Espace de libertés | Novembre 2019 (n° 483)

Le droit à la même médiocrité. Entretien avec Myriam Leroy


Grand entretien

Dans ses livres et ses pièces, Myriam Leroy traite du féminisme, de la place des femmes dans la société et du cyber-harcèlement. Des sujets qui la touchent et la passionnent, mais pour lesquels elle refuse de se poser en experte. Le regard vif, la plume acérée, elle est en somme un témoin de notre époque, dont les propos tombent sous le sens… et font écho !


Journaliste, chroniqueuse, romancière, auteure de théâtre… Comment se présenter quand on a autant de casquettes ?

Ma bio sur Instagram stipule « J’écris des trucs ». Je dirais « auteur », même si je devrais dire « autrice », je n’ai pas encore l’automatisme. J’écris pour gagner ma vie. « Écrivante » serait juste, mais ce n’est pas très beau et les gens se demandent pourquoi j’utilise ce mot.

L’écriture inclusive, est-ce important pour vous ?

Je ne vais pas me rouler par terre si on me qualifie d’auteur ou d’écrivain. Mais je trouve que ce n’est pas plus mal d’utiliser l’inclusion. S’il y a moyen de propager la bonne parole par ce biais, ça me va. Je suis trop feignante pour utiliser le point médian (rires), mais j’essaie au maximum de trouver des formules épicènes : dire les droits humains au lieu des droits de l’homme, par exemple. Comme je tends vers le zéro déchet, je tends vers une expression orale et écrite féministe, égalitaire en tout cas.

Pour certain.e.s, le féminisme veut plus que l’égalité, il veut affirmer la supériorité des femmes…

Ce sont des gens qui n’y connaissent rien. C’est un cliché. Il est sexiste de penser que la femme peut supplanter l’homme. C’est du sexisme bienveillant de penser que le monde se porterait mieux s’il était dirigé par des femmes. Pour moi, le féminisme, c’est réclamer le droit à la même médiocrité, pas à la supériorité !

Vous avez tourné la page du journalisme ?

J’en fais encore un peu, mais je m’en éloigne. Je tire désormais plus de revenus de la fiction. Toutefois, dans mon boulot d’écrivante, je rapatrie des techniques journalistiques. J’ai écrit une pièce de théâtre documentaire, ADN, basée sur des témoignages, qui sera jouée au Théâtre de la Toison d’or en 2020, et je travaille avec Florence Hainaut sur un documentaire qui traite du cyber-harcèlement misogyne, c’est du journalisme. Je ne le renie pas mais je ne trouvais pas ma place dans le milieu journalistique. Avec le recul, je comprends pourquoi. Mais à l’époque, je n’avais pas conscience de ce qui se jouait de systémique dans cette profession qui reste hostile aux effectifs féminins. Que ce soit dans les relations avec les sources ou dans les rédactions, les femmes font toujours partie de l’équipe B. Je n’y voyais pas de possibilité d’évolution, d’épanouissement.

L’écriture de romans, de pièces a été une prolongation évidente ?

Oui. J’ai toujours eu envie d’écrire de la fiction. La chronique a été une chouette antichambre avant de me lancer dans quelque chose de plus sérieux. Mais l’humour ne me faisait pas « triper ». Quand on me présentait comme humoriste, ça m’ennuyait car ce n’était pas ce que j’étais. L’évolution vers une écriture créative a été naturelle. Ne fût-ce que parce que j’avais l’impression d’avoir atteint les limites du journalisme, par rapport à la faculté de raconter le réel avec justesse. Assumer la fiction est plus proche de la vérité.

myriam-leroy-02Myriam Leroy revêt le masque de l’écrivante de fiction pour plus de liberté.

Est-ce un endroit où on s’exprime plus fort ?

Oui, tout en pouvant se réfugier dans la licence poétique. On peut faire dire des choses à un personnage et se draper en disant que c’est de la fiction. Il y a un masque qui rend très libre, bien plus que dans la presse. Je voulais être écrivain parce que je voulais écrire et que j’avais une vision romantique du métier. Mais en rédigeant mon premier roman, Ariane, j’ai réalisé que je pouvais être plus juste tout en étant inexacte : une révélation. Au théâtre, c’est différent. Mes deux premières pièces – Cherche l’amour et Sisters – relèvent du divertissement avec du sous-texte : le but est de faire rire, même si on peut lire entre les lignes. Avec ADN, on est dans le documentaire, donc j’essaie d’être au plus proche de ce que les gens m’ont raconté, même si je vais changer leur nom et la chronologie.

Avez-vous l’impression d’être devenue une porte-parole du féminisme ou des victimes du cyber-harcèlement ?

