Israël et la Grande-Bretagne célèbrent en grandes pompes le centenaire de la Déclaration Balfour. Cette simple lettre diplomatique a pourtant déclenché le plus long conflit contemporain aux conséquences toujours vives.
Arthur James Balfour n’imaginait sans doute pas ce que deviendrait cent ans plus tard le « Foyer national » que son gouvernement promettait aux Juifs d’Europe. Le 2 novembre 1917, celui qui était alors le ministre britannique des Affaires étrangères, adresse une lettre officielle à Lord Lionel Walter Rothschild, président de l’antenne anglaise du mouvement sioniste. Le gouvernement britannique s’y engage à faciliter l’installation des Juifs en Palestine. La Première Guerre mondiale dure depuis 3 ans. Un monde est en train de s’écrouler. Deux empires séculaires vont bientôt disparaître, l’Empire ottoman et l’Empire austro-hongrois, alliés contre la Grande-Bretagne et la France. La Russie tsariste est déjà morte. Les Britanniques préparent l’après-guerre et ils ont besoin de l’appui des États-Unis qui, quant à eux, veulent rester neutres. Les Juifs américains sont plus enclins à soutenir les empires ottoman et austro-hongrois, moins antisémites que la Russie et même que la France, dont l’image a été brouillée par l’Affaire Dreyfus.
Un paragraphe oublié
Londres vise alors le contrôle stratégique du Proche-Orient. Un an plus tôt, Londres et Paris s’étaient partagé d’avance les morceaux de l’Empire ottoman bientôt déchu. Ce sont les accords Sykes-Picot, du nom des deux diplomates les ayant négociés. Entre 1916 et 1922, la Grande-Bretagne et la France vont s’affronter diplomatiquement pour que chacune obtienne finalement des mandats de la toute nouvelle Société des Nations (SDN), l’ancêtre des Nations unies. En 1922, c’est chose faite: la Grande-Bretagne obtient la Palestine, l’Irak et la Jordanie, tandis que le Liban et la Syrie échoient à la France.
Le 2 novembre 1917, Londres promet donc l’établissement d’un Foyer national juif en Palestine. En même temps, elle fait miroiter un État indépendant aux Arabes, à la condition de se soulever contre le califat ottoman. Tout le monde croit aux promesses du gouvernement de Sa Majesté. La Déclaration Balfour précise bien que « rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine ». Un paragraphe largement oublié depuis 100 ans.
Quand David devient Goliath
Cinquante ans et deux guerres plus tard, l’État d’Israël lance une guerre éclair contre les armées égyptienne, jordanienne et syrienne. En 6 jours, du 5 au 10 juin 1967, Tsahal (1) anéantit ses ennemis. L’attaque a longtemps été présentée comme une initiative préventive pour contrer une action arabe imminente. Le Caire avait en effet fermé le détroit de Tiran (2) aux navires israéliens, cette voie incontournable pour l’accès au port d’Eilat, et ce geste était considéré par Tel Aviv comme un « casus belli« . Après sa victoire fulgurante, l’État hébreu occupe le Golan, la Cisjordanie, la partie est de Jérusalem, Gaza et le Sinaï. Or, les travaux de l’historien israélien Tom Segev ont démontré qu’il y avait au sein du gouvernement israélien un puissant lobby militariste, dont faisait partie le général Moshe Dayan, qui avait projeté depuis longtemps de s’emparer de ces territoires. La guerre des Six Jours marque en tout cas l’un des tournants majeurs de l’histoire de l’État hébreu. Jusque-là, le jeune État était le petit David constamment menacé, dépendant, et dont l’existence était loin d’être assurée. Après juin 1967, il se transforme en Goliath omnipotent qui n’a de compte à rendre à personne, même pas à son puissant protecteur américain.
Une colonisation jamais interrompue
La création de l’État d’Israël s’est faite au détriment des habitants de Palestine. En 1882, quand s’installent les premiers Juifs sionistes fuyant les pogroms d’Europe de l’Est, seulement 4 % de Juifs vivent en Palestine. Au moment de la Déclaration Balfour en 1917, ils sont 10 %. Ils sont 32 % lors du vote de partage par les Nations unies en 1947. Un partage engendré par la tragédie de la Shoah et les 6 millions de victimes juives anéanties par le régime nazi. Mais 55 % du territoire sont accordés aux Juifs qui ne possèdent alors que 7 % des terres et ce partage est naturellement refusé par les Palestiniens et les Arabes. Israël gagne sa guerre « d’indépendance » en 1949, contre les Palestiniens et les armées arabes. Les Israéliens détruisent les villages, confisquent les maisons et les terres palestiniennes pour éviter le retour des réfugiés. Les premières colonies construites entre 1949 et 1967 sont conçues pour servir de vigie le long de la Ligne verte (3). Après 1967, le gouvernement israélien (travailliste) établit des colonies en territoire palestinien selon une stratégie défensive, sans aucune référence biblique ni idéologique. Mais après la guerre du Kippour, en 1973, les travaillistes acceptent l’installation de colonies dans des territoires densément peuplés de Palestiniens. C’est aussi à partir de 1974 qu’apparaît le Goush Emounim, un mouvement religieux et politique qui ambitionne de s’implanter dans toute la Palestine historique. En 1977, l’arrivée au pouvoir de la droite, pour la première fois depuis la création d’Israël, va favoriser ce mouvement. Les accords d’Oslo de 1993 et l’espoir inouï de paix et d’indépendance de deux États vont s’évanouir sous les coups des bulldozers et des grues. Jamais Israël n’arrêtera la construction de ses implantations sur les terres arrachées aux Palestiniens. La révolte de la seconde Intifada entre 2000 et 2005 n’y changera rien.
Cent ans plus tard
En ce printemps 2017, l’étoile de David bleue sur fond blanc flotte aux réverbères, s’accroche aux balcons et aux voitures, se déroule le long des façades partout en Israël mais aussi jusqu’au fin fond de la Cisjordanie occupée. C’est le 2 mai que l’État hébreu a célébré dans la joie sa fête d’indépendance. Pour les Palestiniens, le même événement s’appelle la Nakba, ce qui signifie « la catastrophe » (4)…
(1) Nom donné à l’armée israélienne.
(2) Le détroit de Tiran sépare le golfe d’Aqaba de la mer Rouge.
(3) Ligne de cessez-le-feu de 1949.
(4) Commémorée généralement le 15 mai.