Malgré l’évolution des mœurs, d’aucuns pensent encore que certaines orientations et pratiques sexuelles sont «contre-nature». Pour leur prouver scientifiquement le contraire, Leonor Palmeira et Camille Pier, respectivement biologiste et artiste de cabaret, sont allés voir dans la nature ce qui se passe de si «contre-naturel».
«Josie entre en scène, de paillettes, de plume et de froufrous vêtue. Une loupe entre les doigts, au poignet son petit sac à main et un large sourire aux lèvres.» Nous sommes le 26 novembre au Théâtre de la vie, à la soirée de clôture du festival «Tous les genres sont dans la culture» organisé par l’ASBL bruxelloise Genres pluriels. «Je ne suis pas là pour vous parler de mon sexe, clame Josie. Ni du vôtre, ni du nôtre, mais de celui de nos amis les animaux. Trêve de préliminaires, allons-y gaiement!» Pendant près d’une heure, au cours d’une conférence «scientificomique», la truculente Josie joue avec les mots, les doubles sens, les allusions à peine voilées et passe au crible la sexualité des bêtes à poils, à plumes et à écailles.
La science pour casser les préjugés
Leonor Palmeira, chercheuse en biologie qui a consacré sa thèse à l’évolution de la reproduction sexuée, avait envie d’aborder la question des sexualités et de la partager au grand public avec quelque chose de plus vivant qu’une simple conférence. «En tant que scientifique, je m’intéressais à la diversité sexuelle, à la binarité du sexe et son côté figé. La nature regorge d’exemples qui vont à contresens de cette binarité male/femelle, pas seulement l’hippocampe! Au cours de mes recherches, j’en découvre de nouveaux tout le temps. La biologie révèle que les cases n’ont aucun sens. Pourtant mon travail scientifique est considéré comme iconoclaste car il va à contre-courant de la pensée dominante.» (1) Pensée dominante selon laquelle les espèces vivantes sont divisées en deux catégories: les mâles et les femelles.
Des froufrous et de l’humour pour faire passer la pilule
C’est par l’intermédiaire d’un ami du collectif liégeois Contre/bandes (2) que lui fut présenté Camille Pier. L’artiste de cabaret, en transition depuis un an et demi, lui a d’abord proposé son personnage fétiche, Nestor, avant de donner naissance à Josie, «éminente scientifique experto-specialiste en sexualité animale». Camille ne fait pas l’étalage de son intimité. Par l’intermédiaire de Josie, il parle de la nature en général. Ce qui, pour les moins ouverts d’esprit et éventuels conservateurs un brin coincés qui seraient dans la salle, constitue une sorte de garde-fou et amorce la réflexion. «Josie a une armure à l’épreuve des balles –son apparat–, elle est touchante, fragile, attachante. Elle est libératrice par son côté rayonnant et pleine de doutes et de craquelures.» Au cours de sa conférence divisée en trois chapitres, elle décortique la différence entre mâle et femelle… et tout ce qui se situe entre les deux (obsolète, la binarité!), la finalité des rapports sexuels (et non, chez les animaux non plus, il ne s’agit pas seulement de la reproduction, tant s’en faut!) et la multitude de pratiques (la monogamie hétérosexuelle, quel ennui!). Le spectacle se termine dans une envolée de rimes, de mimes et d’humour avec «Troutrou», un «rap de pornésie» osé sans jamais être salace.
Outre le spectacle et son flamboyant texte édité, le projet multifacettes «La nature contre-nature (tout contre)» mêle joyeusement vulgarisation scientifique et éducation populaire à travers une balade péri-urbaine guidée par Leonor et une exposition de peintures, «Le crime contre nature». «Les animaux dans la nature ne suivent aucun catéchisme dictant ce que la normalité est censée être». C’est le constat posé en matière de sexualité animale par la biologiste spécialiste de l’évolution Joan Roughgarden, née Jonathan. Tout comme Leonor et Camille, l’artiste peintre franco-américaine Gwenn Seemel a puisé dans le fruit de ses recherches pour (dé)peindre cette vie animale débridée.
(1) Propos recueillis lors de la conférence «Écrire les transidentités» à la Maison du livre de Saint-Gilles le 6 novembre 2016.
(2) Collectif dont le but est de penser, transformer et déconstruire les stéréotypes de genre, mais aussi les normes et les catégories sociales.