Cartes Blanches

Des assassins à l’hôpital?

Des assassins à l’hôpital?

Dans les éditions du 25 août du Soir, Madame Carine Brochier, directrice de l’ »Institut européen de bioéthique » (IEB) (1), dénonce la macabre machination qui sévirait dans les hôpitaux belges. « Dans certains hôpitaux, on libère des lits en hâtant des décès et l’on fabrique des demandes d’euthanasie. » Selon Madame Brochier, il s’agirait donc de meurtres prémédités, définition pénale de l’assassinat. Quels seraient les auteurs? Elle ne le précise pas mais poursuit: « les inquiétudes sont grandes », « on nous a rapporté que », « on nous raconte », « certains hôpitaux »

Voici de graves accusations.

Alimenter et entretenir de telles légendes urbaines relève de la stratégie de nombreux lobbys religieux fondamentalistes. Le cas de l’ »Institut européen de bioéthique » n’est malheureusement plus isolé. Alliance Vita, One of Us, le Salon beige, les Dossards jaunes, Action pour la famille, la Fondation Lejeune, Citizengo…  y recourent systématiquement au point d’instiller le doute chez ceux qui seraient moins bien informés. Nous sommes confondus devant cet acharnement à empêcher les citoyens de vivre selon leurs propres choix, à coup d’interdictions réclamées dans la plupart des domaines éthiques, au mépris des lois votées démocratiquement.

Dans ce cas précis, le dossier à charge de l’euthanasie est vide. En témoigne la déclaration du ministre de la Justice Koen Geens (CD&V), interpellé au Parlement suite à une sortie des évêques belges en mars dernier sur des supposées dérives: « Je n’ai, pour le moment, connaissance détaillée d’aucun cas. Du reste, je n’ai reçu de mes services aucun signal inquiétant qui indiquerait que la loi ou le respect de celle-ci nécessiterait un ajustement dans la pratique. » Dans une « opinion » publiée dans La Libre du 2 mars, les évêques avaient affirmé que « depuis la loi de 2002 sur l’euthanasie, le constat s’impose: la dérive prédite à l’époque est devenue réalité. Les limites de la loi sont systématiquement contournées, voire transgressées. » Bien entendu, aucun exemple, aucun élément concret n’étaye ce « constat ». La réponse du ministre ne saurait être plus claire.

L’ »IEB » remet donc le couvert, celui de la rumeur, du discrédit et de la peur.

L’ »IEB » remet donc le couvert, celui de la rumeur, du discrédit et de la peur. Dans ces conditions, il nous paraît nécessaire de rappeler ce qu’est exactement l’Institut européen de bioéthique, qui a régulièrement les honneurs des gazettes et des débats télévisés au même titre que des professionnels patentés ou des spécialistes reconnus.

Vu sa dénomination, l’on pourrait croire – et c’est probablement le but – qu’il s’agirait là d’un groupement international de savants et d’experts animés par un intérêt commun pour la recherche fondamentale et les questions éthiques, consulté à ce titre par les instances européennes. Ce qui explique sans doute que certains médias s’y laissent prendre et à ce titre, les invitent à prendre une large place dans le débat public.

Le véritable objet de l' »IEB » consiste à fournir des argumentaires à tous ceux qui s’opposent au libre choix des personnes à disposer d’elles-mêmes.

Or, l’ »IEB » n’est rien d’autre qu’une association belge qui réunit quelques militants issus des milieux religieux conservateurs. Ses statuts précisent qu’elle: « … s’est donné pour objectif de contribuer à l’élaboration d’une bioéthique fondée sur le respect et la promotion de la personne humaine, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle. » Ce qui exclut clairement tout recours à l’avortement et à l’euthanasie, quels que soient les motifs invoqués. Le véritable objet de cette ASBL consiste donc à fournir des argumentaires à tous ceux qui s’opposent au libre choix des personnes à disposer d’elles-mêmes.

Son fondateur, le professeur Etienne Montero, doyen de la faculté de Médecine à l’Université de Namur, y défend les thèses de l’Opus Dei. La composition du « comité scientifique » de l’ »IEB » vient confirmer cette orientation: militants anti-choix en général, anti-avortement, anti-euthanasie et même opposés aux droits égaux pour les homosexuels, parfois membres de groupements religieux plus ou moins intégristes. Quelques recherches simples sur Internet suffisent à s’en rendre compte.

Il reste que la diffamation des praticiens belges dans les hôpitaux décrits comme le lieu d’assassinats organisés ne nous paraît plus relever d’un débat démocratique respectueux des opinions et des libertés de chacun.

 

Henri Bartholomeeusen, Président du Centre d’Action Laïque


(1) Ce sigle est par ailleurs déposé par Inter-environnement Bruxelles.
Carte blanche parue dans Le Soir du 2 septembre 2015
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