Espace de libertés | Mai 2019 (n° 479)

Exil sexuel. Une rencontre avec Martino Zam Ebale


Libres ensemble

L’homophobie persiste dans le monde. Au Cameroun, elle est même institutionnalisée : les homos sont considérés comme des criminels et les médecins forcés de dénoncer ceux qui se font dépister contre le VIH. Face à cette injustice, des collectifs et des individus se battent, informent et aident. C’est le cas de Martino Zam Ebale, artiste polymorphe, lui-même homosexuel. Il s’insurge contre les préjugés et le rejet de la communauté LGBTQIA+ dans le monde.

Danseur et chorégraphe internationalement primé, pédagogue engagé dans l’insertion sociale de jeunes défavorisés, le Belge d’origine camerounaise Martino Zam Ebale livre dans un récit touchant l’histoire de son combat et de sa vie. Forcé à l’exil pour échapper à la loi homophobe de son Cameroun natal, il est arrivé en Belgique et s’est vu confronté, malgré sa notoriété de danseur, à de multiples difficultés. Il restera en séjour illégal pendant plus de sept ans.

Votre orientation sexuelle vous a-t-elle toujours posé problème ?

Au départ, ce n’était pas un problème ! Depuis mon plus jeune âge, je me sens fame-minja, c’est-à-dire, une nature de femme dans un corps d’homme. En fait, je proviens d’une famille bourgeoise au Cameroun. Mon père faisait partie de l’élite du pays. Ma grand-mère était maîtresse de cérémonie et chanteuse dans les rites traditionnels, elle m’a initié très tôt à la danse. D’ailleurs, dans la tradition camerounaise, les danseurs très efféminés, appelés kapele ou atcheng ou encore « l’intelligent », détenaient le savoir. Ils étaient acceptés, respectés, parce que liés à la tradition et au commerce avec l’invisible. Mais c’était avant que le christianisme n’occulte et ne réprime complètement cette forme d’homosexualité. Comme le yin et le yang, nous avons tous un peu des deux sexes en nous. Mais lorsque l’on parle de féminité, remontent les clichés imposés par la mode, la société, la culture. Je suis fier de mon parcours au Cameroun. Fier d’être né dans une telle mosaïque d’identités. Mes parents sont nés en Europe et ont donc bénéficié d’une culture occidentale, mais ont aussi hérité des rituels de chants et de danse du sud du Cameroun. J’ai baigné dans tout ça et c’est de tout ça que ma création artistique est issue. Elle est le fondement de ma vie. J’ai également un autre lien avec la culture asiatique puisque je suis bouddhiste. Je peux dire que je suis un citoyen du monde.

Alors, pourquoi votre orientation sexuelle vous a-t-elle poussé à l’exil ?

Je n’ai pas vu venir la situation au Cameroun. J’ai bénéficié d’un soutien de la coopération France-Afrique au niveau culturel. Un responsable était venu dans les années 1980 pour choisir une dizaine de jeunes ambassadeurs de la culture africaine et tout se passait bien dans ma vie de danseur. J’ai ensuite travaillé, dans les années 1990, à la création d’une compagnie de danse contemporaine mais toujours avec cet héritage traditionnel. Cela m’a propulsé au-devant de la scène, j’étais très populaire. C’était apprécié mais en même temps mal perçu : un vrai clash entre la culture avant-gardiste et la censure traditionnelle des lois homophobes. Les pressions sont devenues petit à petit insupportables : je risquais cinq ans d’emprisonnement ferme, je pouvais même être lynché dans la rue. J’ai été forcé à l’exil. Quand je suis arrivé en Belgique, j’ai été reconnu par le ministère de la Culture puisque j’avais fait pas mal de tournées avec ma compagnie. Mais pendant sept ans, j’ai quand même vécu avec un ordre de quitter le territoire, en raison d’une « malfaçon » juridique.

Votre livre, c’est une catharsis ou un combat pour d’autres ?

La vie est un combat. Celui contre l’homophobie, contre les lois homophobes est le mien. Avec mon livre, si j’inspire au moins une personne dans son combat singulier, j’aurai gagné. Actuellement, j’adhère à un programme de formation des jeunes danseurs burkinabés, je tente de leur octroyer des bourses en Belgique. Je me dois d’être ici et de les guider, d’inspirer à l’ouverture les jeunes d’Afrique et d’ici. Un tel programme n’est pas encore possible avec le Cameroun, en raison justement des lois homophobes, mais j’espère faire bouger les lignes. Mon livre bénéficie du soutien du Parlement européen. Il va être envoyé à tous les chefs d’États africains, le but étant de faire abolir les lois homophobes en Afrique. Aujourd’hui, tous les accords entre l’Europe et les pays africains nient complètement la question de l’homophobie. On continue à faire des échanges économiques et commerciaux en dépit des atteintes aux droits de l’homme et aux droits des LGBTQIA+. J’espère qu’un groupe de discussion entre les parlementaires européens et les députés du Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) verra le jour pour tenter d’abolir ces lois liberticides.