Dialoguer: oui, mais avec qui et surtout, comment? Et pour quoi? Si le débat est toujours intéressant, il ne doit pas éluder les spécificités de chacun et encore moins la primauté du droit positif.
Fréquemment, le mouvement laïque est confronté à des demandes de rencontres diverses avec l’ensemble des convictions religieuses reconnues. Et à chaque fois, les mêmes interrogations surgissent. En soi, le dialogue est évidemment de prime abord positif (1) mais, en revanche, s’y perdre peut à la fin se révéler contreproductif. Soyons clairs d’emblée: chacun a le droit bien sûr d’avoir des convictions, fussent-elles religieuses. C’est un droit fondamental. Pour les individus. Mais, pour autant, les religions, elles, ne bénéficient d’aucun droit humain spécifique et leurs structures doivent respecter le droit positif applicable là où elles sont. À ce titre, dès 2012, le CAL a adopté une ferme position de principe sur tout dialogue interconvictionnel. Position dans laquelle, après avoir vanté les mérites de l’ouverture aux autres, il précise que « la neutralité et encore moins l’impartialité des pouvoirs publics ne résultent de l’addition des convictions, c’est pourquoi, le CAL ne souhaite pas répondre positivement aux sollicitations de participation aux plateformes interconvictionnelles ou conseils locaux des cultes et de la laïcité. Ce type de regroupement a pour conséquence arithmétique de marginaliser la laïcité, de la réduire à une croyance, à une religion, à un culte de plus, alors que le CAL veut prioritairement assurer la défense et la promotion de la laïcité au service de l’ensemble des citoyens, souhaite contribuer à la mise en exergue d’un dénominateur commun favorisant le vivre ensemble et le fonctionnement démocratique. »
Cependant, ne nous voilons pas la face, de façon structurelle et sectorielle, des lieux de dialogue interconvictionnels existent (sur les questions carcérales, sur les cours dits « philosophiques »…) et mobilisent encore et toujours le mouvement laïque (2) De même, dans les moments de crise aigüe au niveau national, ainsi que l’indique dans le présent Espace de Libertés Henri Bartholomeussen, président du CAL, lorsque la demande émane spécifiquement des pouvoirs publics: « Il faut répondre présent » (3).
La nécessité d’un cadre
Toutefois, s’il nous faut composer en diverses occasions avec un dialogue interconvictionnel, encore est-il nécessaire de très précisément le cadrer car, sans penser spécifiquement aux récents résultats électoraux en France, le danger de ce genre de démarche est de réduire tout à un socle commun qui n’existerait en réalité que de façon virtuelle. En effet, une société qui respecte les droits humains est une société dans laquelle se mêlent des personnes aux origines, aux opinions, aux convictions, aux modes de vie extrêmement divers, voire parfois antagonistes. Et même en révolte contre la norme dominante. Et c’est heureux comme cela. « Le dialogue véritable suppose la reconnaissance de l’autre à la fois dans son identité et dans son altérité« , précise un proverbe africain. On le sait tous, il y a encore du boulot…
Mais, dans le cadre de ce travail, comme le précise très bien José Wolff (4), le dialogue interconvictionnel doit rester à sa place ce qui signifie qu’il ne peut prétendre se substituer aux règles générales du vivre-ensemble définies par la société. Bref, la loi prime sur les différentes règles religieuses ou convictionnelles des uns et des autres. Rien ne serait pire en effet que de voir des responsables politiques « déléguer » à un quelconque clergé la gestion des questions qui relèvent de la Cité. En somme, il ne faut pas avoir peur du conflit tant qu’il reste dans les limites du respect des personnes. Mais cela implique que toute idée peut, doit, être contestable. En d’autres mots, chaque participant au dialogue interconvictionnel doit accepter de ne pas exiger que sa foi soit respectée comme une chose sacrée.
Oser se regarder dans le miroir
Enfin, pour le mouvement laïque, se prêter à l’exercice du dialogue interconvictionnel suppose aussi d’y aller pour défendre farouchement nos valeurs. Concrètement, hors de question d’y jouer les potiches mais, au contraire, notre présence ne peut se justifier que pour y porter haut et fort un discours. Avec un mot d’ordre: « Ne jamais admettre comme cause de ce que nous ne comprenons pas quelque chose que nous comprenons moins encore » (5). Et à cet égard, la Laïcité, c’est évidemment un principe d’organisation de la Cité garantissant l’indépendance des pouvoirs publics par rapport à toute tutelle religieuse mais c’est aussi la liberté de conscience, l’égalité des droits et le primat de l’intérêt général comme raison d’être exclusive de la loi commune.
Ces principes nous obligent. Cela signifie d’une part que l’on ne dialogue pas avec n’importe qui. Par exemple, se retrouver à la même table que l’Opus Dei ne risque pas de faire germer quoi que ce soit de fécond d’un pareil dialogue… D’autre part, cela signifie aussi que nous devons être capables de nous regarder nous-mêmes dans le miroir. Et on le sait, l’époque est rude! Le politiquement incorrect de ces derniers temps est devenu politiquement correct, massif, réactionnaire. Toutes les pulsions xénophobes, homophobes, antidémocratiques, nationalistes, qui étaient larvées, mises sur le boisseau en d’autres temps, s’affichent désormais en toute impudeur et légitimité. Dernier exemple en date, ce vent du boulet qui a soufflé en France. Et, malheureusement, parmi les arguments invoqués par la Marine pour soutenir son discours nauséabond, il y a la laïcité. Une laïcité récupérée chez nos voisins par la droite populiste et l’extrême-droite et qui en font un rempart idéologique contre la progression de l’islam, le détournant à l’évidence de son fondement.
Soyons clairs, dans le monde où nous sommes, il ne peut être question aujourd’hui de transiger avec cette attitude. Ceux qui cautionnent maintenant de tels partis, qui les crédibilisent en participant à leurs congrès ou autres manifestations ne sont pas dignes de se dire laïques. Et par cette faute, ils prennent devant l’histoire une responsabilité immense. Pour lutter contre toute contagion éventuelle de ces idées nauséabondes, il nous appartient donc, à chaque fois, de bien rappeler nos balises: l’attrait de la liberté, l’ambition de l’autonomie, la vocation à l’universalité et le principe du libre examen. C’est avec ces outils que se construira principalement ce dénominateur commun énoncé par notre conseil d’administration en 2012.
(1) Le dialogue interconvictionnel peut être une expérience humaine enrichissante pour les différentes parties, ainsi qu’un moyen de mieux comprendre l’autre.
(2) Et le plus souvent dans des lieux où les mandats sont le plus souvent excessivement vagues…
(3) Lire « Et maintenant, asseyons-nous et parlons un peu… »
(4) Lire « Formation des enseignants à la neutralité: quelle place pour le dialogue interconvictionnel? »
(5) Sade.