Espace de libertés | Mai 2019 (n° 479)

Dossier

Le droit pénal restreint-il nos libertés ? L’évolution de notre société, sous l’angle de la pénalisation galopante de nos comportements et l’incrimination d’actes contestataires fournissent des éléments de réponse flagrants… comme un délit.

Les comportements individuels et collectifs sont, dans notre société actuelle, beaucoup moins libres qu’il y a trente ans. Notre vie est bien plus organisée, réglementée, et les règles qui encadrent nos obligations sont pénalement sanctionnées afin d’en garantir le respect. Le nombre de comportements interdits a donc considérablement augmenté, mais il n’est malheureusement pas possible de déterminer dans quelle proportion. Une étude sur le sujet serait particulièrement intéressante. À tout le moins peut-on constater qu’en 1980, il n’existait pas de Code pénal spécial ni même de loi relative au bien-être des travailleurs alors que plus de cent dispositions dudit Code incriminent aujourd’hui les comportements en rapport avec le travail. Les infractions relatives au droit pénal de l’environnement n’existaient pas, de même que l’infraction de harcèlement ou encore l’appartenance à un groupe terroriste. Autre exemple encore, les interdictions de fumer qui ne cessent d’augmenter. Et en matière de mœurs, le législateur est allé jusqu’à incriminer le simple voyeurisme.

Nos vies sous contrôle

Les nouvelles technologies jouent un double rôle dans ce débat. D’une part, leur apparition a abouti à l’émergence de nouvelles formes de criminalité (regroupées sous le terme de « cybercriminalité ») et, partant, d’interdictions pénales : tel est le cas des infractions commises via Internet ou l’informatique. D’autre part, elles permettent un contrôle plus poussé de nos activités sociales. Ainsi, il est aujourd’hui possible de déterminer le lieu où se trouve un smartphone, d’identifier son propriétaire, de déterminer avec qui il a été en contact. Avec ces technologies, on peut suivre, filmer ou infiltrer. Nos vies sont donc d’autant plus contrôlables et, de fait, plus contrôlées qu’elles ne l’étaient au début des années 1980.

La tendance est à l’incrimination et pourtant, dans le même temps, le nombre d’infractions commises par les individus a diminué. Contrairement à l’image véhiculée dans la société, et notamment par certains médias, notre société est plus sûre que par le passé. Le citoyen est mieux protégé des infractions susceptibles d’être commises par autrui. Cette contradiction ne manque pas d’interpeller. La société moderne n’a pas seulement tendance à recourir au sécuritarisme, mais aussi à la pénalisation et à la sévérité. Pour s’en convaincre, il faut rappeler que le précédent accord du gouvernement tendait à permettre aux juges, voire à leur imposer, des peines de sûreté. C’est aujourd’hui chose faite. Il faudrait diminuer nos libertés et punir plus fortement ceux qui transgressent les lois. La vengeance, que l’on ose à peine mentionner, est, malheureusement, un idéal de justice dans la perception du plus grand nombre.

Des peines plus sévères

En ce sens également, le nombre de circonstances aggravan­tes a largement augmenté. Ainsi, à la suite d’un fait divers relatif à des coups et blessures portés dans un métro, puis sur un chauffeur de bus, il a été décidé que la peine devait être plus sévère, dans le Code pénal, lorsque des coups sont portés à l’encontre d’un conducteur de transport en commun. L’agression d’un chauffeur est-elle vraiment plus grave que celle d’un usager ? Après le meurtre d’un policier liégeois, la demande a également été formulée d’augmenter encore les peines lorsqu’un crime est commis à l’égard d’un représentant des services de police. La peine d’emprisonnement prévue par la loi pour un meurtre est déjà de vingt à trente ans. Conviendrait-il de prévoir une différence ? L’agression d’un policier serait-elle plus grave que celle d’une personne âgée ?

Derrière tout cela, un débat fondamental : celui de la corrélation qui est systématiquement faite entre la volonté de protéger une catégorie de personnes et l’existence d’une sanction pénale effectivement prononcée avec sévérité. À cet égard, notre société n’a guère évolué. Comme il est difficile d’expliquer que la peine n’a pas un effet réellement dissuasif sur les futurs délinquants, le discours dominant, en particulier au sein du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, reste la volonté de rassurer par plus d’incriminations, plus de sécurité et plus de sévérité. Tout cela, en définitive, n’est que poudre aux yeux et n’aboutira guère à une meilleure qualité de vie des citoyens.

Le droit pénal restreint bien nos libertés et son évolution tend à de plus en plus de restrictions. Nous sommes, à ce point, entourés de comportements interdits qu’il est même impossible, pour un juriste avisé, d’anticiper tous les comportements susceptibles d’entraîner une condamnation pénale.