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Contraindre les travailleurs sociaux à dénoncer les usagers suspectés de terrorisme? La Cour Constitutionnelle dit non!

Contraindre les travailleurs sociaux à dénoncer les usagers suspectés de terrorisme? La Cour Constitutionnelle dit non!

Dans un arrêt rendu ce jeudi 14 mars, la Cour Constitutionnelle a statué sur un recours introduit par une vingtaine d’associations (1) contre la loi du 17 mai 2017 modifiant le Code d’instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme.

On se souvient de la mobilisation des associations de terrain contre ce texte, qui sous couvert de dénoncer des terroristes potentiels, mettait à mal le secret professionnel des travailleurs sociaux, le vidant de sa substance. Le secteur des CPAS dénonçait, à juste titre, une attaque frontale contre la clé de voûte de leur travail: la confiance avec les usagers.

Un texte voté en 2017, majorité (sous sa forme de l’époque), PP et CDH contre opposition, avait été proposé par la NVA suite aux attentats de Paris.

Que reproche la Cour Constitutionnelle à ce texte?

L’article 458 du Code pénal dispose que les dépositaires du secret professionnel ont le devoir de garder secrète toute information que l’usager leur confierait dans ce cadre. Une sanction pénale est prévue en cas de non-respect. Les travailleurs des CPAS sont considérés comme dépositaires de ce secret.

La Cour souligne que le secret professionnel permet de protéger d’une part le droit fondamental à la vie privée de la personne qui se confie, parfois dans ce qu’elle a de plus intime, mais constitue également la condition sine qua non pour que s’instaure un lien de confiance, nécessaire afin de pouvoir apporter une aide utile à la personne qui se confie.

Ce secret n’est toutefois pas absolu, le Code pénal et la jurisprudence prévoient déjà certaines exceptions.  Outre l’appel à rendre témoignage en justice (ce qui exclut la police) ou devant une commission d’enquête parlementaire, le dépositaire peut invoquer l’état de nécessité pour se délier de son obligatoire de secret. D’autres droits de parole sont limitativement énumérés aux articles 458 bis, ter et quater au sein du Code pénal (voir Une loi du silence qui libère la parole pour une analyse critique).

La Cour annule l’article 46 bis/1 § 3 du Code d’instruction criminelle qui instaurait une nouvelle exception au secret professionnel. Par cette disposition, les institutions de sécurité sociale se voyaient imposer une nouvelle obligation d’information active: les membres du personnel, qui de par leur profession, prenaient connaissance d’une ou de plusieurs informations pouvant « constituer des indices sérieux d’une infraction terroriste » devaient en faire la déclaration (2).

Trois arguments à l’appui

D’une part, la Cour mentionne que, via cette disposition, les travailleurs sociaux se voyaient exposés à des sanctions en cas de révélations considérées à tort comme des indices sérieux d’une infraction terroriste, violant ainsi leur secret professionnel. Ils se trouvaient placés dans une obligation de conférer une qualification juridique à des faits et comportements. Or, un assistant social « n’a ni la compétence ni les moyens nécessaires » pour s’assurer de cet élément intentionnel dans le chef de l’allocataire ou l’assuré social dont il gère le dossier.

De plus, la Cour souligne que les termes « indices sérieux d’une infraction terroristes » sont formulés en termes trop vagues, qui sont source d’insécurité juridique.

Le travailleur social est ainsi placé dans une position ubuesque, sans outil pour trancher: évaluer adéquatement s’il existe chez l’usager un élément intentionnel de commettre une infraction terroriste, au risque de s’exposer à des sanctions en cas de violation du secret professionnel.

La Cour ajoute, en troisième argument, que « l’exception à l’obligation de respecter le secret professionnel introduite par l’article [attaqué] […] constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la personne qui confie des informations confidentielles au détenteur du secret professionnel ».

La Cour constitutionnelle rappelle ce que la majorité n’avait pas voulu entendre:  la lutte contre le terrorisme ne peut justifier le démantèlement du secret professionnel et les atteintes répétées à la vie privée.

 


(1) Mutualité Saint-Michel, les CPAS d’Anderlecht, Auderghem, Berchem-Sainte-Agathe, Chapelle-lez-Herlaimont, Evere, Forest, Ganshoren, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Waremme et Woluwe-Saint-Lambert, l’ASBL L’association de Défense des Allocataires Sociaux (aDAS), l’ASBL Association des psychologues praticiens d’orientation psychanalytique, l’ASBL Fédération des Services Sociaux, l’ASBL Association Syndicale des Magistrat, l’ASBL Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, l’union professionnelle Union Belge des Médiateurs Professionnels et l’ASBL Union professionnelle Francophone des Assistants Sociaux.
(2) L’article attaqué contient également une obligation d’information passive, permettant au Procureur du Roi d’imposer la levée du secret professionnel pour obtenir des renseignements administratifs, dans l’hypothèse d’une enquête pour faits de terrorisme. La Cour n’annule pas la disposition pour ce qui concerne ces aspects.

 

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