On fait souvent appel à moi pour en parler. Or, je n’ai aucun diplôme en étude de genres, par exemple. Je suis féministe certes, mais pas une experte, même si j’ai énormément lu sur le sujet. C’est plus intuitif chez moi. Je me sens un peu comme la caution people, celle qu’on appelle parce que c’est plus facile que de faire appel à de vrais spécialistes. Ça m’agace parfois. Et en même temps, si je n’y vais pas, j’ai peur que l’article ne se fasse pas du tout. Mais quand on aborde le harcèlement, j’ai l’impression que s’il n’y a que moi qui en parle tout le temps, on oublie la dimension systémique du problème, on donne l’impression que cela n’arrive qu’aux femmes un peu connues ou exposées. J’aimerais moins en parler et que l’on donne la parole à d’autres.

Vous sentez-vous combattante ?

J’ai, au contraire, l’impression d’être calme et mesurée. Je m’exprime sur des sujets qui me touchent et pour lesquels j’ai des tribunes. Mais ce que je dis, c’est juste du bon sens. J’ai déjà eu en face de moi des hommes qui me trouvent extrêmement radicale, je reçois des messages du genre « Je sais que vous n’aimez pas les hommes, mais certains vous apprécient ». WTF ? Je n’ai jamais dit ne pas aimer les hommes ! Je me sens caricaturée en amazone, en guerrière, même si je me fais souvent rouer de coups et que je dois m’endurcir.

Quand avez-vous pris conscience de votre féminisme ?

Je crois que je suis née féministe ! J’ai grandi dans les années 1980-1990 avec des images stéréotypées de ce que doivent être une fille et une femme, dans lesquelles je ne me suis jamais retrouvée. Intuitivement, j’ai toujours été réfractaire aux dogmes imposés.

Est-il difficile d’être féministe aujourd’hui ?

Je crois que les générations actuelles le sont presque naturellement aujourd’hui, tout comme elles sont opposées au colonialisme, au racisme, luttent pour le climat. Si on traite une ado de féministe aujourd’hui, elle réplique « Ben oui, et alors ? ». Les gens qui continuent à user du mot féministe comme une insulte s’agitent parce que leurs repères s’effacent, ils ont peur d’anticiper un futur auquel ils ne sont pas préparés, de perdre des acquis. Les féministes que je connais ne sont ni agressives ni haineuses. Le féminisme, c’est un champ d’investigation mentale passionnant. Et un refus de l’arbitraire. Ceux qui veulent transformer cela en guerre, cela en dit plus long sur eux que sur le féminisme. Et cela vaut aussi pour ceux qui critiquent les jeunes qui se battent pour le climat. Quand je vois la façon dont certains attaquent Greta Thunberg, sur son physique, sur sa maladie… Ça manque clairement d’arguments de fond !

Comment faire passer des messages ?

D’une manière générale, les gens détestent recevoir des leçons. C’est difficile de trouver la bonne posture pour s’adresser à eux. Laquelle adopter ? Je ne sais pas. Par exemple, le féminisme qui arrondit les angles, ça m’énerve, c’est inutile. La violence aussi… Il faut trouver le juste milieu. Pour moi, celle qui s’exprime bien à ce sujet, c’est Virginie Despentes. Il faudrait comprendre comment elle parvient à exprimer ses opinions sans heurter et se calquer sur elle.

Quel cliché vous hérisse particulièrement ?

Quand on dit « les féministes » comme s’il s’agissait d’un bloc monolithique, le plus souvent pour discréditer le féminisme. Ce qui me hérisse aussi, c’est la façon dont certains se démarquent systématiquement de faits dénoncés, comme ce fut le cas lors de l’affaire Weinstein, en disant « Mais moi, je ne suis pas comme ça ». Il y a une impossibilité pour certains de comprendre qu’on parle d’un phénomène de société, qu’on ne stigmatise pas des individus, mais qu’on dénonce un système de privilèges qui rend certains agissements possibles.

Vous avez quitté les réseaux sociaux, ils vous manquent ?

J’avais la sensation de côtoyer un vieil oncle bourré en permanence (rires). J’ai eu une grosse lassitude. Me tenir loin des réseaux m’évite le burn-out mental. J’étais persuadée que ça allait me manquer, mais j’ai vite perdu l’envie et la curiosité. Ces réseaux, ça pousse à réagir trop vite, à publier sans réfléchir. Je crois que les gens commencent à être gavés. Je me contente d’Instagram, qui est plus simple, plus reposant. Je me suis surtout abonnée à des tas de médias en ligne et j’écoute des podcasts sur des sujets qui m’intéressent. Et ça fait du bien !