet, la Commission a notamment adressé une série de « recommandations sur l’État de droit » au gouvernement Szydlo. Elle s’y émouvait d’un nouveau projet de loi modifi ant les modalités de l’élection du président du Tribunal constitutionnel au risque d’en faire un instrument du pouvoir. Le 28 octobre, Varsovie a fait connaître sa réponse: « Nous constatons avec regret que les recommandations de la Commission européenne sont l’expression d’une connaissance incomplète du fonctionnement du système légal en Pologne. » Cette ruade pourrait – théoriquement – conduire Bruxelles à priver la Pologne du droit de vote au Conseil au nom de la « violation grave et persistante » des valeurs de l’UE.

Mais ces menaces auront-elles un quelconque effet? Maintes fois mis en garde mais toujours au pouvoir, ce cabochard d’Orbán fait des émules: « Le nouveau régime polonais semble s’inspirer du précédent hongrois pour tenter de neutraliser les contre-pouvoirs. Après la mise au pas de la Cour constitutionnelle, le gouvernement s’assoit sur l’indépendance de la fonction publique et reprend en main les médias audiovisuels », écrivait récemment L’Express dans un article intitulé « Viktor Orbán, héros européen ».

En Pologne, l’avortement continue de diviser fortement la société. La question est donc aussi de savoir si le gouvernement actuel peut prendre le risque d’une fracture sociale et éthique alors que les problèmes s’accumulent sur d’autres fronts. Si la réponse est positive, la Pologne rejoindra peut-être l’Irlande, Chypre et Malte dans le club des pays les plus répressifs en la matière. Ce ne sera pas un épiphénomène: l’influence du camp anti-avortement n’en sera que renforcée au sein du Parlement européen, là où le ventre de l’Europe aime tutoyer le ventre de la femme.