Espace de libertés | Décembre 2019 (n° 484)

Les lois progressistes du mardi


International

Depuis le 22 octobre, l’avortement est dépénalisé et le mariage de personnes du même sexe autorisé en Irlande du Nord. La situation de blocage politique inédite – plus de 1 000 jours sans gouvernement – a paradoxalement permis de grandes réformes abolissant une législation parmi les plus répressives d’Europe.


Jusqu’au 21 octobre dernier, l’avortement n’était autorisé que dans deux cas strictement définis : un risque pour la vie de la femme ou de dommage grave et permanent à sa santé physique ou mentale. Dans tous les autres cas, y compris si la grossesse était la conséquence d’un viol ou en cas de malformation de l’embryon, tant la femme que le médecin pouvaient faire l’objet de poursuites pénales. Depuis le référendum de 2018 sur la légalisation de l’avortement en République d’Irlande, l’Irlande du Nord était la dernière partie des îles britanniques à conserver une législation répressive.

Situation insolite qui a permis ces progrès spectaculaires dans une région de tradition très conservatrice. Avec les accords du Vendredi saint, qui ont mis fin à des décennies de guerre civile entre républicains de tradition catholique, luttant pour le rattachement à l’Irlande, et unionistes protestants, défendant l’union avec le Royaume-Uni, un système de partage du pouvoir a été mis en place. Ces accords prévoient que le gouvernement sera composé des deux plus grands partis, le Sinn Féin républicain et le DUP (Democratic Unionist Party). Cet accord entre les deux anciens ennemis a fonctionné tant bien que mal jusqu’en janvier 2017, quand a éclaté un scandale visant la Première ministre Arlene Foster, cheffe du DUP. Martin McGuinness, vice-premier ministre Sinn Féin, a démissionné en signe de protestation, causant du même coup la chute du gouvernement. Depuis, et malgré de nouvelles élections et des conciliations menées par le gouvernement britannique, aucun accord n’a pu être trouvé. Un des points de divergence était justement le mariage homosexuel, défendu par le Sinn Féin mais refusé par le DUP.

A gay couple pose holding hands as they walk out of a polling station after voting in Drogheda, north Dublin on May 22, 2015. Ireland took to the polls today to vote on whether same-sex marriage should be legal, in a referendum that has exposed sharp divisions between communities in this traditionally Catholic nation.   AFP PHOTO / Paul Faith (Photo by PAUL FAITH / AFP)

Il faut savoir s’immiscer dans les arcanes des jeux de pouvoir pour faire avancer certaines causes. Pour l’IVG et le mariage homo en Irlande du Nord, c’est bingo! | © Paul Faith/AFP

Un blocage mis à profit

Tant le mariage homosexuel que l’avortement relèvent en principe des autorités autonomes d’Irlande du Nord. Cependant, face à cette situation intenable, les autorités de Londres ont décidé de prendre des mesures pour gérer la région, limitant de fait son autonomie. Cette reprise en main a été habilement exploitée par des députés travaillistes de la Chambre des communes.

Début juillet, au cours d’un débat consacré à l’Irlande du Nord, la députée Stella Creasy a proposé un amendement dépénalisant l’avortement en Irlande du Nord. Son collègue Conor McGinn a déposé celui prévoyant la légalisation du mariage de personnes du même sexe. Ces deux amendements, adoptés à une large majorité, fixent l’entrée en vigueur de ces mesures au 21 octobre, à moins que l’Assemblée d’Irlande du Nord – suspendue depuis le début de la crise politique en 2017 – n’en décide autrement avant cette date.

Le DUP, conservateur et opposé à ces deux mesures, a tenté de réactiver l’Assemblée. Cette tentative s’est soldée par un échec, les autres partis, notamment le Sinn Féin, ayant refusé de participer. Un député d’Alliance, un petit parti libéral, a bien résumé la situation : « Je suis très mal à l’aise sur le fait que la première fois que quelqu’un fait un effort pour réunir l’Assemblée, c’est dans le but de dénier des droits aux gens. » Cette manœuvre lamentable ayant échoué, la dépénalisation de l’avortement et la légalisation du mariage de personnes du même sexe ont acquis force de loi. Concrètement, la loi prévoit que l’avortement devra être accessible sur deux sites à partir du 1er avril 2020 et que les premières unions de personnes du même sexe pourront être célébrées en février 2020.

Ces progrès fondamentaux ont été mis en œuvre par le haut, en profitant de la paralysie des institutions régionales. Ils répondent néanmoins à une véritable demande sociale, avec plus de 70 % des habitants de la région en faveur de la libéralisation de l’avortement. L’absence de progrès était due à l’immobilisme d’une