Espace de libertés | Janvier 2019 (n° 475)

Culture

Plus de 30 ans de toxicomanie, 29 flagrants délits de vol et 8 séjours en prison. Et puis un jour, le disque s’enraye. Enfin des lendemains qui chantent et mènent une ancienne détenue à « la vie de château ». Le roman (bio)graphique « La Ballade des dangereuses » raconte les vies étonnantes et incroyablement vraies de Valérie Zézé.


« Votre numéro d’écrou est le 4827 ! » Pour nous, lectrices et lecteurs, l’histoire de Valérie Zézé commence en janvier 2015 au Palais de Justice de Bruxelles à l’aulne de sa 8e incarcération à la maison d’arrêt de Berkendael, à Forest. Elle vient de prendre 18 mois pour vol. Au fil des cases,

Valérie raconte sa vie quotidienne : le sevrage de la cocaïne, les interactions avec les autres détenues, le respect qui s’impose pour survivre, l’absence d’intimité, la colère, le cachot, le transfert à Lantin… Et tout ce qui rend la prison moins pénible : les visites de son fils, le travail à la cuisine et à la bibliothèque, les évasions mentales, le réconfort spirituel aussi. Et au bout du tunnel, la lumière de la sortie, non sans appréhension et difficultés. Avec les flash-back, on comprend comment la spirale infernale de la cocaïne et du vol l’ont amenée là. Tout est conté avec force et justesse. Et l’humour de Valérie comme un bouclier. Car elle ne le cache pas, « derrière cette pudeur, il y a un corps écorché vif, maltraité, violenté, torturé, séquestré. Mais le but n’est pas de faire peur ou de faire mal. » La dignité de Valérie, l’humanité du récit d’Anaële et la douceur des aquarelles de Delphine rendent l’histoire dicible et visible.

«Un morceau de vie »

Comme le racontent les sœurs Hermans, respectivement dessinatrice et scénariste belges, « au départ de cette bande dessinée, il y a eu une curiosité, un intérêt pour l’univers carcéral, où l’humain est poussé dans ses limites. Il y a eu surtout une envie : celle d’aller au-delà des images et idées reçues sur la prison, pour raconter l’histoire de personnes, avec leurs émotions, positives et négatives, leurs nuances. » Dans une démarche exploratoire, Anaële a rencontré des professionnels du secteur, qui l’ont mise en contact avec des ex-détenus. Elle est tombée sur Valérie dans la cour d’une association d’accueil d’urgence bruxelloise alors qu’elle venait de sortir de prison. Une rencontre étonnante comme Valérie en a le secret, de celles qui changent une vie, ou du moins lui font prendre une tournure inattendue – comme celle qui l’a amenée jusqu’au château où elle s’est installée.

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« La vraie liberté est intérieure… mais la liberté extérieure n’est pas mal non plus. » : mantra revisité par Valérie Zézé. © Mauro Striano

« Valérie nous a semblé être un personnage idéal pour plusieurs raisons : elle avait très envie de raconter sa vie ; son témoignage est dur mais aussi plein d’humour, de joie de vivre et d’espoir ; il permet de mettre en lumière de nombreuses facettes de la réalité carcérale, y compris les mécanismes qui amènent des personnes à multiplier les séjours en prison. » Elles se sont rencontrées plusieurs fois et tout a été enregistré. « Petit à petit », poursuit la scénariste, « j’ai essayé de mettre de l’ordre là-dedans et d’imaginer comment le lecteur pourrait aimer découvrir cette histoire. C’est un destin mais ce n’est qu’un petit morceau de sa vie ! Valérie a 50 ans et vécu pas mal de péripéties. »

Récit interne et intérieur

« On entend souvent parler de grands criminels qui ont fait des choses hors du commun. Mais finalement, les prisons sont peuplées de multirécidivistes, de toxicomanes qui volent pour se procurer leur produit et reviennent sans cesse. Cela nous a permis d’illustrer ce qui se passe vraiment derrière les prisons ». On est bien loin de l’univers carcéral fictif de Prison Break. Dans le même genre que La Ballade des dangereuses, seule la série 20 ans ferme éditée en France chez Futuropolis Gallisol en 2012 s’est construite, elle aussi, sur les confidences d’un ancien détenu dans le but de « témoigner de l’indignité d’un système ». Système avec lequel Valérie n’est pas tendre non plus : « Si j’avais été soignée, la première fois, jamais je ne serai rentrée huit fois en prison. La prison casse, c’est là qu’on apprend à être une vraie délinquante. »

Un château à reconstruire

Après une longue cure de désintoxication dans la communauté thérapeutique de Brantôme, l’ex-professeur de français est restée vivre dans le Périgord et s’est installée dans un château en rénovation. Elle reste fragile et en a bien conscience : « Il est temps pour moi de faire des choses qui me plaisent avant tout : écrire, soutenir les autres en donnant des cours d’alphabétisation au village, en corrigeant des lettres… En tant qu’écrivain public, je reçois un “Merci, Madame !” et un poulet ou 2 paniers de fraises. Au village, on marche au troc. C’est génial de pouvoir avoir de nouveaux amis. » Entraide, amitié, petits bonheurs du quotidien : des paroles qui sonnent un peu comme celles d’une certaine « Ballade », en nettement moins dangereux.