Pratique polémique s’il en est, la peine de mort est encore trop souvent laissée à l’appréciation des États. En 2018, 690 personnes ont été exécutées de par le monde. Un nombre en baisse, mais qui recouvre des réalités de terrain fort disparates.
En voyage en Iran à l’invitation des universités locales, le professeur suédois Ahmadreza Djalali a été arrêté par des agents du ministère des Renseignements en 2016. Interdit d’avocat, il a subi sept mois de tortures physiques, psychologiques et de pressions en tout genre pour l’amener à signer la déclaration dans laquelle il « confessait » être un espion pour un « État hostile ». Cela fait maintenant trois ans qu’il est enfermé en Iran, en attente de sa mise à mort. Une pression politique exercée sans état d’âme sur un homme innocent. Et une histoire qui, malheureusement, se répète, puisqu’en moyenne, une personne dans le monde est exécutée toutes les neuf heures (1). Après une pétition, Amnesty International continue de faire pression pour demander la libération d’Ahmadreza Djalali.
Dans la grande majorité des cas, la pratique de la peine de mort entraîne des traitements inhumains et dégradants qui devraient être considérés comme contraires aux normes du droit international. Toutefois, « il n’y a aucune convention internationale qui interdit la peine de mort, à l’instar des conventions qui prohibent les génocides par exemple », explique Florence Bellivier, professeure de droit à l’université Paris-Nanterre et secrétaire générale adjointe de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Pourquoi ? « Parce que la peine de mort est trop souvent vue – et c’est bien le problème de tous les abolitionnistes – comme faisant partie de l’arsenal des peines qu’un État peut utiliser, comme relevant de la sphère pénale, de la souveraineté d’un pays et non pas comme relevant du droit international ou des droits humains. »
Toutefois, des normes visant à limiter l’usage de la peine de mort existent quand même, tel ce commentaire du Pacte international sur les droits civils et politiques qui n’interdit pas la peine de mort, mais la réserve aux crimes les plus sérieux, en préservant les mineurs et les femmes enceintes. « Vous avez même des États où, pour certains crimes, la peine de mort est obligatoire. C’est-à-dire que le juge n’a pas de pouvoir d’individualisation, ce qui est totalement contraire à tous les principes du droit international et aux droits humains », déplore Florence Bellivier.
Selon Amnesty International, la tendance mondiale, lente mais inexorable, conduirait à l’abolition de la peine capitale, avec 142 pays déclarés abolitionnistes dans le droit ou en pratique contre 56 qui exécute encore certains condamnés. « On tourne autour de 700 exécutions en 2018, là où on était plutôt à 1000 en 2017, donc ça fait une baisse de 30 %, c’est remarquable », confirme Florence Bellivier.
Un progrès mondial à relativiser
Cependant, certains pays demeurent structurellement rétifs face à cette vague abolitionniste, à l’image de la Chine ou de l’Iran. Alors que l’Empire du Milieu exécute des milliers de personnes selon l’estimation d’Amnesty International dans son rapport de 2018, l’Iran demeure responsable de plus d’un tiers des exécutions effectuées à travers le monde, avec au moins 253 personnes, dont 7 mineurs. Un nombre heureusement divisé par deux depuis 2017. « C’est le résultat d’un intense lobbying des ONG, mais aussi, j’insiste beaucoup là-dessus, des diplomates et des organisations internationales. C’est un combat commun, avec la question du trafic de stupéfiants. La plupart des exécutés en Iran sont en effet des trafiquants. » Et ce n’est pas un cas isolé, 15 pays y ont eu recours pour des délits liés à ce problème. Principalement en Asie-Pacifique où 10 pays sur les 16 y ont fait appel (2). La mauvaise surprise vient, on ne s’étonne plus de rien de sa part, du président Trump qui a annoncé vouloir relancer les exécutions fédérales aux États-Unis. Par ailleurs, deux autres pays régressent également en la matière. Le président sri lankais ayant publié une offre d’emploi pour des bourreaux, se déclarant prêt à reprendre les exécutions, après une accalmie de plus de quarante ans. Et la Thaïlande a prononcé sa première condamnation à la peine de mort depuis une décennie.
Si l’injonction létale est plus répandue, la pendaison est encore pratiquée dans une cinquantaine de pays. | © Wolfram Steinberg/DPA/AFP
Quid de l’effet dissuasif ?
