Espace de libertés – Septembre 2017

MENA cherchent logements désespérément


Libres ensemble

Dans les prochains mois, des centaines de jeunes réfugiés risquent de se retrouver à la rue. Un défi supplémentaire pour ces MENA aux parcours semés d’embûches.


Ils viennent des pays qui font la Une des journaux. Et avant de s’inscrire dans une école pour la rentrée scolaire, ils devront se trouver un toit. En mai dernier, Rob Kaelen, chargé de projet à la plate-forme Mineurs en exil tirait la sonnette d’alarme: la crise de l’accueil des Mineurs étrangers non accompagnés (MENA) arrivés en grand nombre en 2015 (trois fois plus qu’en 2014), va se transformer en crise du logement. Le paradoxe? C’est parce que ces jeunes réfugiés reçoivent un statut de protection de l’État belge qu’ils ne bénéficient plus automatiquement d’un hébergement.

C’est parce que ces jeunes réfugiés reçoivent un statut de protection de l’État belge qu’ils ne bénéficient plus automatiquement d’un hébergement.

 « L’État considère que son action s’arrête dès que les jeunes ont des papiers« , explique Olivier Fagel, responsable logement chez Mentor Escale, une association qui accompagne les MENA au quotidien, dans différentes villes du pays. « Nos solutions d’accompagnement, face à des loyers souvent exorbitants et des propriétaires peu enclins à louer à des jeunes dépendants du CPAS, sont de plus en plus limitées« , explique encore le responsable.

Marathon locatif

En mars dernier, Zahidullah fête son anniversaire. « J’ai eu mes 18 ans le 31 mars. On m’a dit: Tu es majeur et tu vas devoir trouver un nouveau logement. Tu as deux mois. Ce n’était pas une surprise pour moi, je savais que ce serait comme ça. Mais ce changement est tombé en même temps que ma décision d’asile et j’étais vraiment très stressé  », explique le jeune Afghan. La réponse de l’État belge est positive. Il dispose du statut de réfugié. Pour cinq ans. Des permis temporaires qui posent question, mais c’est un autre débat! Zahidullah pousse un Ouf! de soulagement.  Mais une nouvelle course contre la montre commence pour lui. « Pour trouver un appartement rapidement, j’ai cherché partout, surtout à Bruxelles« , se souvient-il. « Je marchais pendant des heures et j’ai fait des dizaines de visites! Mais dès qu’on explique à un propriétaire qu’on est au CPAS, il refuse de louer ou demande plusieurs mois de loyer d’avance. Sans l’aide de Claudine, de la maison sociale de Gembloux où je vivais alors, je n’y serais jamais arrivé. Grâce à elle, j’ai aujourd’hui un appartement. C’est un deux chambres, à Bruxelles, que je partage avec un ami. Je viens d’y emménager, il y a à peine deux semaines. » Une nouvelle vie d’adulte ou presque. Zahidullah a eu de la chance. Le propriétaire a signé un contrat de bail individuel. En effet, pour conserver l’intégralité de ses droits, Zahidullah ne peut pas vivre en colocation. Actuellement, il paie pour cet appartement 425 euros par mois, plus 100 euros de charge. Ce qui lui laisse un peu plus de 300 euros par mois pour « tout le reste ».

Soulever des montagnes

« Maintenant, je sais que j’ai un avenir ici. Je dois trouver une école pour septembre et surtout commencer mes démarches de regroupement familial. Je voudrais que ma petite sœur, qui a 13 ans, puisse venir en Belgique pour aller à l’école. » Sur le front de Zahidullah, une cicatrice. « J’ai mis trois mois pour arriver en Belgique. On était trente garçons. Je suis passé par l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche, l’Italie, la France et puis je suis arrivé à la gare de Bruxelles-Midi. On a beaucoup marché, parfois la nuit. Parfois plusieurs jours d’affilée sans manger. Pour passer la frontière iranienne, on a traversé les montagnes à pied. Je ne parvenais plus à marcher, j’étais épuisé. Le passeur m’a frappé avec une pierre parce que je n’avançais pas. Et voilà, ma tête s’en souvient« , rigole-t-il, pudique.

