Lettres de détenus, souvenirs réalistes ou rêvés, pamphlets emplis de désillusion ou de ressentiment, ctions basées sur des faits réels ou pas, poèmes hallucinés… la littérature carcérale est un genre en soi. Tantôt griffonnés sur des supports improbables sortis en fraude, tantôt publiés au grand jour par des éditeurs prestigieux, tantôt criés sur la place publique (ou à la radio), ces textes sont presque toujours marqués du sceau d’une très grande souffrance. Et ce « surcroît d’humanité » touche, fascine et émeut. Bien sûr, ces écrits trimballent avec eux un certain malaise. Nul ne peut éviter de se poser, même secrètement, la question de savoir qui se cache derrière les mots: franche crapule ou victime pathétique? En tout cas, Hafed Benotman cumulait deux caractéristiques qui le rendaient à la fois inquiétant et attrayant: un CV judiciaire long comme un jour sans pain et un verbe gouailleur comme un dialogue de Michel Audiard.
L’homme est décédé il y a deux ans. Ses amis ont voulu honorer sa mémoire en publiant un recueil de ses meilleurs coups de gueule contre le système judiciaire, la société, les « vaches », les matons, les procureurs, les juges… Sans doute sympathique en diable, Hafed Benotman, par ailleurs pur produit de l’histoire coloniale de la France, cumulait quand même dix-sept ans de cabane au compteur. Il savait donc de quoi il parlait et, sur les antennes d’une radio anar parisienne, distillait ses bons conseils de taulard endurci. Résultat: un recueil de textes qui se lit (et s’écoute puisqu’il est fourni avec un CD reprenant des extraits d’émissions) frénétiquement, dans un mélange de fascination et d’interrogations. C’est de l’humain brut de décoffrage, roublard et généreux comme un verre de gros rouge qui tache. Un coup de projo crû sur l’univers carcéral à ne pas louper.