En avril dernier, le pape François s’est distingué par une accolade très médiatisée avec le grand imam de la mosquée Al-Azhar, au Caire. En ces temps troublés, les tentatives de rapprochement entre les représentants des religions chrétienne et musulmane se multiplient. Mais quel est l’état des lieux du dialogue interconvictionnel en Belgique? Complexe et paradoxal, les défis font office d’horizon!
Suite aux attentats de Bruxelles, plusieurs églises ont ouvert leurs portes aux musulmans et des mosquées ont accueilli des non-musulmans. Des initiatives qui favorisent certainement la rencontre et les échanges entre croyants de différentes confessions. Mais ne nous voilons pas la face, le dialogue interreligieux reste complexe et multiforme! Comme l’explique Jean-Luc Detrez, membre du GRAIR (Groupe de Rencontres et d’Actions Inter-religieuses) à Charleroi, il ne faut pas céder à la tentation de chercher des points communs entre les religions: « le danger de ce genre de démarche est de finir par réduire tout à un socle commun qui n’a plus de sens. Il faut pouvoir accepter les différences et s’en nourrir, sans pour autant les adopter. C’est un enrichissement mutuel. D’un point de vue purement religieux, nous essayons de lire les textes à la lumière de la société d’aujourd’hui. »
À Bruxelles, le Centre El Kalima est sans doute le premier à avoir initié le dialogue interreligieux dès la fin des années 70. Initiative chrétienne au nom arabe (El Kalima signifie « la parole »), le Centre fut créé suite aux accords de Vatican II, qui visaient le rapprochement avec les autres religions monothéistes, à l’époque où la Belgique encourageait l’immigration provenant du Maroc et d’Algérie. Aujourd’hui, le Centre organise notamment des animations scolaires, des rencontres interreligieuses et des conférences. Selon son administrateur, Régis Close, le dialogue interreligieux doit d’abord passer par une phase de création de confiance mutuelle avant d’aborder les questions religieuses de fond, qui exigent de pouvoir y consacrer du temps.
Quelle place pour la laïcité dans le dialogue interconvictionnel?
L’on pourrait être tenté de penser que le dialogue interreligieux est plus aisé que celui qui réunit à la fois les communautés religieuses et philosophiques. Les fidèles ayant en commun une certaine perception du monde basée sur la « croyance » et non sur une démarche rationnelle, si précieuse à la pensée cartésienne. Une telle conception a parfois entraîné la conviction d’une certaine supériorité de la pensée rationnelle sur la religieuse, ce qui aurait éloigné des laïcs d’une partie du dialogue interconvictionnel, déplore le responsable du GRAIR, qui n’accueille plus de représentant de la laïcité dans son groupe.
Mais les mentalités et les positionnements évoluent. De même que les doutes! De plus en plus de non-croyants expriment un besoin de spiritualité. Pour preuve, des projets interconvictionnels comme « T’y crois t’y crois pas », créé à La Louvière en 2012 à l’initiative de la Maison de la Laïcité, en partenariat avec le Centre Régional d’Action Interculturelle du Centre et la Bibliothèque provinciale du Hainaut. Une initiative qui accueille des représentants de la laïcité, mais aussi des différentes religions monothéistes et d’autres philosophies: « nous avons en projet d’accueillir un représentant du bouddhisme, mode de pensée qui recueille de plus en plus d’intérêt aujourd’hui« , confirme Bertrand Tréfois, le directeur de la Maison de la Laïcité.
Vers une démarche moins « identitaire »
Grâce au projet « T’y crois t’y crois pas », des rencontres dans les différents lieux de culte de la région sont régulièrement organisées. La priorité étant de « sortir » du cercle des conférences régulièrement proposées jusqu’alors, qui donnaient essentiellement la parole aux représentants des différentes communautés philosophiques et religieuses.
Des rencontres moins formelles et moins axées sur les croyances sont également organisées, notamment dans les cafés philo. « Ici, il s’agit plutôt d’aborder différentes thématiques sociétales avec les sensibilités propres à chacun, explique Bertrand Tréfois, le directeur de la Maison de la Laïcité de La Louvière. Je pense qu’il faut éviter l’écueil de mettre les identités en avant, cela peut devenir réducteur et stigmatiser chaque participant dans son appartenance à un courant de pensée. Même si c’est important d’en tenir compte pour ouvrir le débat et de montrer qu’un dialogue est possible. »
Dialogue interconvictionnel et interculturalité: c’est kif-kif?
Si les initiatives en matière de dialogue interconvictionnel se multiplient, elles ne doivent pas être confondues avec les actions en faveur de l’interculturalité. La commune de Molenbeek a par exemple organisé des festivités visant à réunir les différentes communautés habitant la commune, à l’occasion des grands événements religieux tels que la rupture du jeûne, la Pâque juive ou le repas de Noël. Dans le contexte actuel, particulièrement tendu, ces fêtes religieuses sont alors prétexte à des rencontres interculturelles. Le but: inciter les communautés à échanger autour de sujets plus légers, comme les traditions culinaires, musicales et conviviales. Mais il ne faudrait pas confondre ces événements avec le véritable dialogue interconvictionnel, qui lui, touche à l’intime, au sacré.
Quid des institutions publiques?
Du côté des institutions politiques, la nécessité d’établir le dialogue ne fait plus de doute. Une plateforme interconvictionnelle bruxelloise a d’ailleurs vu le jour en 2009, à l’initiative de Chantal Noël, alors échevine des Cultes de la Ville de Bruxelles. Aujourd’hui, la plate-forme, qui n’entretient plus de liens institutionnels avec la Ville de Bruxelles, se concentre sur l’organisation d’exposés, de débats et d’initiatives s’adressant au monde scolaire. Une fois par an, elle participe aussi à la Semaine mondiale de l’harmonie interconfessionelle, adoptée par l’ONU. Autre initiative: la Fédération Wallonie-Bruxelles prépare une formation à la gestion de la diversité convictionnelle sur le lieu de travail, à l’initiative du Centre Bruxellois d’Action Interculturelle. Cette formation, qui s’adresse aux professionnels actifs dans les secteurs qui relèvent de la Fédération Wallonie-Bruxelles, montre aussi combien le débat est d’actualité. Autant d’outils et d’initiatives visant à améliorer un dialogue encore frileux, mais désormais indispensable à la mise en place d’un lieu de parole démocratique pour réussir le « vivre ensemble », dans son sens le plus significatif.