Cartes Blanches

Quel sort sera réservé demain à notre Justice?

Quel sort sera réservé demain à notre Justice?

Au moment où les négociations pour former un gouvernement fédéral vont peut-être débuter, attaché à la défense de la démocratie et de l’État de droit, le mouvement laïque s’inquiète du sort qui sera réservé demain à notre Justice.

Et la liste de ces inquiétudes est longue: manque chronique de moyens, sous-financement de l’aide juridique, inflation législative, sous-traitance de tâches régaliennes à des acteurs privés,…

Personne n’a oublié que sous la précédente législature des membres du gouvernement fédéral, fâchés par une décision judiciaire qui leur était défavorable, brandirent « l’argument » du risque d’un gouvernement des juges (forcément déconnectés de la réalité) pour refuser de s’exécuter.

Le pouvoir exécutif faisait ainsi accroire qu’un droit « optionnel » pouvait exister à son bénéfice et accréditait l’idée d’une Justice inefficace, lente, suspecte de permettre une forme d’impunité à la délinquance.

Plus que jamais, nous avons pourtant besoin d’un pouvoir judiciaire capable de remplir son rôle et de contrôler le pouvoir exécutif.

Alors que les mouvements « gilets jaunes » et « extinction rébellion » questionnent nos modèles et que les crises économique, sociale et climatique en interrogent la légitimité et l’efficacité, les opportunités ne manquent pas de voir fleurir les remises en question populistes de la société.

Les autorités courent alors le risque de ne contenir les critiques qu’au prix de quelques entorses aux droits fondamentaux déjà fragilisés par la lutte contre le terrorisme.

Clochardisation

En ces temps où l’équilibre entre respect des libertés individuelles et sécurité risque d’être altéré par un excès de répression, le maintien de l’indépendance du pouvoir judiciaire est essentiel.

Sur le plan matériel, car la « clochardisation » de la Justice est indigne d’un État de droit: bâtiments en ruine, locaux insalubres, informatique obsolète, pénurie de matériel de bureau,… autant de facteurs qui minent la qualité, éprouvent les acteurs et énervent le respect de délais raisonnables.

Mais également sur celui de la désignation des magistrats qui, comme le soulignent certains observateurs, semble de plus en plus poser question. Ainsi dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, à la volonté présumée du pouvoir exécutif de favoriser le maintien ou l’arrivée de certains chefs de corps (comme s’il s’agissait de s’assurer de certaines fidélités) s’ajouterait un mépris affiché pour l’équilibre linguistique traditionnellement appliqué dans l’appareil judiciaire bruxellois.

Le cas des magistrats Massart et Dallemagne, respectivement nommés Premier Président de la cour d’appel de Bruxelles et de la cour du travail, fut à juste titre souligné par la presse.

Rappelons les faits rapportés: sous couvert du respect de la logique linguistique, le ministre de la Justice (CD & V) publie au Moniteur belge les places vacantes de premier président de la cour d’appel et de président de la cour du travail en français mais limite leur mandat à 5 ans non renouvelables contrairement à ce qu’impose le Code judiciaire.

Les deux magistrats sont ainsi nommés. Les choses ne s’arrêtent pas là.

Comment ne pas inquiéter le citoyen ?

Dans un timing presque parfait, l’association des magistrats néerlandophones et son président décident, au nom de tous les magistrats du pays, de contester la publication francophone de la place et introduisent un recours contre ces nominations.

La Communauté flamande se dote d’un ministre de la « Justice » tandis que l’imbroglio de nominations unilingues francophones cherche un épilogue devant une chambre bilingue à majorité néerlandophone et non devant une chambre francophone ou — à tout le moins bilingue (à 3 magistrats) à prédominance francophone — du Conseil d’État.

Last but not least, cette même chambre qui statue en dernier ressort, se soustrait à toute obligation de répondre aux moyens et arguments des défendeurs et décide de traiter l’affaire au terme de débats « succincts » — à l’abri des regards et critiques.

Comment ne pas inquiéter le citoyen? Comment ne pas alimenter sa légitime suspicion?

L’indépendance du pouvoir judiciaire est une exigence, corollaire indispensable de la protection des droits de l’Homme.

Ce principe nous apparaît menacé lorsqu’il semble contourné par ceux qui sont supposés en assurer le respect.

 

Henri Bartholomeeusen,
président du Centre d’Action Laïque

Carte blanche publiée dans L’Echo du 13/11/2019

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