Imaginez un pays où un référendum est organisé à la va-vite. Imaginez que ce référendum soit promu par des extrémistes religieux. Qu’il vise à apporter des modifications homophobes à la Constitution et qu’il soit soutenu par un gouvernement qui espère une victoire politique à court terme pour camoufler les scandales de corruption qui minent sa réputation. Et si ce pays existait vraiment ?
Le pays que vous imaginez existe en effet réellement : c’est la Roumanie. Et le référendum en question est celui qui s’est tenu le 7 octobre dernier et dont le but était d’inscrire la définition de la famille comme « union entre un homme et une femme » dans la Constitution. Par un gouvernement qui se dit de centre gauche, de surcroît ! C’est en 2015 que cette question est mise sur la table lorsqu’une ONG appelée La Coalition pour la famille rassemble 3 millions de signatures afin de déclencher un processus de modification de la Constitution. L’objectif ? Écarter toute possibilité d’adoption du mariage pour tous en gravant dans le marbre constitutionnel une définition homophobe du mariage.
En théorie, la Coalition pour la famille est une simple alliance informelle de plus de 40 ONG qui soutiennent la famille. En pratique, la liste des membres compte de nombreuses ONG religieuses et conservatrices et entretient des liens étroits avec l’Église orthodoxe roumaine (majoritaire). La portée et les ressources financières du réseau lui ont permis de recueillir 3 millions de signatures pour lancer le processus de modification de la Constitution. La campagne en faveur du référendum a coûté très cher et les sources de financement sont loin d’être transparentes. La coalition semble être financée par diverses organisations protestantes aux États-Unis et des organisations similaires d’Europe orientale.
Anomalies en tous genres
La Constitution stipule que pour être modifiée sur la base d’une initiative citoyenne, la demande doit être votée par le Parlement dans les six mois suivant son dépôt et peut être faite après la collecte d’un certain nombre de signatures nécessaires. Dans le cas de ce référendum, le délai a été de deux années. Qui plus est, les autorités ont décidé de la tenue du référendum le 11 septembre et ont fixé la date au 7 octobre, laissant aux administrations locales moins d’un mois pour se préparer. Résultat : le système électronique destiné à prévenir la fraude et recouper l’identité des électeurs avec une base de données nationale n’était pas disponible à temps. À cela s’ajoute l’ordonnance d’urgence adoptée par le gouvernement le 18 septembre, et qui prolonge exceptionnellement la période de vote à tout un week-end, au lieu du dimanche uniquement. Bien qu’il soit illégal de modifier les règles référendaires six mois précédant un vote, le nouveau calendrier sera maintenu, malgré de vives protestations de la société civile. Enfin, le libellé de la question est particulièrement déroutant : très ambiguë, elle se borne à demander : « Êtes-vous d’accord avec la loi sur la révision constitutionnelle adoptée par le Parlement ? »
En Roumanie, le mariage pour tous a ses ennemis haut placés. Mais le peuple n’a pas suivi la voie de l’homophobie. © Daniel Mihailescu/AFP
Au vu de ces vices de procédure, les voix de nombreux chrétiens modérés viendront s’ajouter à celle des défenseurs des droits humains afin de dénoncer un gigantesque gaspillage ayant pour objectif apparent de distraire l’opinion publique des nombreux scandales de corruption dans lesquels le parti majoritaire est impliqué.
Le boycott pour dire non
Face au calendrier accéléré et à l’implication de l’Église et de réseaux anti-choix, les espérances du camp dénonçant l’homophobie de ce référendum étaient limitées. En effet, afin que la modification constitutionnelle soit adoptée, deux conditions devaient être remplies : un minimum de 30 % de participation et une majorité simple votant « oui », laissant théoriquement la possibilité à un maigre 15 % de la population de décider de l’issue du référendum.
Dans ces conditions, la meilleure stratégie : boycotter le vote. Cela permet non seulement de l’invalider (malgré le seuil très bas de 30 %) mais également d’exprimer une position morale : même si le « oui » l’emporte dans les urnes, la majorité de la population aura exprimé son refus du référendum.
Côté Église et anti-choix, l’heure était à la mobilisation. Des messages politiques dans les sermons dominicaux aux dépliants distribués dans les écoles, la propagande anti-choix a envahi le pays. De la menace de voir des étrangers convaincre les enfants roumains de changer de sexe aux craintes que des homosexuels viennent adopter ou kidnapper (au choix) les enfants, tout argument délirant fut bon à prendre. En outre, et ce, en violation totale de l’obligation de réserve des administrations locales, certaines mairies ont même publié des messages officiels soutenant le « oui ».
Le soir du 7 octobre, la tension était palpable dans le pays. Tout au long de la journée, des indications d’un taux de participation extraordinairement bas ont circulé. En soirée, le résultat inespéré tombe : malgré tous les efforts du gouvernement et l’intensive campagne du camp en faveur du « oui », seulement 21 % de la population s’est déplacée. Et le référendum a été invalidé !
Un heureux dénouement, mais…
Reste que le gouvernement roumain semble sur la mauvaise voie en matière de démocratie. Le 13 novembre, le Parlement européen a adopté une résolution concernant l’État de droit en Roumanie. Il y tire la sonnette d’alarme sur un certain nombre de mesures prises touchant aussi bien l’indépendance de la justice et des médias, que le statut des ONG ou le manque de lutte sérieuse contre la corruption.
Dans ces conditions, les militants associatifs roumains craignent que de nouvelles initiatives anti-choix soient épaulées par un État dont les contre-pouvoirs pourraient être mis à mal. Il suffit de visiter le site internet de la Coalition pour la famille pour se faire une idée. On y trouve par exemple un appel à l’interdiction des unions civiles, car cela « réduit » le nombre de mariages, à l’interdiction de la contraception et de l’avortement financés par l’État ou l’interdiction aux mineurs d’y accéder sans accord parental. Ces derniers mineraient le rôle premier du mariage qui est la procréation et la protection de l’enfant.
La Roumanie est à la croisée des chemins : revenir vers les valeurs fondamentales de l’Europe ou faire ses premiers pas vers un agenda illibéral, sur les traces du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán. Les militants associatifs roumains, quant à eux, sont décidés à ne pas se laisser faire.