Espace de libertés | Septembre 2019 (n° 481)

Des idées et des mots

Il n’y a pas de place publique, de boulevard prestigieux ou d’espace d’exposition à son nom. Seulement une petite rue, dans un quartier défavorisé de Montgomery, en Alabama. Le 2 mars 1955, neuf mois avant Rosa Parks, elle est la première à refuser de céder sa place à un Blanc dans un bus parcourant la petite ville du sud des États-Unis. Elle est la première à tenir tête à la police, à la justice et à la société qui la couvre d’opprobre. Elle est la première et pourtant elle n’est pas devenue une figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale : l’histoire l’a, au contraire, effacée progressivement. Il faut dire que la jeune Claudette Colvin a bien peu d’atouts pour se faire respecter dans la société raciste et patriarcale d’alors : non seulement elle est noire, issue d’un milieu très modeste, mais elle est femme et « fille-mère » d’un enfant à la peau blanche, de surcroît. Rosa Parks était une bonne chrétienne, « vertueuse et distinguée », elle. Elle n’en a pas moins été instrumentalisée par la National Association for the Advancement of Colored People, ceci dit. Car à l’époque, ce sont les hommes – comme un certain Martin Luther King Jr – qui parlent et montent à la tribune. Partant de la biographie de Claudette Colvin publiée par l’écrivaine française Tania de Montaigne en 2015, l’illustratrice Émilie Plateau quitte le rayon autobiographique pour raconter la vie de Claudette Colvin. Entre le roman graphique et le documentaire dessiné, en sépia et style naïf, Noire rend justice à celle qui a été injustement invisibilisée. Et lui rend un hommage anthume, car quelque part aux États-Unis, Claudette Colvin vient de fêter ses 80 automnes. (ad)