Espace de libertés – Septembre 2015

La défense armée pour protéger les libertés


Libres ensemble
Le titre interpellant d’un article récent (1) appelant à la dénucléarisation de l’armée belge a attiré mon attention. Je suis cependant interloqué par l’argumentaire sur le nucléaire militaire développé au début dudit article, puisqu’il correspond davantage à une ratiocination réductrice à outrance, éludant la quintessence de la question.

On l’a déjà écrit, il ne faut surtout pas se déclarer « tout de go » pour ou contre (2), ni aborder de façon dogmatique et idéologique un problème aussi fondamental. Le libre-exaministe convaincu et rationnel, mais insuffisamment informé que je suis, évite viscéralement toute déclaration partisane à l’emporte-pièce. Je renvoie plutôt à une analyse récente plus fondée d’un expert belge (3): « La position officielle de la Belgique reste à terme le désarmement nucléaire multilatéral véritable, transparent, négocié et non un retrait souhaité et unilatéral.« 

Ce n’est donc pas sur la question nucléaire que je désire m’épancher, d’autant plus que Biesemans abandonne rapidement le sujet nucléaire pour décocher une série d’affirmations péremptoires et excessives sur l’OTAN, le budget de la défense, notre appartenance à un « complexe militaro-politico-économique international », l’achat éventuel d’avions de combat (« Refuser ce type d’avions, c’est refuser de s’impliquer dans la guerre atomique et la destruction massive de populations civiles »), et même sur le fonctionnement de notre démocratie parlementaire.

Hélas, la défense passive est indubitablement inopérante devant ces violences arbitraires qui accablent les femmes, les hommes, leur patrimoine culturel, la société, bref, l’humanité tout entière…

Les excès tuent plus sûrement qu’une épée (4)

Je ne peux évidemment laisser passer une telle kyrielle de contre-vérités orphelines de la propagande de la guerre froide. L’OTAN imposerait donc à la Belgique le remplacement de ses F-16 et le doublement (5) de son budget militaire d’ici 2030, tout cela « à travers des processus de décision peu transparents et impliquant peu ou prou le régime parlementaire »? Que l’on aime ou que l’on déteste l’OTAN, admettons tout de même que cette alliance n’est pas un organisme supranational: la souveraineté nationale de chaque membre n’y est entamée en rien. En outre, une fois libérées, toutes les anciennes républiques soviétiques européennes ont demandé, en pleine connaissance de cause, leur adhésion à l’OTAN et à l’UE. Quant au pouvoir d’achat de la défense, nul n’ignore que le budget de la défense belge subit, depuis 1985, un… saut d’indice ininterrompu.

Pour ce qui est des processus de décision antidémocratiques, il suffit de consulter les procès-verbaux des séances plénières au Parlement ainsi que de la commission de la Défense et de la commission spéciale des Achats militaires pour se convaincre que tant la transparence que le fonctionnement de notre démocratie parlementaire sont respectés de iure et de facto.

Vers une défense passive?

Biesemans envisage encore de « s’engager dans la démilitarisation… dans un processus aboutissant à une défense populaire et civile non violente ». J’ai moi-même nourri autrefois une affection romantique pour le concept de défense passive. Malheureusement, les exemples foisonnent pour nous rappeler la dure réalité, symbolisée par les mémoriaux érigés en souvenir des martyrs de la résistance non violente (6). Je suis néanmoins formel: en cas de crise, il convient au premier chef de privilégier la diplomatie et tout autre moyen non violent.

La réalité nous confronte toutefois à des pays hégémonistes et à des actions épouvantables de groupements terroristes rejetant tout dialogue et faisant fi de la dignité, de la liberté et des vies humaines, contre lesquels aucune forme de défense populaire n’est opérante. Ne laissons donc pas récidiver l’histoire, les avatars du « Pourquoi mourir pour Dantzig? » et les accords de Munich de 1938.

Faut-il s’étonner des inquiétudes des pays de la frontière orientale de l’UE, particulièrement les pays baltes, face aux craintes suscitées par la politique hégémonique russe depuis le début du siècle? Faut-il rappeler les déclarations de ministres russes (« Il est temps que les brebis rentrent au bercail »), de Poutine (« La disparition de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ») ou la récente hâblerie du vice-Premier ministre Rogozine, chargé de la Défense (« Les chars russes n’ont pas besoin de visa« ), à peine moins originale que celle de Staline (« Les idées vont jusqu’où vont les chars« )?

Une armée au service de la sécurité

L’auteur de l’article souhaite que la Belgique supprime son armée « comme le Costa Rica », qu’il considère comme un exemple édénique. Ici également, il convient de ne pas céder aux poncifs. Si le Costa Rica a effectivement aboli son armée après sa victoire dans la guerre civile de 1946, il n’en a pas moins développé une Fuerza Pública de quelque 10.000 policiers très bien entraînés et équipés. Ses missions sont la sécurité terrestre, la lutte contre les trafics de stupéfiants et la garde des frontières. Le pays dispose en outre d’une Unidad Especial de Intervención, forces spéciales entraînées par Israël, l’Espagne et les États-Unis, avec qui San José a par ailleurs signé un accord de défense (7).

Si nous pouvions nous défendre contre une agression armée par des actions non violentes, j’en serais le premier militant. Hélas, la défense passive est indubitablement inopérante devant ces violences arbitraires qui accablent les femmes, les hommes, leur patrimoine culturel, la société, bref, l’humanité tout entière…

Ne supprimons pas notre armée démocratique qui, dans notre posture de défense moderne, ne correspond plus à l’image romantique de soldats qui campent « debout sur la frontière » afin d’arrêter l’envahisseur. Ses tâches consistent aujourd’hui à maintenir ou à restaurer la paix, à protéger des populations ou à effectuer des missions humanitaires solidaires, comme l’actualité en témoigne tant et plus.

Face à ces périls sécuritaires prégnants, je préfère confier la protection des libertés individuelles et collectives à une défense armée, tout comme je fais confiance à la police pour combattre le crime, aux pompiers pour éteindre un incendie et au corps médical pour prévenir et guérir les maladies.

 


(1) Sam Biesemans, « Dénucléarisons l’armée belge« , dans Espace de Libertés, n°439, mai 2015, pp. 6-8.

(2) Cf. édito d’Yves Kengen, « Pour ou contre… la pensée critique?« , dans Espace et Libertés, n°439, mai 2015, p. 3.

(3) André Dumoulin, « Quelques vérités nucléaires bonnes à dire », dans L’Écho, 20 mai 2015, p. 12.

(4) Proverbe chinois.

(5) Sans spécifier s’il s’agit de prix courants ou d’euros chaînés …

(6) À l’instar de celui de la place Venceslas à Prague en souvenir de Jan Palach.

(7) Ce qui fait dire au président bolivien Evo Morales que le Costa Rica a bien une armée… celle des États-Unis.