Dans la problématique des « fake news », l’utilisation répétitive de certains mots est flagrante. Employés à gogo sans aucune retenue, ils deviennent réalité grâce à l’effet coup de massue.
Fake news (locution anglaise). Définition : « Ne désigne pas, à proprement parler, des fausses informations (false), mais des informations manipulées (fake), travesties en “vraies” informations. Au sens propre, les fake news apparaissent dans des publications qui se donnent les apparences de véritables articles de presse, relayés par des sites qui cherchent à se faire passer pour des organes de presse officiels ». Ainsi le linguiste Michel Francard définissait-il le « mot 2017 » que les lecteurs du Soir venaient de plébisciter, peu de temps après le bouclage de la première année de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Les fake news sont indissociablement liées à la figure du président américain, devenu aux yeux d’une partie de l’opinion le chantre de ce « genre informatif », mineur certes par la morale mais diablement efficace dès lors qu’il s’agit de frapper les imaginations. Une véritable arme de désinformation massive…
Dans une récente publication intitulée « Trump to the media : Fake you ! », des chercheurs de l’ULB et de Paris 8 ont procédé à une analyse lexico-discursive de la communication polémique présidentielle sur Twitter (2009-2018). Conclusion : « Premièrement, les médias sont régulièrement mentionnés dans le corpus de manière généralisante et plutôt négative […] En deuxième lieu, les expressions collocatives sont récurrentes dans le discours de Trump président, avec comme point de bascule le moment où il gagne les élections et commence à employer très fréquemment les syntagmes fake news, fake media et fake news media. » Car Donald Trump ne se contente pas de produire des fake news à la volée, il accuse aussi les médias qui ne lui sont pas favorables d’intoxiquer le public. Avec pour résultat que la Vérité – avec un grand v – s’y perd.
La cible : les médias
On apprend ainsi que cette « écriture » particulière ne s’est pas construite en un jour. L’étude « Trump to the media : Fake You ! » met en lumière une évolution dans la manière dont Trump a progressivement appréhendé et qualifié les médias. De satellitaires, ils sont devenus obsessionnels pour le président qui cherche ainsi à se départir d’un certain establishment et à imposer sa propre manière de voir le monde à force de matraquage. Le « surgissement du syntagme fake news dans les tweets du compte @realDonaldTrump » est en réalité le fait de trois énonciateurs différents, détaille l’étude : « Trump homme d’affaires, Trump candidat et Trump président ».
Un « point de rupture » a eu lieu le 9 janvier 2017, c’est-à-dire au début du mandat présidentiel. « Il y aurait ainsi deux étapes dans la construction de la question médiatique : dans un premier temps, à partir de l’annonce de la candidature (à la Maison-Blanche), les médias deviennent un objet de discours central dans les tweets. Et, dans un deuxième temps, à partir de la prise de pouvoir, c’est l’expression fake news qui fait irruption. Cette temporalité dans l’emploi de l’expression laisse penser à une redéfinition du syntagme avec pour objectif de lui assigner un nouveau référent », écrivent les auteur.e.s de « Fake you ! ». Parallèlement, cette étude met en lumière la maigreur du lexique employé par Donald Trump et son équipe de communicants. Quelques dizaines de mots, pas plus, servent en permanence la posture présidentielle de « victime/attaquant ».
Laura Calabrese, spécialiste de l’analyse du discours (ULB) et co-auteure de « Fake you ! », insiste sur le fait que « la rhétorique de Trump se caractérise par un répertoire lexical assez limité et une sloganisation des énoncés. Au niveau des thématiques récurrentes, il utilise pour ce faire très peu de mots. Il recourt à des phrases simples, très efficaces, qui touchent directement une partie de la population […] Les images d’archives diffusées lors du décès de Jacques Chirac nous ont rappelé à quel point le débat politique était autrefois lié à certaines règles – notamment verbales, lexicales – en dépit de dérapages épars. Avec les réseaux numériques, les politiques n’ont plus besoin de journalistes. » Ils peuvent se laisser aller…
Et la sémantique ? L’analyse de la dialectique employée par les manipulateurs de contre-vérités démontre que le sens perd de son importance, qu’une nouvelle n’a pas besoin d’être avérée pour faire mouche. Et que si le vocabulaire employé est essentiel, il n’est pas nécessairement très sophistiqué. Parler simple, éructer n’est toutefois pas la panacée. « A contrario », poursuit ainsi Laura Calabrese, « on peut comparer avec Emmanuel Macron, qui a tenu un discours et une énonciation à contre-courant de ses adversaires politiques : mesurée, pondérée, sourcée, sensible aux règles classiques de l’échange politique, ce qui a très bien fonctionné. »
À la recherche de solutions
Bien malin qui pourra en finir avec les contre-vérités, dans un monde complexe où des milliards de personnes se côtoient, constituant des groupes de pression et alimentant d’inévitables rapports de forces. Il serait même aujourd’hui impossible de sortir de l’ère post-vérité, ce temps où les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. Mais il n’est pas interdit d’en atténuer les dégâts.
En tant qu’agence de presse, l’AFP doit trier et arbitrer des centaines d’informations chaque jour. Déterminer en somme quels sont les mots sincères et les mots menteurs. Démonstrations à l’appui, elle en a déduit que seule la vérification des faits (le facts checking) par un journaliste aguerri pouvait éviter la diffusion de contre-vérités. Ceci est vrai pour tout média qui se veut de qualité. Le problème est qu’on ne peut pas mettre un reporter derrière chaque « news ».
Tout ne se joue évidemment pas entre les politiques et les médias, entre Trump et CNN. L’agence du département de la Défense des États-Unis (Darpa) est elle aussi très intéressée par les fake news. Elle s’est lancée dans un programme de recherche, appelé SemaFor, capable de détecter des incohérences lexicales synonymes de fausses informations sur les réseaux sociaux. Reste à savoir jusqu’à quel point un logiciel peut réellement détecter un problème de sens, un mensonge. Et si c’est vraiment le rôle de l’armée de s’ériger en arbitre de l’information, elle qui pratique abondamment l’intox depuis toujours pour tromper l’ennemi. La réponse va de soi…