Le Parlement fédéral s’apprête à voter un durcissement des conditions de libération conditionnelle: une mesure onéreuse et inefficace.
Ce projet de réforme que les experts du monde judiciaire s’accordent à qualifier de totalement contre-productif s’oppose manifestement à une conception humaniste de la justice et de la société.
Le Centre d’Action Laïque continuera à dénoncer cette réforme qui vise avant tout à satisfaire un électorat sur une base émotionnelle, ce qui n’honore pas un État démocratique.
Une répression qui ne se préoccuperait aucunement d’assurer la réadaptation du délinquant ferait une œuvre à la fois inhumaine et vaine. Inhumaine parce qu’elle ne devrait comporter logiquement que des peines éliminatrices, vaine parce qu’après l’exécution de la peine le délinquant risquerait fort d’être plus redoutable pour la société qu’auparavant.
(Professeur Georges Levasseur, Politique criminelle peines ou mesures de sûreté, http://ledroitcriminel.free.fr)
Rappelons que le projet de loi concerne essentiellement le relèvement du seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle pour les futurs condamnés à une peine privative de liberté de trente ans ou à une peine privative de liberté à perpétuité.
Le projet de loi prévoit également, en allant bien au-delà de l’accord gouvernemental, une modification des procédures relatives à la libération conditionnelle pour tous les condamnés. Celles-ci ne seront désormais plus lancées automatiquement mais bien après une demande écrite du condamné qui aura été préalablement informé par le directeur de prison.
De plus, le projet de loi modifie la procédure d’octroi d’une modalité d’exécution de la peine à l’égard des condamnés aux peines les plus lourdes (plus de 30 ans et à perpétuité). Le tribunal d’application des peines sera dorénavant composé de 5 personnes et devra se prononcer à l’unanimité et non plus à la majorité.
Rappelons que le Conseil Supérieur de la Justice a rendu un avis extrêmement critique sur ce projet de réforme. Que le Conseil d’État a, pour sa part, émis de très nombreuses remarques. Après n’avoir répondu que partiellement aux avis et remarques formulés, le Gouvernement persiste dans sa volonté de durcir les conditions de libération conditionnelle et demande aux parlementaires de voter ce projet de réforme.
Ce projet de réforme est contre-productif pour plusieurs raisons.
1. Il aura des incidences financières importantes en termes de charges complémentaires pour le budget de l’État
Le coût des prisons est aujourd’hui déjà énorme: +/- 500 millions d’euros par an sans compter le coût du Master plan prisons (infrastructures carcérales actuelles et futures + location probablement jusqu’en 2015 de la prison de Tilburg) pris en charge par la Régie des bâtiments.
Rappelons que le coût journalier d’entretien d’une personne détenue en prison est de l’ordre de 150 euros par jour.
À cet égard, le Gouvernement n’a manifestement pas donné suite à une remarque importante du Conseil d’état qui a dit ceci: « Il faudra par conséquent veiller à ce que la formalité de l’examen préalable de la nécessité de réaliser une évaluation d’incidence, mentionnée à l’article 19/1 de la loi du 5 mai 1997, soit dûment accomplie. L’article 19/2 impose qu’une évaluation d’incidence soit réalisée si l’examen préalable visé à l’article 19/1 l’exige. Si l’examen préalable révèle la nécessité d’une évaluation d’incidence et si des modifications devaient encore être apportées au texte de l’avant-projet consécutivement à la réalisation de cette étude d’incidence, il y aurait lieu de soumettre également ces modifications à l’avis du Conseil d’État. L’article 19/3, 1°, de la loi du 5 mai 1997, précitée, s’oppose à ce que l’avant-projet soit déposé devant les chambres législatives s’il n’est satisfait à la disposition des articles 19/1 et 19/2. »
Le législateur a défini l' »évaluation d’incidence » comme étant « l’évaluation d’incidence des décisions sur le développement durable, c’est-à-dire la méthode permettant d’étudier les éventuels effets sociaux, économiques et environnementaux, ainsi que les effets sur les recettes et les dépenses de l’Etat, à court, à moyen et à long terme, en Belgique et à l’étranger, d’une politique proposée avant que la décision finale ne soit prise ».
2. La réforme va aggraver la surpopulation carcérale
On sait que déjà actuellement:
- On condamne de plus en plus lourdement.
