
Comment réglementer l’usage et le développement de l’IA en Belgique ? Quels sont les enjeux éthiques soulevés par la révolution numérique ? L’AI ACT permettra-t-elle de répondre à ces nouveaux défis ?
Dans le cadre de son mémorandum pour les élections 2024, le Centre d’Action Laïque plaide pour la création d’un comité consultatif indépendant relatif à l’éthique de l’intelligence artificielle.
À l’occasion de son sixième Midi PIL de la saison, le Centre d’Action Laïque a invité les partis politiques francophones à échanger sur ces questions. Ont répondu présents :
- Margaux De Ré pour Écolo
- Christophe Dubois pour DéFI
- Thomas Gillet pour le PS
- Ismaël Nuino pour Les Engagés
Ce débat enrichissant qui a eu lieu le 21 mars dernier a permis d’ouvrir la réflexion et de poser des constats communs.
Avant toute chose, le Centre d’Action Laïque a souhaité rappeler sa position en matière d’intelligence artificielle. Si les laïques sont évidemment favorables au progrès technologique, ils rappellent la nécessité que celui-ci contribue toujours au bénéfice de l’humanité. Il n’est donc souhaitable qu’à condition qu’il augmente la liberté individuelle et collective, qu’il participe au renforcement de l’égalité et qu’il puisse initier une plus grande solidarité entre individus. Or, ces objectifs sont loin d’être atteints et de nombreuses inconnues persistent quant aux conséquences de l’implémentation de l’IA dans toute une série de domaines tels que la santé, l’éducation, les arts, les services de sécurité, les pouvoirs et administrations publics, les entreprises etc.
Partageant ces constats, chaque parti politique représenté a précisé ses priorités en matière de régulation sur le territoire belge. Si tous appuient la nécessité de ratifier l’AI ACT, une réglementation inédite de l’IA à l’échelle européenne votée par les parlementaires le 13 mars dernier, des discussions s’engagent sur la nécessité ou non d’aller plus loin que ce qui est prévu par le texte. C’est notamment une question posée par La Ligue des Droits Humains sur la reconnaissance faciale qui suscite le débat.
Sur ce sujet, le PS et Les Engagés annoncent que leur position respective n’est pas véritablement agréée. Le PS rappelle que l’AI ACT pose une interdiction de principe de l’usage de la reconnaissance faciale qui est toutefois assortie de quelques exceptions circonstanciées lesquelles doivent encore être traduites dans le droit belge. Dès lors, il s’agira de rester vigilant quant au respect de l’État de droit sur ces exceptions. Les Engagés partagent ce point de vigilance en admettant qu’il faut aller plus loin que l’AI ACT sur la reconnaissance faciale et biométrique. Ils préconisent un certain nombre de balises afin d’évaluer et de réguler l’usage de la pratique notamment, dans les services de police sans pour autant l’interdire totalement puisqu’elle peut être utile par exemple, dans les cas d’enlèvement d’enfants. Pour Écolo, il faut également aller un cran plus loin au sujet de l’usage de cette technologie dans les foules afin d’éviter de tomber dans un État de surveillance et de toujours garantir la protection des droits fondamentaux. Dès lors, le parti plaide pour un moratoire de la reconnaissance faciale et biométrique afin de contrer les expériences menées sans qu’aucune législation ne les encadre. Cette position semble être rejointe par le parti DéFI puisque son représentant s’oppose à toute pratique de reconnaissance faciale et appelle tous les partis à mener une réflexion sur l’utilisation de cette technologie et ses conséquences sur les droits fondamentaux dont celui à la vie privée.
Une question posée par Frédéric Young, délégué général de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia) et de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) en Belgique, amène également les partis à se positionner sur la protection des professions artistiques et des droits d’auteurs. Tous les partis s’accordent sur la nécessité d’établir un cadre de protection des métiers artistiques au regard de l’utilisation par les systèmes d’IA des œuvres produites. Par ailleurs, la formation et l’accompagnement des professionnels des arts constituent un enjeu d’avenir fondamental afin de ne pas accentuer davantage la concurrence dans le domaine, au risque de voir certaines professions disparaître. Toutefois, l’absence de cadastre sur l’utilisation de l’IA dans le domaine des arts et la récupération des œuvres par celle-ci, risque de poser de nombreux défis pour le législateur.
Enfin, chaque parti s’est positionné sur la proposition du CAL de créer un comité consultatif indépendant relatif à l’éthique de l’intelligence artificielle. Celui-ci serait chargé de rendre des avis sur l’implémentation de l’IA dans tous les domaines précités en tenant compte des dimensions juridiques, sociales et environnementales. De manière générale, tous se sont montrés favorables à cette recommandation mais qui prend des formes différentes selon les programmes de chaque parti. Le PS propose la création d’un comité interfédéral indépendant qui permettrait de traiter de l’ensemble des questions qui touchent au numérique (dont l’IA) et qui permettrait de conseiller les pouvoirs publics dans leur utilisation de l’IA, le tout sur base des connaissances scientifiques actuelles mais aussi compte tenu des aspects éthiques. Écolo va dans le même sens avec la création d’un observatoire du numérique chargé d’évaluer les choix technologiques du secteur. Cette structure indépendante composée à la fois d’experts et de membres actifs de la société civile, remplirait un rôle informatif et réflexif sur la trajectoire technologique, tout en donnant aussi le cap pour la redirection des technologies numériques. DéFI plaide quant à lui pour la création d’un pouvoir régulateur interfédéral lequel doit s’accompagner d’une administration experte et compétente en matière de digital et d’intelligence artificielle. Le parti rappelle la nécessité qu’un tel organe soit totalement indépendant et dépolitisé. Les Engagés proposent, eux, la mise en place d’un institut belge pour la gouvernance de l’intelligence artificielle composé d’experts compétents en la matière afin de donner des guidelines aux pouvoirs publics et aux entreprises en termes de développement et d’usage de l’IA. Ils préconisent également la nomination d’un commissaire fédéral à la numérisation chargé d’orchestrer l’implémentation du numérique dans toute une série de domaine. Celui-ci s’accompagnerait d’une administration en charge des matières numériques et d’un pouvoir régulateur.
Reste désormais à savoir comment ces propositions vont être amenées et débattues au Parlement fédéral et ce, en présence de tous les partis francophones et et néerlandophones.