Espace de libertés | Mai 2018

Libres ensemble

En Belgique, aussi anachronique que cela puisse paraître, l’interruption volontaire de grossesse reste inscrite dans le Code pénal comme étant un délit « contre l’ordre des familles et la moralité publique » et n’est que partiellement dépénalisée. Pourtant, selon un sondage exclusif sur cette question, 75% des Belges sont favorables à la sortie de l’IVG du Code pénal. Analyse.


Vingt-huit ans après le vote de la loi Lallemand-Michielsens, l’IVG est maintenu dans le Code pénal. Selon les articles 350 et 351 du Code pénal, une peine de prison et une amende restent en effet prévues à l’encontre de la femme concernée et du personnel médical impliqué, si les conditions de la loi de 1990 ne sont pas respectées.

À travers une campagne au hashtag qui en dit long sur ses intentions – #IVG hors du Code pénal –, le Centre d’Action Laïque demande activement que l’IVG sorte du Code pénal. Les raisons sont multiples:il s’agit non seulement de faire reconnaître cette intervention comme un acte médical mais également d’assurer le droit à l’autodétermination des femmes. En mars 2017, pour les mêmes raisons, plus de 8 000 personnalités de la société civile, parmi lesquelles des militant.e.s féministes, des académiques, des artistes et de «simples»citoyen.ne.s, ont revendiqué le retrait de l’IVG du Code pénal en signant le Manifeste des 350 (1). Et depuis mai 2016, ce ne sont pas moins de six propositions de loi qui ont été déposées en ce sens en commission Justice du Parlement.

Qu’en dit la population ?

Ces actions ont mis en lumière la méconnaissance, au sein de la population belge, du cadre légal qui régit le recours à l’IVG. C’est pourquoi le Centre d’Action Laïque et deMens.nu, en collaboration avec l’Université libre de Bruxelles et l’Université d’Hasselt, ont commandité un sondage d’opinion (2). Il en ressort que seul un Belge sur cinq sait que l’IVG constitue toujours un délit figurant dans le Code pénal. Pour plus de trois Belges sur quatre, la décision finale de recourir à une interruption volontaire de grossesse doit appartenir à la femme, quel que soit l’avis de son entourage. Près de six personnes sur dix sont d’avis que refuser l’accès sûr et légal à l’IVG constitue une violence à l’encontre de la gent féminine. Enfin, trois quarts des personnes interrogées sont d’avis que l’IVG ne doit plus être considérée comme un délit et devrait plutôt être régie par une loi médicale.

Large consensus

Chose assez rare en Belgique pour être soulignée, les résultats ne diffèrent que légèrement entre les deux communautés linguistiques du pays. En effet, tant l’état de connaissance relative à la législation applicable en matière d’IVG que le souhait de voir sortir l’IVG du Code pénal ne varient pas entre néerlandophones et francophones, ni entre femmes et hommes.

Par contre, la différence est légèrement plus notable entre générations:les jeunes sont encore très nombreux (79%) à ignorer que l’IVG est toujours partiellement un délit – pour eux, ce droit semble acquis – tandis que les plus de 65 ans sont les plus nombreux à être correctement informés (28%). Une hypothèse d’interprétation de cette tendance serait que les jeunes n’ont pas connu la période du vote de la loi dépénalisant partiellement l’IVG, en 1990. En parallèle, ils s’expriment très fortement en faveur d’une sortie de l’IVG du Code pénal (80%). Quelle que soit l’affiliation philosophique ou religieuse déclarée, le pourcentage de répondant.e.s favorable tant à la sortie de l’IVG du Code pénal que d’en faire une question de santé publique via une loi médicale dépasse les 57%.

Se libérer du joug pénal

Conclusion de ce sondage:une large partie de la population (75,4%) se dit favorable à la sortie de l’IVG du Code pénal. Un positionnement qui rencontre une adhésion encore plus large parmi les jeunes, les athées/agnostiques et les personnes qui possèdent un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur ou de l’enseignement supérieur. Les néerlandophones sondés, sans affiliation religieuse déclarée, y sont les plus favorables (91,3%).

Au vu de ces résultats, on constate que la situation actuelle est tout à fait anachronique et laisse transparaître une symbolique manifestement aux antipodes de l’opinion des Belges. Les débats parlementaires (3) devraient avoir lieu d’ici les élections de 2019, afin de clarifier la position de la Belgique sur cet enjeu de société.

 


(1) www.manifestedes350.be
(2) Méthodologie:enquêtetéléphonique (tirage aléatoire pondéré) intégrée dans un omnibus, réalisée par KANTAR TNS du 13 au 23 décembre2017. Durée moyenne de l’enquête:moins de 3 min. Marge d’erreur:min. 0,6%- max. 3,1%. Procédure Febelmar. Comité scientifique d’accompagnement:Liesbeth Bruckers de Université d’Hasselt et Catherine Vermandel de l’ULB
(3) Défi, le PS, Écolo-Groen, le SPa, l’Open VLD et le PTB-PVDA ont chacun déposé une proposition de loi.