Espace de libertés | Janvier 2019 (n° 475)

La philosophe Nadia Geerts vient de publier un livre sous forme de plaidoyer pour le droit à l’euthanasie. Nous lui avons demandé pourquoi l’avoir rédigé maintenant.

«La question s’est imposée à moi par le biais du décès de ma mère, qui avait demandé l’euthanasie. Ce qui avait toujours été pour moi une évidence, mais aussi une position purement intellectuelle, est devenu soudain beaucoup plus réel. Ce livre est le résultat de cette rencontre entre une réflexion théorique sur le droit de choisir sa fin de vie et mon expérience d’une fin de vie, celle de maman.

Il me semble que le plus frappant, en tout cas dans mon vécu personnel, est la difficulté d’articuler la volonté de mourir d’une personne proche, avec le chagrin qu’on éprouve nécessairement face à la perspective de sa mort. Le fait que la personne désire profondément mourir peut procurer, en tout cas si on est en accord avec cette volonté, une sorte d’apaisement à l’idée qu’elle va obtenir gain de cause. Et en même temps, ce sentiment génère de la culpabilité de n’être pas suffisamment dévasté par le chagrin. Par ailleurs, et c’est infiniment précieux, la mort de maman restera pour toujours dans ma mémoire comme un beau souvenir. Il y a là, me semble-t-il, comme une possibilité de réconciliation avec la mort, qui n’est plus vue comme une calamité mais comme une belle fin.

J’ai aussi découvert que le deuil était profondément culturel. Toutes les sociétés humaines organisent l’adieu au défunt d’une manière qui leur est propre, mais qui le ritualise. Mais dans notre société, nous ne sommes véritablement outillés que pour gérer la mort qui survient brutalement, ou malgré les efforts que l’on a pu déployer pour l’empêcher. J’ai pu observer, tant de la part des professionnels de la santé que du personnel de la maison de repos ou de mon entourage, à quel point il est difficile de trouver comment se comporter face à une personne qui a choisi de mourir, mais aussi face à une famille qui soutient ce choix. On n’est familiers, au fond, que de la mort subie.»