Le principal argument avancé par les défenseurs invétérés de la peine de mort est son hypothétique effet dissuasif. Hypothétique, car aucune recherche scientifique ne vient l’étayer. A contrario, Florence Bellivier indique que « quelques études ont été réalisées, notamment une assez célèbre qui compare les taux de criminalité au Canada et aux USA. Il en résulte que la peine de mort n’a aucun effet sur la criminalité : elle ne l’augmente pas, mais ne la baisse pas non plus. Et on n’a jamais observé, dans aucun des pays qui l’a aboli ces vingt dernières années, de flambée de criminalité. » La professeure de droit explique aussi que le recours à la peine de mort serait tributaire de malentendus qui créeraient l’ignorance au sein même des populations vivant sous le joug de ces lois, tout en les ignorant. L’effet dissuasif est donc inexistant, sauf si l’on pense à celui sur la personne exécutée – qui existe certes, mais on confine là au cynisme. L’histoire tend aussi à nous le démontrer par le témoignage d’Albert Pierrepoint, l’un des derniers bourreaux des prisons de Londres. En seize ans de bons et loyaux services (1940-1956), il a exécuté pas moins de 433 hommes et 17 femmes. Au moment de sa démission, il s’est exprimé en ces termes sur la peine de mort : « On dit que c’est une dissuasion. Je ne suis pas d’accord. Tous les hommes et les femmes que j’ai eus en face de moi à leurs derniers instants m’ont convaincu que tout ce que j’avais fait n’avait pas empêché un seul meurtre et que si la mort ne parvenait pas à dissuader une seule personne, elle ne pourrait en dissuader aucune… La leçon de toutes ces années, c’est que l’exécution ne fait que susciter vengeance et rancœur. »
Main d’œuvre à bas coûts
Pourquoi cette pratique persiste-t-elle finalement alors qu’elle ne semble pas effective ? Peut-être survit-elle grâce à un instinct de lucre attisé par la privatisation à outrance des prisons ? L’on remarque que la tendance mondiale est à la construction de maxiprisons pouvant contenir jusqu’à 2 000 détenus – alors que les experts estiment qu’il ne faut pas dépasser 1 000 détenus par prison pour pouvoir mener une politique de réinsertion digne. Ce qui constitue, par exemple aux États-Unis, une main-d’œuvre à bas prix : sous la bannière étoilée, les détenus sont en effet chargés de réaliser de nombreuses tâches pour des entreprises comme McDonald’s, Microsoft ou Cisco. Le système carcéral américain est d’ailleurs le troisième « employeur » du territoire, avec un salaire moyen ne dépassant pas le dollar par heure.
D’où la question suivante : les prisons ne deviennent-elles pas, finalement, un juteux business qui mène à de gigantesques structures carcérales déshumanisées et déshumanisantes ? Florence Bellivier dresse le constat de ce triste processus : « Le système carcéral, de manière générale, est plutôt conçu comme très punitif et assez peu fondé sur l’amendement. Alors que c’était, au départ, la fonction de la prison : certes, punir, mais également amender la personne. Pour ce qui est des États-Unis, je suis allée dans les couloirs de la mort à San Francisco en 2012 à deux reprises. Il suffit de se promener aux USA et de voir les prisons, même de l’extérieur, pour constater que c’est devenu un grand business. Il y a un nombre considérable de personnes qui y sont employées. C’est un monde en soi avec la possibilité de travailler, de s’acheter des choses pour ceux qui peuvent se le permettre. Donc on se dit que c’est le système qui s’auto-alimente : on envoie plus facilement les gens en prison, donc on a besoin de places, etc. C’est effrayant. »
Si le taux d’exécutions dans le monde semble être en perte de vitesse, la vigilance reste de mise pour continuer à faire respecter les inaliénables droits humains universels. Et pour rendre caduque cette judicieuse assertion de Victor Hugo : « Que dit la loi ? Tu ne tueras pas ! Comment le dit-elle ? En tuant ! »
(1) Et cette moyenne ne tient pas compte de la Chine dont les exécutions sont tenues secrètes ; elles sont néanmoins estimées à des milliers.
(2) « Peine de mort », sur www.amnesty.org.