Espace de libertés | Novembre 2019 (n° 483)

Elle le veut, mais le peut-elle ?


International

La Grèce se relève de ses ruines. Du moins en a-t-elle l’intention ! L’axe défini par le nouveau gouvernement : se présenter aux investisseurs comme une terre fertile. Mais ce n’est pas tout, la société grecque change, elle aussi. Tout bénéfice pour la laïcité.


Un reportage diffusé par France 2 en juin dernier a pu laisser penser que la Grèce était revenue à ses travers de toujours : corruption, blanchiment d’argent, absence de taxation efficace, allergie à la chose publique. Quelques jours auparavant, le nouveau gouvernement du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis avait annoncé la suppression de la brigade antifraude du fisc, chargée de repérer les piscines non déclarées ou les commerçants rétifs au paiement de la TVA.

Une hérésie ? Si la Grèce est consciente qu’il lui faut respecter les obligations internationales découlant de son « sauvetage », elle entend aussi décider des moyens qui doivent y satisfaire. Quitte à donner dans la démagogie. Il est vrai que les exigences de l’Europe, et plus particulièrement de l’Allemagne, ont fait ici des ravages et plaident pour une remise à plat. On ne compte plus les nids de misère dans les grandes villes comme Athènes ou Sparte. Quant aux petits propriétaires, ils doivent financer la vaste opération cadastrale décidée par l’ancien gouvernement Tsipras, restituant ainsi largement à l’État la réduction sur l’impôt foncier qui venait de leur être accordée. Le 24 septembre enfin, une grève générale a éclaté en réponse à un projet de loi qui affecte les conditions de travail des salariés du privé et des fonctionnaires.

Bien que marqué très à gauche, Alexis Tsipras avait fini par passer pour « l’homme de Bruxelles ». Aux ordres de l’UE, donc de l’Allemagne, les doigts sur la couture du pantalon… Avec lui, la gestion du pays a gagné en clarté, mais certains usages ont la vie dure. Le cash reste roi. L’Église orthodoxe ne paie toujours pas d’impôt. Les armateurs, qui conditionnent leurs privilèges fiscaux au maintien du pavillon grec sur leurs navires et à l’emploi de 200 000 personnes, ont pour leur part accepté de lâcher 10 % sur les dividendes – mais pas plus. La fraude, enfin, représente encore près de 30 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État grec.

Mitsotakis jure qu’il ramènera le pays vers la croissance

Comme Alexis Tsipras naguère, Kyriakos Mitsotakis bande aujour­d’hui ses muscles. Dès sa première rencontre en tant que chef du gouvernement avec l’Allemande Angela Merkel, il a dit vouloir rouvrir la discussion avec les créanciers de la Grèce. En contrepartie, Mitsotakis jure qu’il ramènera le pays vers la croissance moyennant une série de réformes destinées à créer de la richesse, le tout étant de convaincre les investisseurs. « Plus la croissance est forte, plus il est facile de maintenir la dette à un niveau supportable », affirme le Premier ministre. Une précision : la dette grecque représente aujourd’hui 179 % du produit intérieur brut (PIB).

Kyriakos Mitsotakis avait également promis durant sa campagne électorale de renégocier l’obligation pour la Grèce de dégager un excédent primaire annuel (hors charge de la dette) équivalent à 3,5 % du PIB jusqu’en 2022. Il a qualifié cette promesse d’ »irréversible ». Réponse d’Angela Merkel : « Les conditions restent les mêmes, peu importe de quel parti est issu le Premier ministre. »

La Grèce est bien sûr loin d’avoir toutes les cartes en main. Son sort dépend entre autres de la bonne santé de la zone euro. Manque de chance : la croissance économique y a ralenti au deuxième trimestre. D’avril à juin, le PIB en volume (hors inflation) n’a progressé que de 0,2 %. Le rebond enregistré au trimestre précédent (+ 0,4 %) s’est rapidement ramolli.

« Le contrôle des capitaux prend fin »

Pas de quoi refroidir les ardeurs hellènes. En août 2018, sous Alexis Tsipras, la Grèce avait officiellement quitté son troisième et dernier plan de renflouement international, s’affranchissant de la tutelle de ses créanciers pour recommencer à se financer seule sur les marchés. Le 13 septembre dernier, elle a cette fois demandé à ses dix-huit partenaires de la zone euro de rembourser ses prêts au FMI avant leur date d’échéance.

« Quatre ans après son introduction, le contrôle des capitaux prend fin », avait auparavant annoncé au Parlement – la Vouli – le Premier ministre Mitsotakis. Pour rappel, le contrôle des capitaux avait été décidé en juin 2015 pour empêcher la panique dans les milieux bancaires, après que le gouvernement Tsipras a failli à s’acquitter d’une échéance de paiement au FMI. Ce pic d’angoisse avait coûté sa place au ministre des Finances de l’époque, le très controversé Yanis Varoufakis.

Toutefois, la vente des bijoux de famille reste d’actualité. L’État grec veut vendre 30 % du capital de l’aéroport international d’Athènes. Il en possède actuellement 55 %, la part restante étant partagée entre investisseurs privés, dont la société allemande de gestion d’aéroports AviAlliance. En 2016, 67 % de la société du port du Pirée (OLP), le plus grand de la Grèce, avaient été vendus au géant chinois du transport maritime Cosco au prix de 368,5 millions d’euros.

Si son économie se porte mieux, la patrie d’Homère n’est pas apaisée pour autant. Donnant écho aux populismes qui empoisonnent l’Europe, Nouvelle Démocratie, le parti de Kyriakos Mitsotakis, a multiplié les déclarations sur le « nettoyage du pays » durant la campagne électorale.

Plus d’un million de migrants sont passés par la Grèce entre mai 2015 et mars 2016. En dépit de l’accord entre l’UE et la Turquie conclu en mars 2016, l’île de Lesbos fait aujourd’hui figure de bassin de rétention miséreux, avec son lot de pauvreté, de promiscuité et de viols. Samos, dont on parle moins, connaît une situation plus dramatique encore. Le flux depuis la Turquie a repris de surcroît depuis mai dernier. Sur les huit premiers mois de 2019, 31.265 migrants sont arrivés en Grèce, presque autant que sur toute l’année 2018 (un peu plus de 32.400). Les structures d’accueil font toujours autant défaut. Fin septembre, petit vent d’espoir : quatre États européens ont trouvé un pré-accord pour une répartition automatique des migrants dans l’Union européenne. Un premier pas à observer.