Son meilleur ami, Imran, 18 ans, connaît bien cette route. Il l’a parcourue lui aussi, accompagné de son grand frère. « J’ai quitté l’Afghanistan avec mon frère aîné. Mais on s’est perdu à Istanbul. La police est arrivée. Les passeurs ont mis les plus jeunes d’un côté et les plus vieux de l’autre. Ils m’ont dit: Ton frère continue de son côté, tu le retrouveras en Allemagne. Mais en Allemagne, il n’y avait personne. Depuis je le cherche. J’ai un dossier ouvert à la Croix-Rouge. » Imran a passé sa première journée en Belgique sur la dalle de la gare du Nord. C’était il y a deux ans. Mais récemment, il a dû y dormir à nouveau. Une seule nuit. « Il y a six mois, j’ai eu un OK pour recevoir l’asile en Belgique. Pour un an. On m’a donné dix jours pour trouver un nouveau logement. J’ai visité des dizaines d’appartements. Aucun propriétaire ne voulait me les louer. Après dix jours, le responsable de la structure où je logeais a pris mes clés. Je pensais qu’il blaguait. Mais non, j’étais dehors! J’ai dormi pendant trois jours chez un ami, dans son salon, et puis j’ai dormi une nuit dehors« , explique Imran. Son tuteur l’a aidé pour qu’il ne se retrouve plus à la rue. Des amis à lui, une famille, l’hébergent désormais. « J’ai ma propre chambre et même un ordinateur que je peux utiliser. Ce sont des gens très gentils. En septembre, je vais emménager dans une maison à Leuven avec cinq autres étudiants, que des filles« , dit-il en souriant. Là aussi, c’est l’intervention conjointe de l’ASBL et de son tuteur qui l’ont tiré d’affaire.

Mais tout le monde n’est pas si bien entouré et les logements accessibles et salubres manquent cruellement. « Nous craignons que ces jeunes se retrouvent à la rue« , poursuit Olivier Fagel, de Mentor Escale.  Un retour dans un non-lieu. « Dans ce type de situation, le risque c’est d’accepter n’importe quoi à n’importe quel prix et de vivre dans des conditions insalubres. On met ces jeunes en concurrence avec des publics déjà précarisés. Ils cumulent les difficultés. Comment prendre son indépendance et suivre ses études quand on vit au milieu du salon de quelqu’un d’autre ou qu’on passe la nuit au Samu social au milieu d’adultes alcoolisés? Alors qu’on leur demande de se concentrer sur leur réussite scolaire, de faire leur travail d’intégration… Comment peuvent-ils à nouveau faire confiance aux adultes si la société qui les accueille tient un discours, mais n’agit pas en conséquence? » conclut le responsable.

Gare du Nord, aller-retour

Trouver un logement, c’est bien, mais encore faut-il arriver à le conserver. Cédric, 22 ans est originaire de Kinshasa. Il dispose d’un statut de réfugié en Belgique. « En juin dernier, alors que je terminais mon TFE et mon examen final, mon propriétaire m’a dit qu’il vendait tout l’immeuble et qu’il fallait que je parte. Cette nouvelle arrivait au pire moment. J’étais extrêmement stressé! Bon, maintenant, j’ai réussi mes études. Mon objectif principal est de trouver un travail au plus vite parce que d’expérience, je sais qu’aucun propriétaire ne souhaite louer à une personne qui dépend du CPAS. »

Pour la plate-forme Mineurs en exil, il est indispensable de faciliter l’accès au logement pour ces jeunes en leur autorisant la colocation sans perdre leur revenu d’aide sociale et en individualisant leur parcours d’accueil. « Les propriétaires se méfient de ces jeunes locataires potentiels, alors que ceux-ci sont très bien accompagnés par des services spécifiques« , explique Rob Kaelen. « Le système actuel a pour conséquence que certains jeunes se retrouvent sur le marché locatif privé trop tôt, avant d’avoir pu faire avec eux un travail sur l’autonomie. D’autres sont coincés trop longtemps dans le système alors qu’ils seraient prêts à vivre de manière autonome« , poursuit le responsable, qui plaide pour un accueil individualisé des MENA.

Quant à Imran, il voit désormais son avenir avec confiance. « Le plus important pour moi, c’est de retrouver mon grand frère et que mon petit frère –quatre ans– me rejoigne. Ici, il pourra aller à l’école et grandir en sécurité. Le vendredi, je suis bénévole dans une association qui donne des repas à la gare du Nord. Ça me fait plaisir d’aider. Parce que ces gens, avant, c’était moi. »