Et si on inscrivait la laïcité dans la Constitution? Ou du moins son principe? L’idée est belle, la perspective est tentante, alors pourquoi hésite-t-on à franchir le pas? Les raisons de cette hésitation sont diverses.
Il y a d’abord ceux qui n’ont pas coupé le cordon. Non pas avec la foi, ce qui ne constitue pas un problème, mais avec les structures ecclésiales; ceux pour qui les diktats religieux constituent toujours une référence, un idéal, voire une ligne de conduite.
Il y a aussi les « oui, mais », sous-tendus par des arguments variés. Par exemple, celui que notre Constitution comporte déjà implicitement le principe de laïcité et qu’il est donc inutile d’en ajouter une couche puisqu’on y précise même que le mariage civil doit précéder la cérémonie religieuse et on exhorte à la neutralité dans l’enseignement. Certains estiment d’ailleurs que la notion de « laïcité » est, en Belgique, lourdement chargée de « laïcardisme ». Ou, pour les plus objectifs, de collusion sémantique avec une certaine non-croyance et la mise à distance des convictions spirituelles. On souligne encore que des pays qui ont inscrit la laïcité dans leur Constitution ne sont pas nécessairement des modèles de démocratie éclairée, parfaitement respectueuse des droits de l’homme, de l’égalité homme/femme.
Par ailleurs, il est vrai qu’il faut se garder d’idéaliser la laïcité à la française, qui n’est pas le modèle immaculé prétendu par d’aucuns. Non seulement l’Alsace et la Moselle ne pétillent pas sur tous les plans – même si, très récemment, le délit de blasphème y a été abrogé et que le non-financement est un principe qui a ses exceptions sonnantes et trébuchantes. La séparation de l’Église et de l’État n’immunise pas de quelques concessions liturgico-protocolaires et d’entorses à la prééminence de la loi des hommes sur la loi de Dieu.
Alors, pourquoi attribuer chez nous à ce projet des vertus salvatrices favorables à la démocratie, à la citoyenneté, à l’équité? Si l’existence du principe de laïcité dans la Constitution n’est pas une garantie de sa pleine application, il pourra par contre être sollicité et offrir ainsi une référence, une clé de voûte, qu’il sera possible de décliner dans le cadre de l’organisation et de la gestion de l’État.
D’aucuns voient derrière l’inscription de la laïcité dans la Constitution un outil machiavélique pour tenir les musulmans radicaux, voire les autres, loin des « portes du temple » – en France on dirait de la République – alors qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un outil qui permettrait de s’opposer à tous les extrémismes, tous les radicalismes, qu’ils soient ou non de nature religieuse.
Au-delà des réticences
Il s’agit avant tout d’assurer à toutes et à tous la liberté de croire. Mais également de ne pas croire, de pratiquer sa religion ou de ne pas la pratiquer et enfin de pouvoir en changer; le tout au nom de règles communes qui chapeautent un État de droit.
Il faut donc pouvoir parler de laïcité sans être enfermé ni dans son histoire, ni dans une idéologie, en regardant vers l’avant. Finalement, interroger la laïcité, c’est tout simplement interroger la démocratie. C’est par ces mots que Jean-Philippe Schreiber introduisait l’atelier intitulé « Interroger la laïcité de manière prospective » lors du colloque « La(ï)cité critique » organisé par le CAL en 2012.
Le principe de laïcité est la garantie de la liberté de chacun et de l’équité entre tous, qu’ils soient croyants ou non.
L’objectif est d’éviter de voir la sphère publique confisquée par le prosélytisme religieux dont le succès trouve certes ses racines dans la désespérance sociale mais également, il ne faut pas se tromper, dans des visions politiques, économiques qui incluent parfois une volonté liberticide et la tentation d’imposer un mode de vie spécifique. Le principe de laïcité est la garantie de la liberté de chacun et de l’équité entre tous, qu’ils soient croyants ou non.
L’inscription de la laïcité dans la Constitution nous exonérerait également de la mise en place d’instances interconvictionnelles qui vont à l’encontre du principe de séparation des Églises et de l’État. Et en cette période de turbulences qui voit triompher l’ultralibéralisme et monter des propos corporatistes et identitaires, cet acte hautement politique au sens le plus noble serait d’une utilité publique bienfaitrice.
Où en est le processus parlementaire?
Quels sont les propositions déposées, les débats d’initiés, les auditions réalisées? Comment cela va-t-il évoluer et selon quel calendrier? Rappel des épisodes précédents pour ceux qui auraient manqué le début du film.
Le 12 janvier dernier, Patrick Dewael, ancien président de la Chambre, propose d’initier une réfl exion sur « le caractère de l’État et les valeurs fondamentales de la société »: valeurs fondamentales de la société? Loi toujours supérieure à un prescrit religieux ou philosophique? Séparation Église/État suffisamment claire dans l’actuelle Constitution? D’aucuns, comme la NVA, menaçaient alors de répercussions par d’éventuels changements dans le financement des cultes et de la laïcité ou même le financement du réseau d’enseignement confessionnel. Et puis on met un voile sur le terme laïcité et on avance sous le couvert de la neutralité, de l’impartialité, quitte à la qualifier d’objective. Bref, on n’est pas au bout du choix des mots, du choc des propos. Beaucoup de pistes sont envisagées, beaucoup de termes sont avancés, la place de l’inscription du principe de la laïcité est également l’objet d’hypothèses multiples: dans un préambule, pour compléter un article existant, dans le commentaire d’articles à amender. Si l’imagination est au pouvoir, espérons que la liberté soit au bout du chemin.
Aujourd’hui, si les débats ne sont pas congelés, ils semblent l’objet d’une pause automnale. Les discussions en commission pourraient reprendre au cours du dernier mois de cette année. Mais il n’y a pas d’urgence, prenons le temps long des législatures et préparons un produit de qualité dont la saveur pourra être largement partagée et profiter au plus grand nombre.