Ah, la France des Lumières ne finira jamais de nous surprendre. Vu d’outre-Quiévrain (ou faut-il désormais parler « d’outre Néchin » ?), le débat qui agite votre landerneau à propos de ce que vous appelez pudiquement le « mariage pour tous » nous laisse pantois. Ce n’est pourtant pas faute que la Belgique soit plus libérale ou moins catholique que son méridional voisin. Au contraire : le poids de la monarchie, traditionnellement liée de près à la frange la plus conservatrice de l’Eglise, a toujours empêché que la Belgique soit un Etat laïque au sens constitutionnel du terme. Pas de Loi de 1905 au pays du mécréant Jacques Brel et un parti ouvertement chrétien au pouvoir quasi sans interruption depuis la Seconde Guerre mondiale.
Pour nous, Belges, il est ironique de constater que la République française, dont la devise invoque la liberté, l’égalité et la fraternité, voit une partie de ses citoyens s’élever avec rudesse et obstination contre une mesure qui concrétise précisément les idéaux qu’elle affiche fièrement sur tous ses frontons.
Or, sur les berges tranquilles de la Meuse et de l’Escaut, le mariage homo – appelons un chat un chat – est légalisé depuis 2003 sans qu’aucune des dérives potentielles agitées par les opposants français au mariage pour tous n’ait été constatée depuis. Non, la société belge n’a pas basculé dans l’inceste institutionnalisé. Non, la structure familiale n’y est pas devenue plus déliquescente qu’ailleurs. Ce sont plutôt les donneurs de leçons d’alors qui ont basculé dans le stupre et la luxure : c’est en effet au sein du haut clergé que les actes de pédophilie homosexuelle se sont révélés au grand jour, et non parmi les centaines d’anonymes ayant choisi de vivre leur bonheur de couple comme ils l’entendent et, pourquoi pas, dans un cadre légal équivalent à celui des hétéros mariés.
Il est du reste très révélateur que le parti chrétien évoqué plus haut ait voté en faveur de cette loi. En Belgique, peu de politiques ont choisi d’agiter les dangers du mariage homo comme étendard de la bien-pensance et de la sauvegarde des valeurs sacrées de la famille et de la bienséance morale. Seul le parti crypto chrétien CDH s’est opposé au texte ; encore le fit il à fleurets mouchetés et sans trop s’aventurer dans le rôle risqué de père-la-pudeur rétrograde, plaidant pour une solution « à la française » en évoquant le PACS comme palliatif à la transgression de la valeur mariage.
Une loi autorisant les couples homosexuels à adopter des enfants et à en mettre au monde via la procréation assistée allait suivre dès 2005, et là encore, on cherche en vain les exemples de dépravation aggravée que cette avancée des libertés individuelles aurait entraînée au sein de notre société.
Pour nous, Belges, il est ironique de constater que la République française, dont la devise invoque la liberté, l’égalité et la fraternité, voit une partie de ses citoyens s’élever avec rudesse et obstination contre une mesure qui concrétise précisément les idéaux qu’elle affiche fièrement sur tous ses frontons. Il en va des opposants au mariage homo comme de ceux qui s’opposent à la dépénalisation de l’avortement et de l’euthanasie (pardon : de l’IVG et du suicide assisté) : ils préfèrent interdire à tous au nom de leur conviction personnelle que d’accorder la liberté à tous au nom du libre-arbitre et de la confiance dans le jugement de chacun quant à ce qui est bon pour lui. Autoriser n’est ni obliger ni inciter.
Finalement, la doctrine de l’interdit au nom d’une croyance n’est pas très éloignée du dogme au nom duquel on brûlait les sorcières. Comment appelait-on ce temps ? Ah oui, l’Inquisition.
Pierre Galand, président du Centre d’Action Laïque et de la Fédération Humaniste Européenne
Carte blanche publiée dans Libération le 14 janvier 2013