Histoire de la laïcité

Un pur produit des Lumières

L’histoire de la laïcité, c’est évidemment aussi l’histoire de l’État démocratique tel que nous le concevons aujourd’hui.

Au XVIe siècle déjà s’amorcent des changements dans les rapports Églises-État, jusqu’alors étroitement imbriqués. La découverte de l’Inde, celle des Amériques entraînent la confrontation soudaine à d’autres formes religieuses.

En Europe, le protestantisme se développe. Forcément, la religion catholique perd un peu de son lustre universel. Il faut toutefois attendre la fin du XVIIIe siècle, celui des Lumières, pour qu’enfin l’État se décide à prendre ses distances avec son embarrassante maîtresse, l’Église.

Histoire de la laïcité

Le 13 octobre 1781, Joseph II, empereur d’Autriche et des Pays-Bas, promulgue l’Édit de Tolérance.

Le grand tournant se produit quelques années avant la Révolution française. Le 13 octobre 1781, Joseph II, empereur d’Autriche et des Pays-Bas, promulgue l’Édit de Tolérance. Pour assurer la paix religieuse, il garantit l’égalité de traitement aux non-catholiques (c’est-à-dire à l’époque, principalement aux protestants et aux juifs). Jusqu’alors, l’Église contrôlait intégralement l’État civil des individus, par les registres des baptêmes, des décès, l’institution du mariage religieux, les funérailles… L’édit de Tolérance confie désormais la gestion de l’État aux fonctionnaires. Le droit au divorce est consacré. Une réforme juridique élimine les privilèges de la noblesse et du clergé. Puis, en 1794, la Belgique d’avant la Belgique est annexée par la première République française. Elle voit importé sur son territoire le processus de laïcisation volontariste tel qu’il est mené en France.

Je veux l’État laïque, exclusivement laïque […], je veux ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui.

Victor HUGO

1831: l’Église catholique est reconnue comme majoritaire dans la Constitution belge

Histoire de la laïcité

Le Roi tire ses pouvoirs de la Constitution et non de Dieu.

L’Église aurait-elle alors définitivement perdu le contrôle de nos régions? Pas vraiment. 1815, après Waterloo, la Belgique revient aux Pays-Bas. Catholiques et libéraux, très vite, cherchent à s’allier contre Guillaume II. Les premiers ne supportent pas d’être gouvernés par un roi protestant. Les seconds honnissent son interventionnisme économique. L’indépendance de la Belgique, en 1830, sera donc le produit direct de l’alliance de ces deux courants antagonistes, qui amèneront la devise « L’Union fait la Force ». Et la Constitution belge s’avère un texte de compromis. L’Église catholique y est reconnue comme religion majoritaire.

Elle gagne ainsi la « liberté » de l’enseignement – un monopole de fait – et la rémunération par l’État, salaires et pensions, des ministres du Culte. En échange, les libéraux voient consacrées des libertés fondamentales particulièrement progressistes pour l’époque: droits sociaux, liberté de la presse et des cultes…

ART. 15. Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer le jour de repos

(Constitution belge, 1831)

Les guerres scolaires et le Pacte scolaire de 1958

Mais l’unionisme fera long feu. Une première « guerre scolaire » conduira à des élections qui verront le Parti catholique prendre le pouvoir et s’y maintenir jusqu’en 1914. On parle alors de colonisation intérieure de la Belgique par l’Église, qui ne manque pas l’occasion de placer ses pions à tous les niveaux du pouvoir.

Dans les décennies suivantes, l’enseignement restera majoritairement catholique. Des tentatives d’instauration d’un cours de morale non confessionnelle émergeront çà et là. Le libre choix des parents ne sera garanti qu’après le vote en 1958 du fameux Pacte scolaire, qui vient clôturer la deuxième guerre scolaire.

Désormais, l’enseignement officiel offre  des cours de religion optionnels à côté du cours de morale. Le Pacte scolaire est historiquement considéré comme un échec pour les laïques et les défenseurs de l’école publique. Ils perdent plus qu’ils ne gagnent. Le Pacte scolaire permet désormais à l’État d’étendre son offre d’enseignement là où le besoin s’en fait sentir et garantit le libre choix des parents en termes de réseaux (les parents doivent disposer à une distance raisonnable d’une école correspondant à leur choix). En contrepartie, le financement du réseau catholique est renforcé et l’obligation pour les écoles officielles d’offrir une éducation religieuse est inscrite dans la loi. Les laïques doivent alors renoncer à voir l’école publique libérée des cours de religion. D’autant que cette disposition du Pacte scolaire sera inscrite dans la Constitution en 1988.

Histoire de la laïcitéL’Arrêt de la Cour Constitutionnelle du 12 mars 2015, dit arrêt « de Pascale », vient encore modifier la donne. Il précise que les parents ont la liberté de ne pas choisir entre un cours de religion ou de morale, et que leurs enfants peuvent en être dispensés. Pour les laïques, cet arrêt laisse à nouveau entrevoir la possibilité de libérer l’école publique des cours de religion et de morale, du moins dans les grilles horaires obligatoires. Et d’envisager un cours nouveau, pour tous les élèves réunis, de philosophie, de citoyenneté et d’apprentissage du fait religieux.

Laïcisation progressive du droit et des services collectifs

De petite révolution en grande victoire, la laïcisation de la société rendra progressivement la vie publique indépendante des prescriptions religieuses. Évidemment, libre à chacun de respecter ces dernières ou pas. Question de choix personnel. Au risque de se répéter: la laïcisation de la société n’est pas un processus antireligieux, mais le seul moyen de garantir à chacun la liberté de pensée dans un contexte de brassage sans cesse grandissant des convictions, tant religieuses que philosophiques.

Elle passe par la laïcisation du droit. On ne pend plus pour blasphème, on ne condamne plus pour non-observance de la religion, on ne torture plus comme sous l’Inquisition, évidemment. Mais on s’affranchit également des interdits religieux en autorisant le divorce, l’avortement, plus récemment l’euthanasie, le mariage homosexuel, etc. D’autre part, la conquête d’une société laïque est passée aussi par la laïcisation des services collectifs: écoles publiques, hôpitaux civils, registres d’état civil, reconnaissance du mariage et des funérailles civils…

 


Photo © I, Carolus, CC BY-SA 3.0