Espace de libertés – Mars 2016

Le commerce du sexe à travers la loi belge


Dossier
Le régime de la prostitution en Belgique est issu de la loi du 21 août 1948 « supprimant la réglementation officielle de la prostitution » et de la loi du 13 avril 1995 « contenant des dispositions en vue de la répression de la traite et du trafic des êtres humains ».

La loi de 1948 mit fin « à un système qui devait canaliser la prostitution et en rendre la pratique inoffensive par un ensemble de mesures qui en régl[ai]ent l’exercice » notamment par l’organisation, au niveau communal, d’un régime où l’on s’efforçait « de parquer les prostituées en les inscrivant dans un registre spécial, en séquestrant le plus grand nombre dans des maisons autorisées et en les soumettant à des visites médicales périodiques, qui devaient avoir comme résultat, l’extinction des maladies dérivant de la prostitution ». Dans une optique hygiéniste, « on imagina de mettre les prostituées hors la loi, de les soustraire au droit commun et de les soumettre à une administration spéciale: “la police des mœurs”  » (1), qui était chargée d’appliquer les mesures d’exception aux prostituées et avait, sur elles, un pouvoir absolu. Sur le constat de ce que « [m]algré la réglementation, les maisons publiques demeur[ai]ent une cause de maladies vénériennes », le législateur a estimé que « l’État ne p[ouvait] continuer à tolérer, autoriser, protéger les maisons de débauche et favoriser, encourager et provoquer le proxénétisme » (2).

Le glas des maisons closes

La loi de 1948 ne se limite pas à abolir le régime de réglementation communale de la prostitution, elle vise également à rendre la prostitution plus difficile par l’incrimination du racolage actif, et soumet à des peines sévères « les souteneurs et ceux qui profitent de cette déchéance » (3). On relèvera que c’est la loi du 21 août 1948 qui a féminisé la police, en autorisant l’engagement d’officiers et agents de police judiciaire « de l’un ou l’autre sexe » et en attribuant aux agents et officiers féminins les mêmes droits et attributions que les officiers et agents judiciaires masculins, tout en les chargeant spécialement de la recherche des infractions contraires aux mœurs, dont des femmes ou des enfants sont auteurs, victimes ou témoins.

Ce qui n’est pas interdit est permis

Aux termes des dispositions issues de la loi du 21 août 1948, qui forment le chapitre VI, « De la corruption de la jeunesse et de la prostitution » du titre VII « Des crimes et des délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique » du Code pénal, la prostitution ne constitue pas, en soi, une infraction pour celles et ceux qui s’y livrent. Pour le législateur, « [l]’acte de la prostitution est un acte librement accompli. En se livrant, la femme a usé de son droit de disposer de son corps, comme l’homme en la rétribuant. On ne peut parler ici, ni de préjudice causé à autrui, ni d’attentat à l’ordre public, en un mot on ne peut parler de délit » (4). Pas d’infraction donc, mais à condition que la prostituée soit majeure. Le législateur a en effet, par la loi du 28 novembre 2000, consacré une infraction visant le client d’un mineur débauché ou prostitué (5).

Ni racolage ni publicité

Toutefois, si la prostitution n’est pas interdite en soi, le législateur a entendu en interdire, de manière absolue, toute forme de publicité. Tout d’abord, le racolage actif est interdit par l’article 380bis du Code pénal, qui punit « quiconque, dans un lieu public aura par paroles, gestes ou signes provoqués une personne à la débauche ». Ensuite, de manière plus générale, l’article 380ter du même Code incrimine toute forme de publicité relative à une offre de service à caractère sexuel, quel que soit le moyen ou le support utilisé, de manière directe ou indirecte, même en dissimulant la nature des prestations sous des artifices de langage. L’article 380ter du Code pénal réprime ainsi notamment toute publicité d’offre de services à caractère sexuel fournie par un moyen de télécommunication (6) et toute publicité en vue de la prostitution ou de la débauche. Malgré leur généralité, les petites annonces sous la rubrique « sauna » des toutes-boîtes tombent donc sous cette incrimination. Pourvu qu’il n’en soit pas fait publicité, la prostitution n’est donc pas illégale. La Cour de Justice de l’Union européenne considère d’ailleurs que l’activité de prostitution relève du champ d’application de la libre circulation des travailleurs (7).

