Espace de libertés – Juin 2017

Une loi du silence qui libère la parole


Libres ensemble
Les principes fondamentaux du secret professionnel sont-ils menacés par le projet de loi déposé par le ministre de la Justice? Le texte actuel est-il assez précis et ne risque-t-il pas de confisquer la parole des bénéficiaires? Pré-état des lieux empreint de doutes.

Le 15 mai dernier, l’ensemble des conseillers laïques travaillant en IPPJ et en prison, se sont réunis au Centre d’Action Laïque pour débattre d’un sujet d’actualité brûlant: le secret professionnel et ses récentes modifications. Spécialiste du sujet, Lucien Nouwynck, premier avocat général à la Cour d’appel de Bruxelles, y présentait les contours de ce principe déontologique fondamental, ainsi que les enjeux liés au projet de modification du Code pénal. Pour rappel, l’article 458 relatif au secret professionnel dispose que « les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice ou devant une commission d’enquête parlementaire et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de cent euros à cinq cents euros ». Le secret professionnel constitue donc avant tout un devoir dont la violation, sous réserve des exceptions limitativement prévues, entraîne une sanction pénale. Comme l’indique Lucien Nouwynck, premier avocat général à la Cour d’appel de Bruxelles, « nous ne sommes pas en présence d’un droit de se taire, mais bien d’une interdiction de parler, d’une obligation de se taire ».

L’objectif du secret professionnel ne consiste pas seulement à protéger les citoyens, mais également la confiance qu’ils placent dans certains confidents ou institutions.

Question de confiance

L’objectif du secret professionnel ne consiste pas seulement à protéger les citoyens, mais également la confiance qu’ils placent dans certains confidents ou institutions. « Le secret professionnel doit être protégé en tant que condition nécessaire à l’exercice de certaines missions relevant notamment du droit à la santé et à la liberté de conscience. Cette valeur est considérée comme supérieure à la répression de crimes et délits: il est admis qu’un criminel a le droit d’être soigné par un médecin sans crainte d’être dénoncé par celui-ci », précise Lucien Nouwynk. Pour les travailleurs sociaux tels que les conseillers laïques, le secret professionnel constitue un outil de travail indispensable au bon exercice de leur profession. En effet, un lien de confiance doit pouvoir être créé avec le détenu ou le jeune placé en IPPJ puisque, par définition, le rôle principal du conseiller moral est d’être à l’écoute de leurs confidences. La relation de confiance constitue donc la pierre angulaire de cet échange. Leur mission se distingue bien d’un travail sous mandat auprès d’un juge ou d’une autorité carcérale.

Cas de conscience

Le projet de loi actuel, déposé par le ministre Koen Geens en Commission Justice de la Chambre, au sein du projet « pot-pourri V », vise quant à lui à « modifier le Code pénal en introduisant un article 458 ter en vue d’instaurer le partage du secret professionnel dans le cadre de la concertation de cas  » (1). Cela concerne tous les travailleurs soumis au secret professionnel et donc directement les conseillers laïques. Concrètement, le texte indique qu’il n’y pas d’infraction lorsqu’une personne dépositaire de secrets les communique « dans le cadre d’une concertation organisée soit par ou en vertu d’une loi d’un décret ou d’une ordonnance, soit moyennant une autorisation du Procureur du Roi; cette concertation peut uniquement être organisée en vue de protéger, soit l’intégrité physique ou mentale de la personne ou de tiers ou la sécurité publique ou la sécurité de l’État. » Selon les travaux préparatoires du texte, l’objectif de cette concertation n’est pas d’introduire un devoir de parole, mais un droit de parole. « Une telle concertation ne peut être efficace et constructive que si les participants se font mutuellement confiance quant à leurs rôles respectifs […] À cet égard, il convient de souligner […] qu’il est également question d’un droit de parler et non d’une obligation de parler, laissant au dépositaire du secret professionnel le soin d’évaluer quels secrets peuvent être communiqués utilement dans le cadre de la concertation  » (2).

Miser sur les codes

Une appréciation individuelle et aléatoire qui risque de poser problème et susciter des cas de conscience! Heureusement, pour le Centre d’Action Laïque, des balises déontologiques internes existent à cet égard. De même, le code de déontologie de l’Aide à la Jeunesse précise clairement les conditions du partage du secret avec des tiers. Le Vade-mecum de la Fondation pour l’assistance morale aux détenus indique également que le conseiller moral, contrairement aux autres intervenants, n’a pas le devoir de rapporter aux autorités carcérales. Comme le souligne Lucien Nouwynck, chacun des conseillers laïques « devra être au clair avec lui-même, avec les bénéficiaires de l’aide, avec les personnes concernées par leurs investigations sous mandat, avec les autorités judiciaires afin de préserver un lieu de parole libre, une relation de confiance et éviter que le dépositaire du secret ne soit dépossédé en quelque sorte de sa parole ».

Encore trop de questions

Ce texte, visiblement basé sur des projets pilotes en Flandre, en matière de maltraitance infantile et de Foreign Terrorist Fighters, pose plusieurs questions. Qu’entend le Ministre par « Sécurité publique » et « Sécurité de l’État »? Ces notions ne sont pas suffisamment définies dans le texte et sont donc sujettes à des interprétations divergentes en fonction des dépositaires, avec à la clef, des dérives de dévoilement, voire de délation. Les personnes susceptibles de participer à ce type de concertation ne sont pas non plus clairement définies. Par ailleurs, s’il s’agit bien de partager certaines informations vers d’autres intervenants (Procureur du Roi, travailleurs sociaux): les conditions posées pour le partage du secret ne devraient-elles pas requérir l’accord du bénéficiaire de l’aide? Enfin, ne serait-il pas délicat, pour un conseiller invité à une concertation par le Procureur du Roi, de refuser de dévoiler des informations qu’il juge non pertinentes, s’il a face à lui un magistrat qui l’y incite pour des motifs tels que la « sécurité publique » ou la « sécurité de l’État »? Tout en sachant qu’en cas de dévoilement abusif du secret, ce même conseiller risque d’être poursuivi sur base de l’article 458 du Code pénal? Si le texte passe en l’état, il nous semble indispensable d’évaluer au cas par cas l’opportunité de prendre part à ce type de concertation.

 


(1) Voir article 458 ter du Code pénal, Doc. Chambre 542259/001 du 16 janvier 2017

(2) Exposé des motifs, pp 228 et 229, Doc. Chambre 542259/001 du 16 janvier 2017, titre 20, articles 284 à 286