À l’échelle d’un individu, certains gestes sont souvent bénéfiques ou anodins. Ainsi, prendre sa bagnole pour aller chercher des chips à l’épicerie cinq cents mètres plus loin, ou bien faire des enfants, jusqu’à dix ou vingt, pourquoi pas ? Après tout, si Bach l’a bien fait, en vertu de quoi interdire à quiconque un challenge germinal avec Jean-Sébastien ? Mais quand on est plus de 7 milliards à le poser, un geste anodin, ça n’existe plus. Pire encore, un geste bénéfique peut se transformer, s’il est par trop imité, en un acte aux conséquences négatives. Quel mal, pourtant, se montrer un peu paresseux ou bien vouloir profusément procréer pourrait-il bien faire ?
Écosystème.
La réponse tient en un mot.
La vertu ou l’excellence est un fragile et mince sommet entre deux gouffres béants, extrêmes, que lui proposent l’excès et le défaut. L’immense succès qui a couronné les diverses entreprises de l’homme jusqu’à ce jour montre que le progrès et la croissance, qui ne sont pas deux mythes, peuvent – collectivement et individuellement – se montrer dangereux. Ce qui relève du mythe, ce ne sont ni le progrès ni la croissance, qui ont bien démontré leur réalité, mais la croyance que la croissance indéfinie est toujours possible, peu importe les circonstances (du pétrole bitumeux ? mais oui, voyons…). Ou bien croire que le progrès amène automatiquement plus de bonheur à la communauté des vivants (rongeurs compris, grâce à un judicieux dispositif pour les amuser, nourrir, abreuver dans leur cage). Progrès et croissance ont toutefois, comme réalités, montré leurs bienfaits, quoiqu’aussi engendré des dégâts.
Se limiter ainsi, se refuser à croître encore, vaincre les réticences auxquelles la satisfaction d’avoir jusqu’alors réussi donne droit, tout cela représente un défi pour les mâles d’aujourd’hui. Mais aussi pour les femmes, et pour toute l’humanité. Cela n’implique ni de tuer des gens ou nos enfants sous prétexte qu’on est trop nombreux ni de devoir cesser tout plaisir de consommateur et renoncer à notre culture occidentale. Jouir n’empêche pas de veiller et de prévoir, progresser et produire ne nous oblige pas à polluer, à conquérir ou s’étendre sans fin. Se couper les c…, c’est donc aussi montrer qu’on en a.