Les visages du proxénétisme prohibé

Par contre, tombe sous la coupe de la loi pénale le fait d’embaucher, entraîner, détourner ou retenir une personne, fut-elle majeure et consentante, en vue de la prostitution. Cette première infraction ne nécessite pas, dans le chef de son auteur, la poursuite d’un but de lucre (8). Il est même admis que de simples conseils ou renseignement donnés, par lesquels l’auteur amène une personne à se livrer à la prostitution ou à la débauche constitue une infraction.

Constitue également une infraction, le fait de tenir une maison de débauche ou de prostitution. La notion de débauche n’étant pas précisée par la loi, il appartient au juge saisi des poursuites d’apprécier souverainement si le lieu exploité répond à la qualification de maison de débauche. À cet égard, on se limitera à souligner le caractère évolutif du concept de débauche –qui ne se confond pas avec la prostitution– selon l’évolution de l’opinion et de la morale publiques.

De manière distincte, le Code pénal incrimine également le proxénétisme immobilier, à savoir, le fait de vendre, louer ou mettre à disposition aux fins de la prostitution des chambres ou tout autre local dans le but de réaliser un profit anormal. Ne constitue donc pas une infraction le simple fait de louer une chambre ou une carrée, pourvu que le propriétaire ne réalise pas un profit anormal. Cette condition du profit anormal de l’infraction a été voulue par le législateur lorsqu’il a consacré cette nouvelle incrimination par la loi du 13 avril 1995, en vue de lutter contre la prostitution de rue en permettant aux personnes se livrant à la prostitution de bénéficier de locaux en vue d’exercer leurs activités dans des conditions économiques acceptables. C’est donc au regard de l’importance du profit que le bailleur pourrait ou non être poursuivi pour proxénétisme hôtelier.

Distinguer le souteneur du profiteur

En outre, de manière distincte et résiduaire par rapport aux incriminations évoquées ci-avant, l’article 380, § 1er, 4° du Code pénal sanctionne « quiconque aura, de quelque manière que ce soit, exploité la débauche ou la prostitution d’autrui ». Cette infraction ne se confond pas avec celle du recrutement en vue de la prostitution, ni avec de la tenue d’une maison de débauche ou de prostitution, ni avec le proxénétisme hôtelier, même si elle peut recouvrer une situation impliquant les mêmes auteurs et la même victime. Il s’agit d’éviter qu’une personne ne tire profit, directement ou indirectement, de la prostitution d’autrui. L’incrimination est donc bien plus large que celle qui préexistait jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 13 avril 1995 qui a supprimé l’infraction spécifique visant le souteneur, défini comme « celui qui vit, en tout ou en partie, aux dépens d’une personne dont il exploite la prostitution », même si sous l’égide de la nouvelle incrimination le fait de cohabiter avec une prostituée qui contribue par cette activité aux charges du ménage, n’est plus illégal. Aujourd’hui, comme le retient la doctrine, le compagnon d’une prostituée ne peut plus être poursuivi pour ce simple fait, mais reste sous le coup de la loi s’il ne se contente pas uniquement de bénéficier de l’activité de la personne avec laquelle il vit en raison de leur cohabitation, mais l’exploite en l’incitant à se prostituer (9).

 


(1) Proposition de loi supprimant la réglementation officielle de la prostitution, Doc. parl. Chambre, 1946-1947, n° 421, pp. 1-2.

(2Loc. cit, p. 4.

(3Ibid.

(4Loc. cit., p. 5.

(5) Art. 380, § 4, 5e point.

(6) Des services à caractère sexuel proposés par courrier électronique, SMS, MMS, webcam ou chat tombent dans le champ d’application de cette infraction.

(7) Arrêt Aldona Malgorzata Jany e.a., du 20 novembre 2001, C-268/99.

(8) Art. 380 C. pén.

(9) S. Demars, op. cit., p. 226.