Les élections présidentielles auront-elles lieu en décembre prochain en Algérie ? Rien n’est moins sûr. Pour l’instant, les manifestants du vendredi réclament avant tout la fin du régime. Du côté des partis, certains se remettent à voir la laïcité non plus comme une utopie, mais comme une nécessité.
Le 15 septembre dernier, au parc de La Courneuve à Paris, la Fête de L’Humanité bat son plein. Le soleil remplit ses promesses. C’est un temps inespéré pour flâner parmi les quelques centaines de kiosques qui nous font découvrir leurs couleurs et saveurs bien locales ainsi que leurs préoccupations sociales et politiques de l’heure. Ici, on fait les deux. On s’amuse. Et on milite. Dans la section réservée aux délégations étrangères dans l’espace-monde, le Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD) arbore fièrement sa banderole accolée au drapeau algérien. Celui-là même que le monde entier a (re)découvert depuis l’éclosion du mouvement populaire citoyen qui s’empare de la rue tous les vendredis avec un mot d’ordre bien senti : la fin du système. « Yatnahaw gaa ! » Un cri. De douleur et d’espoir. Il y a si longtemps que les rues des villes, d’un bout à l’autre du pays, n’avaient pas résonné aussi massivement de revendications de cette nature. C’est même une première depuis l’indépendance. C’est dire l’intensité du séisme politique qui secoue l’Algérie. Tout est sur la table. Il est question d’accoucher d’une deuxième République. Mais avant cela, un grand ménage s’impose.
Double rupture
Depuis le 22 février 2019, la rupture avec le système rentier, né dès l’indépendance, constitue la première revendication. C’est précisément l’un des deux piliers de la doxa politique du PLD. L’autre étant la rupture avec l’islam politique. Voilà ce qui définit brièvement la raison d’être de ce jeune mouvement avec son exigence de la double rupture théorisée par le défunt El-Hachemi Chérif (1939-2005), figure politique emblématique, ancien secrétaire général du Mouvement démocratique et social, dont ce parti est issu. À Alger comme ailleurs, chaque vendredi, la contestation se lève et se relève sans jamais faillir malgré la terrible répression qui sévit et les emprisonnements d’activistes. « Silmiya (pacifique), Silmiya ! », crient encore les manifestants. Au début des années 1990, le pays a souffert de la montée d’une terrible violence avec des assassinats presque quotidiens. Sur ce terrain-là, la société est marquée au fer rouge. Certes, trente années se sont écoulées depuis. Mais les traumatismes restent nombreux. Chacun retient son souffle. Car tout le monde sait que tout peut déraper très vite. Dans ce contexte, la rupture avec l’islam politique devient un préalable à toute action politique. Garantir la sécurité, envisager une transition démocratique passe nécessairement par une stricte séparation entre le temporel et le spirituel et par la dissolution des partis islamistes, prône le PLD.
Après plus de six mois de contestation, le mouvement « Hirak » ne semble toujours pas s’essouffler en Algérie. Mais aucune solution à la crise politique ne se profile. | © Ryad Kramdi/AFP
Une exigence historique
La laïcité s’impose alors comme une exigence historique, comme le référentiel philosophique de choix pour définir la nature politique de l’État et surtout sortir de l’ambiguïté constitutionnelle qui coince l’Algérie dans un insupportable statu quo en raison de l’article 2 de la Constitution : « L’islam est la religion de l’État. » Le pays n’a jamais assumé pleinement son adhésion à la modernité. Comme la plupart des États musulmans, cet État-nation a, depuis son indépendance en 1962, cheminé entre une forme de modernité et une tentation islamiste, ce qu’El-Hachemi Chérif a qualifié d’ »hybridité de l’État ».
En 1980, un virage : l’arrivée au pouvoir du président Chadli Bendjedid (1929-2012) a ouvert la voie à l’islamisation par le « haut » et par le « bas ». La mouvance islamiste a fait main basse sur le système éducatif à travers une arabisation intensive et un cours de religion obligatoire de plusieurs heures par semaine en primaire, en secondaire et à l’université pour de nombreuses filières. La promulgation en 1984 du Code de la famille (d’inspiration religieuse) – que des Algériennes ont très vite rebaptisé le « Code de l’infamie » – est le résultat d’un compromis politique en faveur des islamistes. La polygamie (qui concerne environ 1 % de la population), tout comme la répudiation, y est reconnue. L’époux détient l’ensemble de l’autorité parentale. Son épouse lui doit obéissance. À lui, comme à ses beaux-parents. Pour se marier, la femme a besoin d’un tuteur. L’apostasie est un empêchement au mariage. De même, un apostat ne peut hériter d’un parent musulman.
Cette minorisation des femmes, ces limitations des libertés et droits individuels tout comme la violation de la liberté de conscience contrarient sérieusement l’aboutissement de tout projet démocratique. Dans son énoncé de politique générale, on peut lire : « Les militants du Parti pour la Laïcité et la Démocratie (PLD) sont convaincus que l’instauration de la laïcité en Algérie est le seul moyen de se protéger des conséquences des manipulations politico-religieuses, d’où qu’elles viennent pour construire une Algérie républicaine, démocratique, moderne et sociale. La laïcité est en revanche anticléricale, dans la mesure où elle s’oppose à la prétention des religions, dont l’islam, à vouloir régenter tous les domaines de la vie des individus. Elle assure de ce fait la primauté de la citoyenneté sur l’appartenance religieuse ou communautaire. Voilà pourquoi elle bannit les religions et les particularismes de la sphère publique, tout en garantissant leur libre expression dans la sphère privée. »
Les élections, on n’en veut pas
Pour calmer la rue, l’homme fort du moment, Gaid Salah, chef d’état-major de l’armée, a promis des élections présidentielles le 12 décembre prochain. Le PLD s’oppose à ce scrutin et, cette fois-ci, il a la rue de son côté. Car personne n’est dupe. Des élections, pour quoi faire ? Organisées par qui et au service de qui ? Le patron de l’armée veut forcer un retour à la « normalisation ». Les manifestants, eux, continuent de réclamer la fin du régime. Dans ce climat d’incertitude, une grande responsabilité pèse sur les épaules de nos camarades laïques algériens, ne les abandonnons pas à leur sort. Laïcité doit aussi rimer avec solidarité : soyons à leurs côtés.