- On libère de plus en plus tard. Même s’il n’existe toujours pas d’évaluation sérieuse de l’activité des tribunaux d’application des peines (T.A.P.) – ce que l’on peut regretter-, tous les experts du secteur le confirment: les libérations anticipées ont aujourd’hui déjà diminué.
- Elle a un effet néfaste sur la capacité de réinsertion sociale des personnes.
- La capacité pénitentiaire est déjà insuffisante et le restera en dépit des nouvelles infrastructures (cf. location prolongée de la prison de Tilburg) et que par ailleurs, l’augmentation de cette capacité carcérale ne répond aucunement aux problèmes rencontrés en prison et qu’il est plus que grand temps de prendre des mesures structurelles cohérentes sur le long terme.
- La surpopulation carcérale a de graves conséquences en termes de tensions, de violences dans les prisons et de détérioration des conditions de travail pour les agents pénitentiaires.
Or, dans son dernier rapport relatif aux mesures de lutte contre la surpopulation carcérale, la Cour des Comptes rappelle que: « La libération anticipée englobe les mesures qui écourtent la peine et qui visent notamment une sortie anticipée de la prison. Ces mesures favorisent le flux de sorties des prisons et représentent, à ce titre, un instrument de lutte contre la surpopulation carcérale. »
Elle ajoute: « (…) La simulation pour les données concernant les mises en liberté conditionnelle en 2007 montre que, sans application de la libération conditionnelle, la population des prisons compterait en moyenne 2.200 unités en plus. »
De son côté, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dans son dernier rapport, estime que: « Il y a tout lieu de craindre que les dispositions prises ou annoncées par les autorités belges ne seront pas suffisantes pour contrer l’ascension continue du nombre des détenus. Il convient dès lors d’initier une réflexion plus vaste, axée non plus sur une attitude réactive, mais sur une approche globale, intégrée et proactive, nourrie d’orientations qui combineraient court, moyen et long terme. Cette nouvelle approche, qui implique nécessairement un saut qualitatif, à la fois dans l’étude du phénomène et des moyens préventifs à mettre en place, devrait être l’un des thèmes centraux de la politique pénale et pénitentiaire belge dans les années à venir et faire l’objet d’une conférence nationale associant tous les partenaires intéressés (pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires; milieux professionnels, académiques et associatifs; etc.). L’étude susmentionnée de la Cour des Comptes et les nombreuses publications scientifiques récentes pourraient utilement servir comme points de départ aux débats. Le CPT recommande qu’une telle conférence nationale soit organisée, dont l’objectif serait de dessiner les contours de la nouvelle approche susmentionnée. »
Réponse du Gouvernement belge: « Le Gouvernement, également favorable à la consultation des différents partenaires, prend note de cette recommandation. »
3. Le Gouvernement ne s’appuie sur aucune donnée criminologique
Le CAL estime qu’on ne révise pas une règle générale uniquement parce qu’un cas particulier a posé problème, non pas en terme de sécurité, mais dans la perception et l’émotion exprimées par la population.
4. Et enfin l’objectif de réinsertion sociale des personnes qui sortent de prison est complètement balayé
Ce projet de réforme ignore totalement l’objectif pourtant toujours officiellement énoncé et maintes fois répété de vouloir favoriser la réinsertion sociale.
La prison prépare déjà aujourd’hui si peu à la réinsertion sociale et économique que maintenir des condamnés encore plus longtemps en prison ne peut qu’aggraver les frustrations.
Il est important de rappeler que la pénibilité actuelle des conditions de libération conditionnelle pousse déjà une frange de plus en plus importante de condamnés à aller « à fond de peine », ce qui va à l’encontre de la volonté d’accompagner la sortie et d’en avoir un certain contrôle. Un durcissement de la politique en la matière aura certainement pour effet de renforcer ce phénomène.
Pour toutes ces objections fondamentales, le Centre d’Action Laïque demande instamment aux parlementaires de renoncer à cette réforme « électoraliste » et contre-productive. Et à tout le moins, dans un premier temps, d’entendre en Commission Justice, la voix des différents experts du secteur.
Il est urgent que le Gouvernement belge réponde à la recommandation du CPT et initie une conférence nationale associant tous les partenaires intéressés (pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, milieux professionnels, académiques et associatifs) pour mettre en place une véritable politique pénitentiaire réductionniste.