
La question du port des signes distinctifs à connotation religieuse, politique ou philosophique a, comme souvent, inévitablement dérivé sur le port du voile. Dans un débat essentiel qui demande néanmoins d’être dépassionné, notamment sur les réseaux sociaux, le Centre d’Action Laïque tient à repréciser sa position, tant les caricatures dans un sens comme dans l’autre nuisent au débat.
Mais avant tout, un fait: en Belgique, le port du voile, comme des autres signes religieux, est actuellement autorisé partout. Cette autorisation ne connaît que deux limites, très circonstanciées: la fonction publique et partiellement les écoles.
Si l’arrêt de la Cour constitutionnelle relatif au règlement d’ordre intérieur de la Haute-Ecole Francisco Ferrer a cristallisé le débat cet été, ce dernier prend essentiellement corps ces derniers jours autour des différentes motions communales qui éclosent à Bruxelles, et dont l’objectif stipulé est la lutte contre les discriminations sur les lieux de travail communaux. Partisans et détracteurs ne cachent pas la réelle motivation de ces motions: ouvrir ce type d’emploi aux femmes portant le voile.
Éviter la juxtaposition d’identités
Pourtant, ce débat fait également et avant tout référence à un principe général, celui de la nécessaire neutralité d’un service rendu par les agents de l’État ou d’un service public. Cette neutralité des agents découle du principe d’impartialité de l’État, principe qui organise notre société – et donc notre démocratie – et qui a progressivement desserré l’étau confessionnel sur nos institutions et les individus. Il affirme et garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes dans le respect de l’ordre public démocratiquement défini.
En réalité, quelles que soient les convictions des un.es et des autres, il ne s’agit pas de se battre contre telle religion ou telle conviction, mais bien de favoriser la neutralité des agents de l’État dans toutes ses expressions. Il ne s’agit pas d’interdire telle pratique religieuse dans telle circonstance, mais avant tout de protéger un principe juridique et politique dans cette même circonstance. Il s’agit de laïcité: accepter que la neutralité des agents de l’État et du service public rendu ne puisse souffrir d’aucune exception, c’est assurer que la règle soit acceptée par tou.te.s dans un ensemble pluriel et non dans une organisation sociétale qui se contente de juxtaposer des identités.
Mettre de côté les symboles, distinctions et appartenances dans certains lieux ou situations, ce n’est évidemment pas la seule et unique garantie que le service rendu soit neutre. Tout le monde s’accorde sur ce point. Mais la neutralité d’apparence y contribue aussi et garantit l’égalité de traitement au nom d’une société dont le cadre est commun pour chacun.e.
Converger vers ce qui nous est commun
La défense des libertés individuelles est, pour le Centre d’Action Laïque, indissociable de son corollaire, à savoir le renforcement des mesures de lutte contre les discriminations et les inégalités sociales. Sans ce corollaire, aucune position universaliste n’est tenable. C’est à l’État qu’il appartient de garantir les droits et les libertés de chacun.e de façon impartiale – c’est la raison pour laquelle ce symbole de l’État qu’est la fonction publique ne peut que rester neutre. Dans une société où la parole xénophobe et raciste se libère, où le complotisme et l’antipolitique sont galvanisés, où la peur de l’autre et le détricotement du lien social se développent, converger vers ce qui nous est commun n’est ni un réflexe ni une chose aisée. Pourtant, bâtir (sur) ce qui nous unit est la seule méthode de « faire société », comme aimait le marteler l’ancien Secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali à l’ONU.
Dans cette optique, le Centre d’Action Laïque entend faire valoir sa position dans l’écoute et le respect des convictions et avis de chacun.e. Il invite les responsables politiques à adopter une législation garantissant fermement la neutralité des agents plutôt que de laisser les communes régler cette question au cas par cas, au risque d’une multiplicité de décisions contradictoires.
De la même manière qu’il nous faudra rester unis face aux conséquences de la crise sanitaire que nous traversons, restons rassemblés autour de ce qui nous est commun. Pour y parvenir, il est plus que jamais essentiel d’assurer la laïcité de l’Etat, l’impartialité du service public et la neutralité des agents.
Une carte blanche de Véronique De Keyser, présidente du Centre d’Action Laïque, parue sur lesoir.be le 23/09/2020